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De Thatcher à Pécresse réflexions françaises sur les « réformes » universitaires britanniques 1979-2009 - Keith Dixon (Lyon 2), Contretemps n°3

mercredi 2 septembre 2009, par M. Homais

Dans un article récent sur l’envahissement du champ universitaire britannique par des acteurs issus du secteur privé publié par le quotidien britannique de centre-gauche, The Guardian, le journaliste-écrivain George Monbiot pointait le nombre impressionnant d’industriels qui occupent actuellement des postes de premier plan dans le pilotage ou l’évaluation de la recherche publique britannique. La liste est longue : de Lord (Paul) Drayson, ancien patron de l’entreprise pharmaceutique Powder-Ject et actuel Ministre de la Science et de l’Innovation dans le gouvernement de Gordon Brown, à Sir John Chisholm, ancien patron d’une société de logiciels militaires et actuellement Président du Conseil de la Recherche Médicale, en passant par Lord Sainsbury, fidèle soutien financier du parti néo-travailliste et désormais l’un des principaux responsables de la recherche scientifique publique, après avoir fait sa fortune personnelle dans la création d’une chaîne de supermarchés. L’avenir de la recherche britannique relève donc en grande partie d’hommes et de femmes dont la carrière professionnelle s’est déroulée dans le monde des affaires. Cela rappelle à quel point l’ « entrepreneur », avec ses propres « valeurs » et sa prétendue connaissance du « monde réel », est devenu une figure centrale dans toutes les institutions britanniques : que ce soit au Service National de Santé, dans les écoles primaires en difficulté, dans le monde des arts ou dans le champ universitaire, on fait désormais appel aux connaissances patronales et aux pratiques du secteur privé pour résoudre les problèmes de la Grande-Bretagne contemporaine.

Cela permet aussi de mesurer la distance parcourue depuis 1979 et l’arrivée au pouvoir des conservateurs radicaux regroupés autour de Margaret Thatcher, dont l’ambition - utopique à l’époque - était de transformer la vieille social-démocratie britannique en société de marché. La croyance centrale qui animait ce groupe était que le marché détenait la solution à tous les maux de l’économie et de la société et qu’il suffisait de libérer les énergies entravées par l’interventionnisme étatique et le « monopole » syndical sur le marché du travail pour que la Grande-Bretagne soit transformée, nécessairement pour le mieux. Pour effectuer cette transformation dans des institutions qui n’étaient pas directement soumises aux mécanismes du marché, les gouvernements successifs sous la direction de Margaret Thatcher ont initié ce déploiement d’hommes d’affaires et la promotion de leurs pratiques qui sont aujourd’hui monnaie courante sous le régime néo-travailliste.

Au début de la période thatchérienne la question universitaire qui nous occupe ici, et celle, plus générale, de l’éducation, étaient considérées comme subsidiaires par les néo-libéraux au sein de la mouvance conservatrice et surtout par le groupe dirigeant conservateur. Non qu’ils négligeaient l’importance de ces questions pour leur projet transformateur, ou qu’ils manquaient d’idées à cet égard – au contraire, leurs think tanks avaient beaucoup travaillé sur ces questions depuis les années soixante et préconisaient un certain nombre de ruptures profondes avec les pratiques existantes. Mais ils avaient d’autres chats à fouetter dans les premières années d’exercice du pouvoir.

Lors du premier gouvernement de Thatcher (1979-1983) l’hégémonie néo-libérale était encore loin d’être assurée au sein du parti conservateur, voire au sein du gouvernement. Margaret Thatcher devait gérer la présence de quelques caciques du conservatisme traditionnel, inquiets de ses projets révolutionnaires, méfiants envers son enthousiasme doctrinal pour les théories de Hayek et Friedman, et soucieux de préserver l’image d’un parti conservateur paternaliste et « social ». Cette vision du conservatisme était portée au parlement par les anciens Premiers Ministres Edward Heath et Harold Macmillan, entre autres, qui jouissaient encore d’une certaine influence au sein du parti. Thatcher était donc obligée de tenir compte d’un rapport de forces interne qui n’était pas en sa faveur sur tous les sujets, de procéder prudemment, et de se centrer sur l’essentiel – les « réformes » économiques – sans ouvrir de nouveaux fronts susceptibles de fragiliser ses positions.

