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Les élèves de l’ENS Ulm soutiennent le mouvement de grève - Sylvestre Huet, Libé-blogs-sciences, 4 février 2009

mercredi 4 février 2009, par Laurence

Des élèves de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm viennent de me faire parvenir un texte expliquant leur participation au mouvement de protestation qui secoue l’Université. Le voici ci-dessous.

L’ENS MOBILISEE POUR LA SAUVEGARDE DE L’ENSEIGNEMENT ET DE LA RECHERCHE.

Un grand nombre d’universités votent la grève, des conseils d’administration adoptent des motions condamnant une réforme hâtive et dangereuse… Rarement le monde de l’enseignement supérieur aura été si uni dans le mécontentement. La multiplicité des mots d’ordre ne doit pas masquer leur convergence, de même que la diversité des projets gouvernementaux ne saurait dissimuler leur cohérence. L’Ecole Normale Supérieure, partie intégrante du système de l’éducation et de la recherche, ne peut rester à l’écart de ces combats.

L’origine de ces tensions est à chercher dans la réforme des concours : au terme de ce projet, les universités devraient proposer des masters d’enseignement distincts des masters de recherche. Ces masters réserveraient une large part à des contenus "pédagogiques" développés au détriment de la pratique de la discipline elle-même, pour justifier que les professeurs soient d’emblée affectés en horaires pleins, sans période de rodage !

L’agrégation non plus n’est pas épargnée : le gouvernement prévoit la fin de la possibilité de passer le concours de l’agrégation après l’obtention d’un master 1. Or cette interruption d’un an entre les deux années de Master permettait à beaucoup de réfléchir attentivement au choix de leur sujet de mémoire, qui détermine déjà le thème de leur futur doctorat. Dorénavant, ce choix se ferait au cours de la quatrième année de scolarité, dans la foulée de la licence … En fait, ce que souhaite le gouvernement, c’est que le master recherche soit réservé à quelques mauvaises têtes.

En distinguant enseignement et recherche, il crée un fossé entre deux activités complémentaires. De fait, la réforme des concours est indissociable de celle du statut d’enseignant-chercheur. Selon cette réforme, l’évaluation des chercheurs déterminerait les crédits et la liberté dont ils disposeraient. Mais sur quels critères se ferait-elle ? Ceux de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et de ses classements de revues quelque peu opaques : plusieurs revues d’envergure internationale ont refusé d’y collaborer. Controverses coupées du monde ? Qu’adviendrait-il alors des étudiants ayant obtenu leur master enseignement mais échoué aux concours ? Ils iraient grossir les rangs des vacataires que l’Education Nationale recrute à tour de bras. Mais si le Ministère dispose de cohortes de vacataires, pourquoi se priverait-il de réduire le nombre de postes aux concours ? C’est bien à une stratégie raisonnée de sape des statuts que l’on est confronté. Au malthusianisme scolaire (moins de doctorants, moins de titulaires) s’ajoute le dumping professoral entre titulaires et vacataires.

Au terme de plusieurs assemblées et réunions d’information, une pétition a été mise en circulation à l’intérieur de l’ENS pour demander que l’Ecole refuse de proposer des masters d’enseignement, comme d’autres universités. Elle a recueilli plus de 300 signatures en deux semaines, ce qui est considérable pour un campus de seulement 2000 élèves et étudiants. Forts du soutien explicite de nombreux professeurs, nous nous déclarons solidaires des actions entreprises pour contester cette réforme dont la mise en œuvre montre autant de précipitation que d’entêtement idéologique. Nous considérons ces revendications comme indissociables du combat pour la sauvegarde de l’ENS. Dans la foulée du rapport Attali, la « réforme » de l’ENS est en effet à l’ordre du jour, tandis qu’un « comité d’orientation stratégique internationale » est chargé de travailler à la transformation de l’école - mais de quelles marges de manœuvre bénéficie-t-il ?Les pistes évoquées jusqu’à présent représentent une rupture dans la tradition qui est celle de l’Ecole et qui a été constamment réaffirmée depuis la Révolution jusqu’à la loi sur le statut des Normaliens de 1948. De fait, les attaques du gouvernement contre le système d’enseignement et de recherche s’inscrivent dans un cadre global de remise des traditions républicaines et sociales : après la retraite, la Sécurité Sociale, la Justice, le volet éducatif des réformes de la Libération. M. Sarkozy déclare volontiers vouloir liquider l’héritage de 1968 : ne s’en prend-il pas plutôt à celui de 1945 ?