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"Affaire Geisser : « Cela n’a rien à voir avec une sanction »", interview de Joseph Illand, Libération, 6 juillet 2009

mardi 7 juillet 2009, par Elie

Cette interview parue dans l’édition du 6 juillet 2009 de Libération peut être lue sur Libémarseille.

POLEMIQUE. Joseph Illand, chargé de sécurité au CNRS, répond au chercheur aixois Vincent Geisser qui s’estime victime d’une censure.

Joseph Illand, 61 ans, est le Fonctionnaire de Sécurité de Défense (FSD) du CNRS. Il est chargé au CNRS de la protection du patrimoine scientifique et technique et de la sécurité des systèmes d’information. Un conflit l’oppose à un chercheur, Vincent Geisser, sociologue et politologue à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam/CNRS). Joseph Illand donne sa version des faits.

Vous avez déposé plainte contre Vincent Geisser pour « diffamation publique », sur quelles bases précisément ?

Il m’a accusé dans un mail d’être un « idéologue qui traque les musulmans et leurs amis, comme à une certaine époque, on traquait les Juifs et les Justes ». Non seulement cette phrase, mais l’ensemble de son mail est diffamatoire. Il m’accuse de « harcèlement », de contrôle personnel de son ordinateur, de traque des ses articles et conférences, d’avoir monté un « dossier complet sur ses activités…

Ne s’agissait-il pas d’un mail privé ?

Vincent Geisser prétend que ce mail était « intime », mais il l’a adressé au comité de soutien d’une doctorante allocataire de recherche de l’Université Toulouse, licenciée pour cause de port de signes religieux ostentatoires Je ne peux pas croire qu’il ait été naïf au point de croire que son mail allait rester confidentiel. Si vous envoyez un mail non protégé (par chiffrement par exemple) , vous n’avez aucune garantie qu’il ne va pas être diffusé. Pour moi, il s’agit bien de diffamation publique.

Vous avez un contentieux avec Vincent Geisser ?

J’ai découvert l’existence de Vincent Geisser, en septembre 2005, à propos d’une enquête qu’il avait lancée en mai, sur la trajectoire des chercheurs issus des migrations. Il avait sélectionné, dans les fichiers du CNRS, les chercheurs dont le nom avait une consonance maghrébine et leur avait envoyé un questionnaire sur leurs parents, frères et sœurs, conjoints, date d’entrée au CNRS, poste, labo d’affectation, thèmes de recherche, responsabilités pri vées etc., renseignements qui conféraient à ce questionnaire un caractère « nominatif » au sens de la loi CNIL.

En l’absence d’autorisation préalable de la CNIL, la constitution de tels fichiers (mailing et questionnaire), relève du code pénal. Comment ont réagi les chercheurs ?

J’ai eu écho de cette affaire courant septembre 2005, notamment par un appel de la responsable CNIL du CNRS, inquiète de risques de dépôts de plainte par des chercheurs qui contestaient la légalité de ce questionnaire. Vincent Geisser et son directeur, avaient été saisis très tôt du problème par au moins une personne (directrice de recherches), sans succès. J’ai immédiatement alerté le directeur de l’IREMAM et lui ai conseillé d’engager au plus vite une régularisation de l’enquête en liaison avec la responsable CNIL du CNRS et de prendre des précautions de protection des fichiers, pour éviter plusieurs articles du code pénal. Un essai de régularisation du dossier auprès de la CNIL a été tenté, avec mon soutien technique, mais il n’a pu aboutir, du fait de l’impossibilité de répondre aux objections formulées par la CNIL. Je n’ai donc aucune responsabilité dans cet arrêt du questionnaire et ceci n’a strictement rien à voir avec une prétendue sanction des travaux de Vincent Geisser sur l’islamophobie.

Tout chercheur qui part à l’étranger doit avoir votre autorisation, pour quelle raison ?