Et puis, il y avait l’opposition syndicale. Si les conservateurs nouvellement élus n’avaient pas grand chose à craindre de l’opposition parlementaire travailliste : ils avaient une majorité confortable à la Chambre des Communes grâce au système électoral britannique (majoritaire à un seul tour) ; et les travaillistes étaient de toute manière tétanisés par des débats internes houleux débouchant sur une scission en 1981 (avec la création du parti social-démocrate) et rendant l’opposition politique au thatchérisme quasiment atone pour le reste de la décennie. Le mouvement syndical restait néanmoins puissant. Le taux de syndicalisation britannique était autour de 50%, avec des pics dans certaines industries du secteur public, et un certain nombre de syndicats, dont le National Union of Mineworkers (NUM), rêvaient d’en découdre avec le nouveau pouvoir conservateur et de lui infliger la même correction que celle donnée au précédent gouvernement conservateur sous la direction d’Edward Heath (1970-1974) . Ici aussi, Thatcher a procédé avec prudence pendant ces premières années d’exercice du pouvoir, introduisant certes dès 1980 une législation sur les pratiques syndicales destinée à enfermer le mouvement dans un carcan légal fortement contraignant, mais dont les premiers effets furent tellement modestes que certains des radicaux commençaient à douter de la volonté de leur leader à en finir avec le pouvoir syndical. Ils avaient tort : Thatcher avait simplement une intelligence suffisante des situations pour savoir qu’il fallait éviter une confrontation frontale et globale avec le mouvement syndical (ce qui avait été le cas dans les années 1970-1972 lorsque Heath voulut d’un seul coup législatif remettre les syndicats à leur place et s’est retrouvé avec une révolte sans précédent sur les bras) et procéder par petites touches successives. Thatcher était tellement prudente qu’elle a même reculé en 1981 (un fait trop souvent oublié) devant la menace d’une grève nationale lancée par la direction du NUM contre un plan de fermetures de mines : le temps de la confrontation « maîtrisée » n’était pas encore venu.

Il vint en 1984-1985, lorsque le NUM a été finalement battu par le pouvoir conservateur après une grève qui a duré un an et a laissé le syndicat exsangue, les mineurs profondément divisés, et l’industrie du charbon prête pour le démantèlement rapide qui devait suivre. Cette grève a été à la fois une « pédagogie de la défaite » pour le mouvement syndical britannique qui depuis évite la confrontation directe avec le gouvernement et un tournant dans la politique thatchérienne. Libérée de la menace syndicale, Thatcher pouvait à la fois radicaliser sa politique et étendre celle-ci à d’autres domaines, considérés jusque là comme non-essentiels. Ayant vaincu les Argentins à l’extérieur (en 1982 lors de la guerre des Malouines), ayant remporté une deuxième victoire aux élections législatives de 1983, renforcé ses positions au sein du parti et du gouvernement, prouvé que sa politique encore timidement néo-libérale, mais en rupture effective avec la tradition conservatrice de l’après-guerre, pouvait être politiquement payante (contrairement à ce que susurrait l’opposition traditionaliste au sein du parti), et réglé le problème de ce qu’elle appelait l’ennemi intérieur syndical, dont le NUM était le symbole, Thatcher et son groupe avaient enfin les mains libres.

C’est donc à partir du milieu des années quatre-vingts que le thatchérisme, fort de ses victoires successives et libéré de la contrainte syndicale, a pu montrer son vrai visage : le gouvernement débarrassé des éléments non-thatchériens accélère alors les « réformes » économiques, avec un vaste programme de privatisation comme élément central. Il resserre la vis autour de l’activité syndicale avec une série de lois destinées à la fois à réduire le champ d’action syndical et surtout à faire peser la menace permanente de punition financière sur tout syndicat récalcitrant et toute tentative de lancer une grève en dehors des nouvelles limites strictes fixées par la loi. Il dérégule le marché du travail en réduisant à sa plus simple expression la protection des salariés et bouleverse la fiscalité britannique, en réduisant massivement le taux d’imposition marginal des plus riches (le taux le plus élevé sera réduit de 80% à 40% pendant la décennie thatchérienne, sans doute le facteur le plus important dans l’accroissement de l’inégalité des revenus qui a caractérisé cette période). Il étend les « principes de marché » à des domaines jusque là relativement épargnés, dont le système universitaire.


