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Immolée par le feu... et après ? Refonder l’enseignement - Christian Meunier, blog sur Mediapart, 31 octobre 2011

mardi 1er novembre 2011

Le décès de notre collègue Lise, immolée par le feu à Béziers, nous a tous plongés dans la stupeur. Nous ne la connaissions pas, nous ignorions même son existence jusqu’au moment où nous avons appris qu’elle nous avait quitté, mais son geste nous a bouleversés. Bien sûr, la question du «  pourquoi  » vient immédiatement à l’esprit : qu’est-ce qui a bien pu pousser une enseignante de mathématiques à s’immoler par le feu, en pleine récréation, dans la cour de son lycée et quel message cet acte contient-il ? A cet acte préparé, organisé jusqu’au dernier détail, tout le contraire d’un acte de folie ? Et c’est parce qu’il semble bien qu’elle ait voulu nous laisser un message que j’ai entrepris cette réflexion et que je voudrais, de cette manière, donner un sens à son geste et lui rendre ainsi hommage.
Les articles se sont accumulés, apportant une réflexion sur la dureté du métier, qui use certains collègues jusqu’à la corde. On a dit que la profession manquait de médecins du travail, alors que les profs développaient beaucoup plus de maladies telles qu’eczéma nerveux, dépressions et autres maux du même genre que la moyenne de la population. Certains se sont plaints de ne pas être pris au sérieux, nos concitoyens étant plutôt d’avis que le métier d’enseignant était plutôt peu fatigant, d’autant moins que les vacances permettant de récupérer étaient fréquentes et longues.

0. Un dur métier

Mais ce que montre cet acte, c’est que des collègues profs se retrouvent seuls, sans aide, face à leurs problèmes, ne trouvant apparemment aucune solution viable, se résolvent à abandonner cette existence et trouvent en eux le courage et la force de franchir le pas. Certes, le métier d’enseignant est nerveusement fatigant, du fait que, pendant toute la durée du cours, le professeur doit rester concentré. Et lorsque les élèves travaillent en groupes, et que l’on passe de l’un à l’autre, il faut que l’esprit s’adapte sur le champ à une discussion qu’il prend en route, et le prof rappelle alors ces champions d’échecs qui jouent vingt parties simultanées en passant d’un échiquier à l’autre, en évaluant chaque fois en quelques secondes la situation pour jouer un coup décisif. Mais cette fatigue est contrebalancée par les satisfactions que les contacts humains et l’enseignement apportent, et ne justifient en aucun cas le suicide.

On ne peut alors s’empêcher de penser à toutes celles et tous ceux qui se trouvent dans le même désespoir. Voilà donc un métier parmi les plus nobles, qui devrait apporter à ceux qui l’exercent une légitime satisfaction, le respect et la reconnaissance de leurs concitoyens, mais qui en use certains jusqu’à la corde, les pousse au désespoir.

Une fois que l’on aura déploré cette situation, que l’on aura pleuré les victimes, il sera temps de se demander ce que nous pouvons faire pour que cette profession redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un métier indispensable à la société, dont le but est à la fois de former des citoyennes et des citoyens respectant les valeurs de la République, de leur faire acquérir le savoir et les savoir-faire qui va leur permettre, en fonction de leurs goûts et de leurs talents personnels, d’exprimer leurs potentialités, de les amener à l’autonomie et au sens des responsabilités, bref, leur permettre de vivre l’existence qu’ils auront choisie, et de prendre leur place dans la société en remplissant leur devoir et en profitant des possibilités qu’elle offre.

Malheureusement , nous sommes loin de cet idéal. De plus en plus d’enseignants ont des difficultés à faire cours à des enfants, adolescents et même d’adultes, ceux-ci acceptant de moins en moins de travailler dans les conditions qui convenaient encore, autrefois, à leurs parents. Le respect envers les adultes, et les professeurs en particulier, n’est plus automatique. Le civisme n’est plus la règle pour tous, et lorsque l’on apprend qu’une prof a été projetée au sol par quelques élèves, qu’ils lui ont donné des coups de pied sur le corps et à la tête, que la scène a été filmée au moyen d’un portable et que la vidéo ainsi obtenue s’est retrouvée sur Internet, pour amuser les autres élèves, on se dit qu’il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. En effet, de tels élèves ne semblent pas considérer l’école comme une priorité, ni leur apprentissage comme indispensable. Ils n’ont aucun respect pour l’enseignante, ne ressente aucune empathie pour elle. Comme dans les jeux du cirque romain, la souffrance, voire la mort de leur victime est source de jeu, peut-être même d’un plaisir sadique. Bien sûr, tous les élèves ne vont pas si loin, et il y a encore bon nombre d’établissements scolaires où il est possible d’enseigner à des élèves qui écoutent leur prof et travaillent. Surtout dans les beaux quartiers, et dans le privé. Mais les collèges ou lycées situés en zones défavorisées sont loin d’être des sinécures, et l’enseignement y demande une expérience, un doigté que tous n’ont pas. Ainsi, il devient de plus en plus difficile d’enseigner, et de plus en plus de profs se retrouvent dans une situation difficile, voire intenable, et ce d’autant plus que ce sont plutôt les plus jeunes, ceux qui ont le moins d’expérience, voire sans formation pédagogique, que l’on envoie au front, ceux qui ont le plus d’expériences étant protégés par leur ancienneté et sachant bien qu’on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif, et encore moins enseigner à quelqu’un qui n’a pas envie d’apprendre.

