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"Un débat national s’impose", par les porte-parole de SLU, "Le Monde" (6 février 2009)

jeudi 5 février 2009, par Elie

Pour lire cet article sur le site du Monde.

Le combat que nous menons pour défendre l’université et la recherche, la formation des enseignants et le statut des universitaires concerne l’ensemble de la société française.

Voilà quarante ans que l’université répond à des demandes sociales de plus en plus lourdes : l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat a fait croître de manière continue les effectifs dans les facultés ; devant l’augmentation du chômage, davantage de jeunes cherchent dans les universités des formations qui les mènent au monde du travail. Nous avons affronté ces demandes, positives et négatives, comme autant de défis, en l’absence de modification structurelle adaptée, sans que jamais soient réellement remises en cause la séparation entre grandes écoles sélectives et bien dotées et universités ouvertes à tous mais misérables, ni l’insuffisance du financement public par étudiant à l’université, nettement inférieur à la plupart des pays de l’OCDE.

Nous l’avons fait sans sacrifier la recherche, et nous en sommes fiers. Le 22 janvier, le président de la République a violemment agressé le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche en affirmant que nous formons mal et que nous cherchons mal.

Il est vrai que le mépris avait précédé l’insulte : la loi LRU, l’une des premières du nouveau gouvernement, a été imposée à la communauté universitaire, votée à la sauvette en plein été 2007, sans aucune concertation. Cette loi, sous couvert d’accroître l’"autonomie" des universités, fait de la concurrence le cadre unique des règles et des missions du monde universitaire, paradoxalement réglé de façon autoritaire par le pouvoir exorbitant des présidents d’université et par un dirigisme accru de la politique de recherche. En témoigne le fait que les instances nationales d’évaluation et de financement soient composées de membres nommés par le gouvernement. Parler ici d’"autonomie", c’est pervertir le sens des mots.

En modifiant le décret régissant le statut des enseignants-chercheurs, le gouvernement porte aujourd’hui une nouvelle atteinte à notre indépendance intellectuelle, scientifique et pédagogique. Alors que l’évaluation actuelle sanctionne au niveau national une formation universitaire et une activité scientifique qui sont le fruit d’une longue maturation, le nouveau décret impose des évaluations rapprochées et locales, incompatibles avec la temporalité et l’échelle, souvent internationale, de nombre de nos recherches.

Il établit la concurrence entre individus en lieu et place de la coopération au sein des équipes pédagogiques et de recherche, et prend le risque de développer un clientélisme qui contredit l’excellence officiellement prônée. Plutôt que de planifier des créations de postes, il instaure un système de primes.

Qu’on ne s’y trompe pas : si ce bouleversement nuit à la recherche, il ne bénéficie pas pour autant à l’enseignement qui, à l’université, repose sur une pratique continue de la recherche. Selon le projet de décret, tout universitaire dont la recherche sera jugée insuffisante sera susceptible d’enseigner davantage. Au-delà du fait que l’enseignement ne peut être conçu comme une punition, sans création de postes, nous serons tous amenés à enseigner plus. Surtout, l’université doit être un lieu de production, et non seulement de transmission des connaissances. La transmission des savoirs de haut niveau, en renouvellement permanent, et la formation à la production de ces savoirs, sont indispensables à un pays démocratique : elles irriguent l’ensemble de la société, elles sont notamment constitutives de la formation des futurs enseignants.

Lecture conservatrice des "réformes" ? Il n’est que de considérer l’autre grand chantier du gouvernement, l’éducation nationale. La réforme de la formation et du recrutement des futurs enseignants, assurés par toutes les composantes des universités, impose un allongement non financé de la durée des études, une baisse de la qualité de la formation, et ouvre à un recrutement massif de contractuels dans l’éducation nationale. On voit la logique d’une politique visant à séparer l’enseignement de la recherche.

Nous ne nous battons pas seulement pour nous. Le jeu de dominos est enclenché : le futur contrat doctoral, le statut des personnels administratifs et techniques seront demain plus précaires, tandis que la question de la professionnalisation des études n’est pensée par le gouvernement qu’en termes d’employabilité à très court terme. Avec d’autres, nous avons appelé à ce que l’université française s’arrête. L’intérêt général est menacé. Un débat national s’impose.

Mathieu Brunet, université de Provence ;
Jean-Louis Fournel, université Paris-VIII ;
Laurence Giavarini, université de Bourgogne ;
Annelise Nef, université Paris-IV ; tous les signataires sont les porte-parole de Sauvons l’université.