Le thatchérisme et le monde universitaire

Quelle est la vision thatchérienne de l’éducation, et plus spécifiquement de l’enseignement supérieur, qui s’épanouit dans cette deuxième moitié de la décennie ? Pour la comprendre, il faut rappeler que Thatcher était non seulement une militante néo-libérale, persuadée du bienfondé de l’introduction des mécanismes du marché, et donc de la concurrence, dans tous les domaines de la vie économique et sociale, mais aussi un produit particulier de l’éducation britannique. A la différence de la très grande majorité des dirigeants du parti conservateur (et travailliste…), Thatcher n’avait pas été éduquée dans le secteur privé (public school) mais dans une grammar school (lycée public sélectif), et ensuite à l’Université d’Oxford. Elle était moins sensible aux arguments proprement conservateurs émanant d’une partie de son entourage qui considérait la démocratisation de l’enseignement comme nécessairement une mauvaise chose (« more means worse ») et qui défendait les privilèges des public schools et des universités d’élite (Oxford et Cambridge) dont ils étaient issus.
C’est effectivement pendant les années Thatcher qu’un mouvement de massification des Universités britanniques a été réalisé (un quasi doublement du nombre d’inscrits entre le milieu des années quatre-vingt et le milieu des années quatre-vingt-dix, qui a d’abord bénéficié à ce qu’on appelait encore les « Polytechnics », établissements de l’enseignement supérieur plutôt spécialisés dans des formations professionnalisantes). Si les réformes des conservateurs radicaux vont effectivement renforcer à terme la place du secteur privé au sein de l’enseignement primaire et secondaire (par l’encouragement fiscal du « choix » parental dans ce domaine), elles vont également déstabiliser les pratiques anciennes d’un certain nombre d’universités traditionnelles : en transformant les modes de financement des universités, dès le premier gouvernement Thatcher, elles vont créer des difficultés de gestion pour toutes les institutions du supérieur, y compris pour les institutions d’élite. Ceci permet de comprendre la rancune des enseignants chercheurs de l’Université d’Oxford qui, en 1985, suite aux coupes sombres dans le financement de leur Université (comme de toutes les autres) prirent la décision inhabituelle de ne pas accorder, comme la coutume le voulait, un doctorat honoris causa à l’ancienne étudiante, Margaret Thatcher, devenue Premier Ministre.
La première mesure à toucher le fonctionnement universitaire sous le régime thatchérien relevait de la stratégie monétariste, adoptée par le gouvernement conservateur dès son arrivée en 1979, visant à freiner l’augmentation des dépenses publiques, et autant que possible (comme dans le secteur universitaire) à les réduire. La conséquence immédiate de cette austérité imposée aux Universités, dont le budget global subit une baisse de 15% programmée sur trois ans à partir de 1981, fut de leur imposer une réorganisation interne draconienne – une « rationalisation » de l’utilisation des fonds publics. Cette rationalisation fut l’un des objectifs de l’austérité gouvernementale, les nouveaux Conservateurs considérant la gestion universitaire comme nécessairement inefficace car non soumise aux effets bénéfiques de la concurrence. Cette stratégie permettait également de transférer la responsabilité des décisions difficiles vers les gestionnaires universitaires eux-mêmes. On voit donc disparaître à cette époque un nombre significatif de formations désormais considérées comme non-rentables (cela fut particulièrement le cas, par exemple, des départements de langues qui ont été fortement affectés pendant cette période), avec une forte pression sur les enseignants, dont beaucoup avaient encore la sécurité d’emploi, poussés à prendre des retraites anticipées ou à se recycler vers d’autres secteurs. On prépare aussi le terrain et les esprits, dès cette époque, aux réformes futures qui vont accentuer l’autonomie financière des établissements, les contraignant au managérialisme devenu depuis le mode opératoire de toutes les universités britanniques, et parfois mis en œuvre par des managers universitaires directement recrutés dans le secteur privé.

