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Les universitaires se sentent peu ancrés dans leur établissement - "Le Monde" du 19 février 2009

jeudi 19 février 2009, par Laurence

La communauté universitaire se retrouve une nouvelle fois dans la rue, jeudi 19 février, pour protester contre les réformes éducatives du gouvernement. Au coeur de cette contestation, le décret réformant le statut des enseignants-chercheurs. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, a nommé une médiatrice pour écrire un nouveau texte. Christine Musselin, directrice du Centre de sociologie des organisations (CNRS-Sciences Po), compare la situation des universitaires français avec celle de leurs collègues à l’étranger.

Temps d’enseignement En France, les universitaires doivent un minimum de 128 heures de cours magistraux par an (hors temps de préparation), soit 6 heures hebdomadaires. En Allemagne, la norme est de 9 heures de cours magistraux hebdomadaires. Au Royaume-Uni, un professeur actif en recherche peut avoir 50 heures de cours magistraux annuels.

La question de l’évaluation, ses critères et son utilisation, inquiète les universitaires. Comment est-elle abordée dans les pays voisins ?

De manière très différente. En France, le projet prévoit de confier cette tâche au seul Conseil national des universités (CNU). Si ce dernier est une instance pertinente pour évaluer le travail de recherche des universitaires, il ne l’est pas pour les questions d’enseignement. De plus, alors que l’on prône l’autonomie des universités, il est curieux de confier au CNU cette seconde tâche, qui nous démarque de la situation des autres pays. Au Royaume-Uni, par exemple, si l’évaluation de la recherche est régie pour la plus grande part par une procédure nationale, l’évaluation des enseignements se fait au niveau des établissements. Aux Etats-Unis, une partie de l’évaluation "routinière" se fait aussi à ce niveau. Les universitaires doivent présenter chaque année à leur directeur de département un rapport d’activité complet à partir duquel sont fixées les augmentations de salaire annuelles. En revanche, lors des grandes étapes de la carrière (obtention de la "tenure", c’est-à-dire d’un emploi quasiment à vie, ou promotion) les universités sollicitent des avis d’experts extérieurs sur lesquels elles fondent leur jugement.

Qu’en est-il de la gestion des horaires d’enseignement des universitaires ?

A l’étranger, ces horaires se gèrent souvent au niveau des établissements. Alors qu’en France, le temps de service est aujourd’hui et officiellement le même pour tous, ailleurs ils s’adaptent aux besoins et aux activités de chaque département et enseignant. Ainsi, en Angleterre, si un professeur décroche un financement pour un projet de recherche, il pourra par exemple utiliser une partie de cet argent pour financer un remplaçant le temps qu’il mène ses recherches.

En France, le projet de décret prévoit que les présidents d’université gèrent les modulations de service. Est-ce une concentration "exorbitante" des pouvoirs en leurs mains ?

Il peut certes y avoir des présidents autocratiques, mais piloter une université contre l’ensemble de sa communauté universitaire n’est pas tenable, et les présidents le savent. Mais, la défiance actuelle tient probablement à ce que l’on n’a pas profité, en 2007, de la discussion de la loi d’autonomie des universités pour réfléchir à la redynamisation des structures internes des universités. Aujourd’hui, peu d’enseignants veulent devenir doyens, car depuis 1968, et la création de la fonction de président, on les a dépossédés de tout pouvoir. Or, comme dans toute institution, un président a besoin de relais internes pour piloter son université et pour créer un véritable sentiment d’appartenance à son université. Ce sentiment d’appartenance reste particulièrement rare en France.


Pensez-vous que le statut de fonctionnaire des universitaires joue un rôle dans ce manque de sentiment d’appartenance ?

Non, pas du tout. C’est d’abord l’histoire de chaque système universitaire qui l’explique. Cependant, on voit se profiler au niveau mondial une évolution des statuts, si bien que les universitaires fonctionnaires tendent à devenir l’exception, alors que c’était la norme. La tendance est clairement au rattachement à un établissement employeur. Par exemple, en Autriche, depuis 2002, tous les nouveaux professeurs ont un contrat à durée indéterminée. Au Japon, tous les emplois ont simultanément été transformés en CDI. Enfin, en Allemagne, ils restent fonctionnaires d’Etat, mais des souplesses ont été introduites, avec l’instauration de salaires au mérite des professeurs et la renégociation périodique des moyens de recherche mis à leur disposition lors de leur recrutement.

Les conditions de travail, voire les salaires, expliqueraient-ils ce détachement vis-à-vis de leur université ?

Concernant les salaires, il est extrêmement compliqué de faire des comparaisons internationales, car au-delà des différents statuts au sein de chaque établissement, il est difficile de comparer des salaires qui n’englobent pas tous les mêmes prestations, comme la protection sociale ou les cotisations retraite. En revanche, concernant les conditions de travail, il n’y a aucun doute. A Paris, de nombreux universitaires n’ont pas de bureau, voire même de table attitrée pour travailler au sein de leur université. C’est assez dramatique. C’est un peu moins vrai en région, car les conseils régionaux ont beaucoup investi ces dernières années. Au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Etats-Unis, les conditions de travail sont meilleures. Les universités françaises pèchent aussi lors de l’accueil de nouveaux collègues. Rien n’est fait pour les nouveaux maîtres de conférences. Nous sommes restés dans la logique "Soyez déjà content d’avoir un poste". On laisse encore trop souvent le dernier arrivé assumer les cours dont les autres ne veulent pas.

Propos recueillis par Philippe Jacqué

Comparaisons en Europe

Temps d’enseignement En France, les universitaires doivent un minimum de 128 heures de cours magistraux par an (hors temps de préparation), soit 6 heures hebdomadaires. En Allemagne, la norme est de 9 heures de cours magistraux hebdomadaires. Au Royaume-Uni, un professeur actif en recherche peut avoir 50 heures de cours magistraux annuels.

Salaire. Le salaire moyen d’un chercheur public relevant de l’enseignement supérieur français s’élève à 50 881 euros annuels, selon une étude de la Commission européenne de 2007.

Cela équivaut au salaire moyen d’un chercheur suédois (51 893 euros), reste inférieur à celui d’un chercheur néerlandais (65 923), devance celui d’un Allemand (45 893), d’un Espagnol (36 817) ou d’un Italien (34 204).

Les sciences dures au secours de Valérie Pécresse

Près de 80 scientifiques de haut niveau, directeurs de laboratoires ou professeurs, ont signé un texte de soutien aux réformes de Valérie Pécresse. "Nous déplorons les remarques maladroites proférées au plus haut niveau (allusion au discours de Nicolas Sarkozy du 22 janvier)... Nous sommes néanmoins en faveur d’une réforme profonde du statut d’enseignant-chercheur, nécessaire à la modernisation de l’université", écrivent les signataires. "Cette pétition veut montrer qu’il y a une minorité silencieuse qui n’est pas d’accord avec ce qui se dit dans les assemblées générales", explique l’un des initiateurs du texte, le géochimiste Francis Albarède, professeur à l’Ecole normale supérieure de Lyon, médaille d’argent du CNRS. "Arrêter les réformes, c’est le remède qui tuerait le malade", poursuit-il. Une adresse électronique intitulée onnefaitdoncrien@gmail.com a été ouverte pour recueillir les signatures.