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L’impossible recensement des universitaires grévistes - Marie Piquemal, Libération, 24 mars 2009

mardi 24 mars 2009, par Laurence

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La ministre Valérie Pécresse a envoyé une note aux présidents de fac pour opérer des retenues sur les salaires des enseignants en grève. Sauf qu’en pratique, c’est impossible.

Les enseignants-chercheurs entament leur huitième semaine de mobilisation et maintiennent toujours la pression avec des formes de protestations originales (Ronde des obstinés encore hier soir).

Pourtant, sont-ils réellement en grève au sens juridique du terme ? Car qui dit grève, dit travail non fait et donc retenue de salaire. La ministre Valérie Pécresse a envoyé une note le 16 mars aux présidents d’université leur demandant de comptabiliser les enseignants grévistes, conformément à la loi. De belles paroles. La réalité est bien plus compliquée et la loi inapplicable. Explications.

Grand écart entre la loi et la pratique

Le principe, valable pour tous : comme tout salarié, le fonctionnaire n’est pas tenu de se déclarer gréviste de manière individuelle. La règle : si le salarié est absent sans justificatif alors qu’un préavis de grève est en cours, il est considéré comme gréviste par sa direction.

Sauf qu’en pratique, cette règle est plus ou moins facile à appliquer selon les métiers. Pour le personnel Biatos qui travaille dans l’université (bibliothécaire, ingénieur de labo…), « pas de problème : ils ont des horaires de travail fixes et des tâches précises. S’ils sont en grève, ça se voit, c’est facile à contrôler. Le chef de service n’a qu’à constater et en rendre compte à sa hiérarchie », explique Jean-Pierre Finance, président de l’université Nancy 1.

Pour les enseignants-chercheurs, c’est une autre histoire. « C’est quasi-impossible de vérifier. Comment voulez-vous ? Par définition, leur métier comporte des activités très variées : recherche, colloques, enseignement, encadrement des doctorants… »

Et les cours hors murs ?

Contrôler si l’enseignant assure ou pas ses heures de cours reste a priori le seul moyen de savoir s’il est en grève. « Même pas, c’est bien plus compliqué », tonnent en cœur les présidents d’université interrogés. D’abord, le temps d’enseignement des profs d’université est annualisé. Donc le volume de cours par enseignant varie d’une semaine à l’autre. « C’est ingérable », assure Yves Lecointe, le président l’université de Nantes, qui gère une équipe de 2800 personnes (Biatos compris).

« On rencontre des cas très variés : certains profs font cours mais portent un brassard en grève par exemple. » Et puis même, « quelle attitude adoptée quand l’accès à la fac est bloqué par les manifestants ? L’enseignant ne peut pas dispenser son cours. Alors, gréviste ou pas ? »

Et tout à l’avenant. Les enseignements publiés sur le site Internet. Ou encore lescours hors les murs, très répandus depuis le début du conflit. Cette forme de protestation consiste à dispenser un enseignement dans un lieu public (tramway, centre-ville ou autres endroits symboliques). Le prof assure donc son devoir de faire cours, mais d’une autre manière. La retenue de salaire est-elle justifiée ?

L’auto-déclaration et les risques de pression

Le problème du recensement des enseignants grévistes n’est pas nouveau et se repose avec la même acuité à chaque mouvement de contestation de grande ampleur.

Dans la pratique, les présidents d’université ont pris l’habitude d’envoyer des formulaires individuels aux enseignants leur demandant de se déclarer grévistes d’eux-mêmes. Le Snesup, le principal syndicat du supérieur, appelle sur son site Internet à ne surtout pas remplir ce formulaire. « Ce type de document a souvent été utilisé pour faire pression individuellement sur les collègues. »

Depuis le début du mouvement, les déclarations individuelles sont peu nombreuses, variables selon les jours (plus importantes lors des mobilisations nationales comme le 19 mars) mais bien en deça des estimations données par les syndicats. Le ministère annonce des chiffres oscillant tout juste entre 100 et 150 grévistes par jour...

Les incohérences de Pécresse

Du coup, Valérie Pécresse a envoyé une note le 16 mars aux présidents des 85 universités, disant ceci : « Il relève de votre responsabilité (président d’université, NDLR), lorsque des préavis de grève vous sont communiqués, de mettre en place un dispositif permettant d’assurer le contrôle de l’effectivité du service fait qui soit le plus adapté à la situation et à l’organisation interne de votre établissement. » (voir ce courrier en document joint)

Bien entendu, ce courrier a suscité la colère des universitaires. Certains ont répondu à la ministre par un courrier commun daté du 21 mars. « En envisageant d’appliquer de manière comptable et mécanique le décompte des jours de grève à une profession dont le temps d’enseignement est annualisé (...) vous nous empêchez définitivement de mettre en œuvre, en parallèle de notre lutte ou au terme de celle-ci, des stratégies de remédiation (rattrapage, cours en ligne, travaux de recherche personnels donnés aux étudiants, échanges par courriel, etc.) »

Ce qui n’a pas empêché la ministre de demander hier expressément aux universitaires d’assurer le rattrapage des cours. « Faut savoir ce qu’elle veut la ministre. Soit on a des retenues de salaires et donc les cours perdus ne sont pas assurés. Soit on est payé, et on rattrape... », conclut un enseignant.