Un des changements prémonitoires des tendances à venir fut l’autorisation, donnée par le gouvernement Thatcher dès 1980, d’augmenter les frais d’inscription jusqu’au « prix coûtant » pour les étudiants étrangers. Non seulement, cela ouvrait la voie à l’augmentation ultérieure des frais d’inscription pour tous les étudiants, étrangers ou non, mais cela incitait certains établissements à construire des cursus spécifiques destinés à attirer des « clients » américains, japonais ou en provenance des pays du Golfe, non nécessairement dotés de capital universitaire, mais titulaires d’une carte de crédit bien remplie. Ce fut le début d’un processus de marchandisation qui a atteint sa vitesse de croisière sous les gouvernements néo-travaillistes de ces douze dernières années.
Ceci dit, la première réforme à proprement parler de l’institution universitaire britannique par les conservateurs radicaux date de la période du thatchérisme triomphant : lors du troisième gouvernement de Thatcher (1987-1990) on introduisit une législation (Education Reform Act de 1988) visant surtout à transformer les règles de fonctionnement de l’enseignement secondaire, mais comprenant aussi des préconisations sur le statut des universités et des universitaires. Le système de financement des Universités est alors profondément modifié : on distingue désormais le financement de l’enseignement de celui de la recherche (cette dernière étant soumise à des évaluations régulières) et le tout nouveau Universities Funding Council (Conseil du Financement Universitaire) chargé de superviser l’utilisation des fonds publics par les universités est composé pour moitié de membres non-universitaires (pour en finir, bien sûr, avec le « corporatisme » universitaire). On met en place un système de contractualisation des Universités qui les soumet plus directement au contrôle central par le biais de contrats : pour recevoir des fonds publics les Universités doivent désormais répondre aux appels d’offres du Ministère et se conformer aux critères imposés par celui-ci. Déjà, en 1986, le premier « Exercice d’Evaluation de la Recherche » (Research Assessment Exercise) avait été lancé, qui soumettait les Universités à une concurrence entre elles pour l’obtention des fonds publics. Deux ans plus tard, dans le nouveau cadre législatif, les Universités sont priées de changer de régime philosophique, d’être plus attentives au monde économique et à la pertinence de leurs formations en relation avec celui-ci. Les universitaires, quant à eux, perdent leur sécurité d’emploi, et passent sous un régime général de contrats à durée déterminée. C’est la fin de la titularisation à la britannique. Elle vient compléter des pratiques déjà mises en place par des gestionnaires universitaires eux-mêmes. Soucieux de boucler leur budget en régression, ils ont fait de plus en plus appel à des enseignants recrutés pour de très courtes périodes et/ou sur la base d’un travail à temps partiel. La précarisation des salariés, qui a été une des caractéristiques générales du marché du travail britannique sous le thatchérisme, n’a donc pas épargné le travail universitaire.

C’est à cette époque, en particulier par la généralisation de la pratique de contractualisation qu’une autre caractéristique du régime universitaire néo-libéral prend donc forme : la surveillance accrue de l’activité universitaire par le biais des évaluations de plus en plus envahissantes. Il y a en quelque sorte un double mouvement concernant les Universités : à la fois un retrait de l’Etat pour ce qui concerne le financement des activités universitaires (le financement par étudiant décroît) poussant les Universités elles-mêmes à faire des économies (de coûts de travail, par exemple, par l’embauche de salariés précaires) ou à générer de nouvelles recettes ; et un renforcement du rôle de l’Etat quant à l’organisation même du travail universitaire, soumettant les universitaires à la double pression de la « culture des résultats » pour ce qui concerne le travail de recherche et de la « qualité du service rendu » en invitant les étudiants à évaluer les bénéfices obtenus de telle ou telle formation et la performance de tel ou tel formateur.

Si la législation de 1988 fut un moment marquant dans l’évolution des universités britanniques, beaucoup des changements qui ont profondément modifié la pratique universitaire ont été introduits (et internalisés) par touches successives, suivant la marche générale de la société britannique en pleine transformation néo-libérale. Le modèle de l’entreprise privée devient peu à peu prédominant : les universitaires sont priés de s’y conformer en rendant compte de l’utilité économique et de la rentabilité de leurs formations, en recherchant eux-mêmes des sources de financement, public ou privé, à leurs activités de recherche, et tenant le plus grand compte de ces nouveaux « consommateurs » que sont leurs étudiants. C’est aussi à partir de cette époque que les Universités britanniques développent une pratique de lobbying au sein des institutions européennes, recrutant des spécialistes chargés de récolter des fonds européens, qui viendraient combler le manque à gagner national.

La question des frais d’inscription

Etant donné les contraintes imposées par l’austérité gouvernementale des années Thatcher et la difficulté rencontrée par certaines filières (en sciences humaines par exemple) pour trouver des sources satisfaisantes de financement en dehors de celui fourni sous condition par l’Etat, la question de l’augmentation des frais d’inscription devenait incontournable comme suite logique au tarissement du financement public. Ce tarissement se fait d’autant plus sentir que, par une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur de 1992 (Higher Education Act), la distinction entre universités de plein droit et « Polytechnics » disparaît et toutes les institutions de l’enseignement supérieur britannique se trouvent en concurrence accrue pour des fonds publics dispensés au compte-goutte.