Il ne s’agit pas d’ »autorisation », mais d’ »avis » de mon service et ce, uniquement pour la vingtaine de pays représentant les risques les plus graves de mise en danger des missionnaires (chercheurs ou autres agents, voire stagiaires). La sécurité des missions à l’étranger est un souci majeur de mon service. Il s’agit d’assurer la sécurité physique, sanitaire, juridique, des chercheurs, mais aussi la sécurité juridique de l’employeur, ordonnateur de la mission. Lorsque nous sommes saisis d’une demande de mission pour un pays à risques, nous contactons la cellule de veille du ministère des Affaires étrangères et l’ambassade de France concernée. Et nous adaptons notre avis et recommandations en fonction des informations obtenues. Les risques sont réels. Un chercheur a été arrêté en Russie et accusé d’espionnage. Une autre a eu un accident de voiture du Zimbabwe alors qu’elle était au volant, le passager est mort, elle est accusée d’homicide. Le CNRS a interdit pendant un certain temps les missions au Mexique à cause de la grippe A. En 2008, nous avons donné notre avis pour 1100 missions en pays à risques, à la satisfaction des missionnaires , mais il est vrai avec 2 à 3 réclamations sur le mode « de quoi on se mêle... »

Olivier Roy, politologue et spécialiste de l’islam, vous accuse de lui avoir envoyé en 2007-2008 un mail lui reprochant de « traiter mieux l’islam que le christianisme ».

Il m’accuse sur la foi d’un mail qu’il reconnaît avoir classé en spam (détruit ?). Moi, ce mail, je l’ai conservé. Je réagissais à une interview qu’il avait donnée à La Croix, et lui disais qu’une phrase « nous a(vait) tous laissés pantois dans le service », celle où il disait que « ce qui a beaucoup gêné les Turcs, ce n’est pas que Benoit XVI parle de l’islam en général, c’est qu’il cite un empereur Byzantin, niant en quelque sorte qu’Istanbul soit désormais une ville turque ». Et je lui posais la question suivante : « Est-ce à dire par exemple que citer Averroes à des espagnols serait nier que l’Andalousie n’est plus arabe ? ou que citer un roi de France serait nier que nous sommes en république ? »

Ne s’agit-il pas là d’ingérence votre part ?

Je reconnais effectivement une certaine maladresse. Je m’adressais à Olivier Roy en tant que citoyen lambda, mais j’ai sans doute eu tort de mettre en avant ma fonction, pour mieux attirer l’attention du chercheur sur la question. Mais il y avait risque de mélange des genres et je ne le referai pas, compte tenu des risques de mauvaise interprétation . En revanche, sur le fond, mon mail n’a strictement rien à voir avec un prétendu reproche de privilégier l’islam à la religion chrétienne. Je ne comprends toujours pas pourquoi Olivier Roy m’impute des propos orientés que je n’ai pas tenus. Son témoignage erroné, sur la base de sa seule mémoire, a pesé très lourd dans le débat médiatique appuyant cette prétendue thèse d’une « nouvelle croisade contre l’Islam » (sic).

Vous dites craindre pour votre sécurité ?

Quand j’ai appris que Vincent Geisser m’avait qualifié de « traqueur de musulmans », j’ai eu peur et ma femme également. Il y a des fous dans le monde. J’ai appelé immédiatement la DST pour évaluer mes risques personnels et envisager les précautions minimales à prendre. Le CNRS m’a accordé une protection juridique et a décidé d’engager une procédure administrative contre Vincent Geisser. Pour ma part, j’ai déposé plainte au pénal fin juin.

Recueilli par Catherine COROLLER

Vincent Geisser averti par le CNRS

La procédure engagée par le CNRS contre Vincent Geisser a débouché sur un « avertissement (sans inscription au dossier) ». Selon le Syndicat national des chercheurs scientifiques, « ce verdict doit être considéré comme un succès ». Geisser était convoqué le 29 juin devant la commission administrative paritaire du CNRS « à la suite de propos calomnieux et injurieux qu’il a tenus envers [Joseph Illand]dans l’exercice normal de ses fonctions ».