Il ne surprendra personne que les résultats de l’enseignement ne soient pas brillants. Le pourcentage d’élèves débarquant en 6e et ne sachant pas vraiment lire est impressionnant. Il y a bien sûr ceux qui ont des difficultés, mais il y a aussi les réfractaires, dont on n’a pas l’impression qu’ils considèrent leur apprentissage comme une priorité, et qui, pour avoir la paix, jouent les caïds et menacent de représailles ceux qui joueraient le jeu du professeur. On comprend facilement que, dans ces conditions, les jeunes enseignants sans expérience aient des difficultés, au point de se demander s’il ne vaut pas mieux changer de métier. Certains obtiennent de leur médecin un «  arrêt de travail  » pour maladie, mais cela permet tout juste de souffler un peu et ne saurait apporter de solution. On ne peut pas rester en maladie jusqu’à la retraite quand on a à peine 25 ans. Et quelle opinion a-t-on alors de soi-même ? D’autant que, si l’on interroge les collègues immédiats, pour eux «  tout baigne  ».

Il est donc urgent de remettre l’ouvrage sur le métier, de trouver les causes du problème, et de mettre en œuvre les solutions. Mais pour que ces solutions soient durables, portées par tous, il faut que tous les groupes concernés soient associés et participent à la construction d’un nouveau système d’éducation.

Il est temps de refonder le système éducatif

Je me contenterai ici de tracer les grandes lignes d’une réflexion personnelle, fruit d’une expérience de 37 ans d’enseignement du collège à l’université. Pour les détails, on pourra se reporter à mon livre, «  Français, bougez-vous le cul  », à paraître chez Edilivre fin octobre (voir l’avancement de la publication sur mon site : www.christianmeunier.com) .

Trois groupes principaux sont concernés : les apprenants, leurs parents, et les enseignants. Les problèmes viennent d’eux, et la solution est entre leurs mains. Encore faut-il les amener à coopérer.

1. Les apprenants

C’est une lapalissade : l’enseignement est destiné à l’apprenant. Il faut donc :

- que l’apprenant se sente concerné par son apprentissage,
- qu’il soit convaincu de son utilité,
- qu’il soit motivé,
- qu’il comprenne bien ce qu’on lui explique
- qu’il suive bien la progression
- qu’en cas de problème, il puisse recourir à une aide immédiate et adaptée,
- qu’il accepte l’aide d’un enseignant, d’être jugé par lui, qu’il ait donc confiance en lui,
- qu’un jour, il choisisse lui-même ses objectifs et fasse son possible pour les atteindre,
- que, progressivement, il devienne autonome, s’investisse dans son apprentissage, prenne son destin d’apprenant en main.

Pour réussir, l’apprenant qui suit un enseignement doit apporter certaines qualités :

- il doit respecter les autres, élèves, enseignants, auxiliaires d’enseignement,
- il doit avoir le goût de l’effort,
- il doit être capable de se concentrer et de travailler en autonomie,
- il doit pouvoir aussi travailler en groupe, accepter d’aider et d’être aidé, de discuter, d’argumenter, de pouvoir jouer les médiateurs,
- il doit pouvoir accepter d’être jugé, recevoir les conseils sans se fâcher, accepter de réfléchir sur sa façon d’apprendre et d’en changer si besoin est,
- il doit développer, s’il ne l’a pas au début, une confiance en soi justifiée
et comme il apprend au sein d’un groupe, il doit, en cas de conflit, privilégier le recours à l’argumentation et la persuasion, plutôt qu’à l’usage de la force.

2. Les parents

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Voir en ligne : http://blogs.mediapart.fr/blog/meun...