La question de l’auto-financement partiel par le biais des frais d’inscription n’a été tranchée qu’après le départ des Conservateurs en 1997, sans doute parce que ces derniers craignaient les effets négatifs d’une telle mesure sur leur base électorale – les couches moyennes étaient effectivement en ligne de mire - déjà fragilisée par la récession du début des années quatre-vingt-dix. Le deuxième gouvernement de John Major (1992-1997) avait néanmoins commandité une série d’études sur l’état de l’enseignement supérieur britannique à une commission sous la direction de Ronald Dearing, ancien chancelier de l’Université de Nottingham, qui rendit son rapport en 1997 au nouveau gouvernement néo-travailliste. Celui-ci s’est empressé d’abonder dans le sens du rapport Dearing qui préconisait, entre autres, la fin de la gratuité des études pour les étudiants britanniques et une augmentation significative des frais d’inscription universitaires, qui pourraient prendre la forme de prêts remboursables après la fin des études. Intéressant à cet égard est l’argumentaire néo-travailliste en faveur de l’augmentation des frais d’inscription. C’est en mobilisant la rhétorique de l’« équité sociale » que les blairistes ont défendu cette mesure, arguant du fait que les enfants des couches moyennes et supérieures de la société britannique étaient sur-représentés dans la population estudiantine et que ceux et celles qui passaient par l’université avaient la garantie (statistique) d’un revenu relativement plus élevé que ceux et celles qui n’avaient pas cette chance. Il s’agissait donc, selon l’argumentaire néo-travailliste, de faire assumer un investissement dans l’avenir à ceux qui avaient largement les moyens de le faire (argument déjà employé par Keith Joseph, le mentor intellectuel de Margaret Thatcher lors des débats internes au parti conservateur sur cette question au début des années quatre-vingts).
Cette mesure va non seulement profondément diviser le parti travailliste lors de la discussion parlementaire sur la question, qui vit une partie des députés travaillistes voter contre leur gouvernement, mais va constituer une divergence importante entre le gouvernement et les syndicats de l’enseignement supérieur (enseignants et étudiants). Comme on pouvait s’y attendre, une fois le principe d’une augmentation significative des frais d’inscription admis, le montant maximal de ces frais est devenu une pomme de discorde permanente entre les gestionnaires universitaires (et surtout ceux du Russell Group qui réunit un certain nombre d’universités aux ambitions internationales) soucieux de maximiser les rentrées financières et les organisations syndicales des enseignants et des étudiants britanniques. De £1000 en 1998, on est passé à £3000 en 2004 (Higher Education Act) et il est question aujourd’hui de porter les frais maximum à £5000 voire £7000 par an. Au sein du Russell Group l’idée d’une libéralisation totale des frais d’inscription gagne d’ailleurs du terrain.

Conclusion

On voit ici que bien avant le déclenchement du « processus de Bologne », qui date de la fin des années quatre-vingt-dix et qui a conduit aux « reformes » Pécresse, le système universitaire britannique avait subi une transformation dont vont s’inspirer les néo-libéraux européens : retrait du financement étatique ; surveillance accrue des activités universitaires (et diminution parallèle de l’autonomie intellectuelle des universitaires) ; privatisation partielle par le biais à la fois des partenariats public-privé (dont les gouvernements successifs de Blair et de Brown ont été les grands promoteurs) et recherche de financements privés ; transformation managériale des modes de gestion universitaires ; destruction du statut et de la sécurité d’emploi des enseignants chercheurs ; augmentation vertigineuse des frais d’inscription étudiants avec une focalisation particulière sur des étudiants étrangers perçus comme des ressources financières privilégiées . Le climat général dans lequel se déroule l’activité universitaire a également changé : les universitaires britanniques sont désormais sommés, par leurs propres administrateurs autant que par les gouvernements successifs, d’être attentifs aux débouchés économiques de leurs recherches, à la « pertinence » de celles-ci. Ils subissent en même temps des pressions provenant de la transformation des étudiants en consommateurs . Force est de constater que malgré quelques résistances syndicales et un mécontentement diffus dans tout le système universitaire britannique, un nouveau sens commun néo-libéral fraye son chemin, selon lequel il n’y aurait pas de salut hors la concurrence généralisée. Dans ce système concurrentiel, qui joue les universités et les universitaires les uns contre les autres, il y a bien sûr toujours chez certains l’espoir d’être du côté des gagnants dans la course au financement (c’est l’ambition revendiquée du Russell Group), même si, pour la grande masse des universitaires britanniques et leurs étudiants, un tel espoir est statistiquement peu fondé.