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Masterisation : les futurs enseignants inquiets - Louise fessard, Médiapart, 14 décembre 2009

lundi 14 décembre 2009, par Laurence

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Sur le site aixois de l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) d’Aix-Marseille, les étudiants sont les premiers à critiquer la formation actuelle, jugée trop théorique. « On a passé la matinée à analyser des manuels mais ça ne me dit rien sur comment je vais m’en servir demain dans ma classe, témoigne Emmanuelle, 24 ans, une professeur des écoles stagiaire. Il y a un décalage entre ce qui se passe sur le terrain – on est presque tous en ZEP – et des formateurs qui, pour certains, n’enseignent plus depuis longtemps. »

Certains préparent les concours de l’enseignement 2010 – c’est la dernière année qu’ils pourront les passer à bac plus trois, après la masterisation, ce sera bac plus cinq. Les autres, reçus aux concours 2009, comme Emmanuelle, sont fonctionnaires stagiaires, un tiers du temps devant une vraie classe et les deux autres tiers sur les bancs de l’IUFM pour apprendre le métier d’enseignant. Une année, rémunérée, qui sera supprimée par la réforme dès la rentrée 2010.

Beaucoup d’enseignants stagiaires ont l’impression d’avoir été parachutés dans une classe sans avoir les moyens pour faire face. « Les professeurs stagiaires sont très en demande d’outils et de pratique, confirme un autre instituteur stagiaire, Pascal Pons, 26 ans. Moi, ça va car j’ai fait de l’animation avant mais leur préoccupation immédiate va être : comment gérer le groupe classe et éviter qu’il ne parte en sucette ? » « On ne nous donne pas forcément les outils », dit encore Aurélie, elle aussi institutrice stagiaire.

Mais, loin de répondre à ces attentes, la réforme de la formation des enseignants va selon eux accentuer le problème. « Ce qui nous apporte le plus, c’est quand les maîtres formateurs viennent dans notre classe et qu’ensuite on analyse ensemble ce qui s’est passé », estime Emmanuelle. « Or, comme ça va maintenant passer par les universités, on va encore moins privilégier les stages et la pratique. »

Des masters généralistes

En dernière année de master, les étudiants devront désormais préparer un mémoire, suivre les cours d’un master 2 classique (mathématiques, lettres modernes, etc.), et se préparer à un concours, lui aussi très disciplinaire. « Tout ça dans la même année avec des gens qui travaillent et qui font des stages ! », souligne Matthias Perez, 25 ans, qui prépare le Capes d’histoire-géographie.

Les épreuves d’admissibilité sélectionneront « les élèves ayant le meilleur niveau scientifique dans la ou les disciplines concernées », précise bien le diaporama présenté le 13 novembre 2009 aux syndicats par le ministère de l’éducation nationale. Cette année de master 2 laissera donc peu de place à une formation professionnelle, réduite à des modules complémentaires qui devront, eux-mêmes, rester assez généralistes pour « permettre (aux étudiants) d’ajuster leur choix professionnel final, éventuellement en dehors de l’enseignement ». L’obsession de Valérie Pécresse et Luc Chatel semble avoir été d’imaginer des masters assez éloignés des métiers de l’enseignement pour ménager un maximum de portes de sortie aux étudiants qui échoueront au concours.

« Mais à quoi bon un master, s’il ne sert à rien ! », s’exclame une étudiante. Et, pour ceux qui réussiront les concours, seulement un tiers de l’emploi du temps de leur première année d’enseignant « sera consacré à parfaire leur formation professionnelle ».


« La pédagogie ne s’apprend pas dans un amphi »

Les stages sont eux aussi réduits à la portion congrue. Six semaines de stage en responsabilité – facultatives et payées 3000 euros – seront proposées au cours de l’année de master 2. Mais les étudiants ne savent pas quel retour ils auront sur ce stage au sein de la future formation prise en charge par l’université. « La pédagogie et la didactique, ça part d’une confrontation des expériences et des représentations, ça peut difficilement s’apprendre en amphithéâtre avec un maître de conférences qui n’a jamais été sur le terrain, estime Pascal Pons. S’il s’agit seulement de faire un stage pour faire un stage, sans sortir la tête du guidon et analyser avec quelqu’un d’extérieur les situations vécues, ça ne sert pas à grand-chose. »

Pour Matthias Perez, « la visée de ces stages est avant tout économique : il s’agit de nous faire remplacer des professeurs, sans avoir eu la moindre formation pédagogique ». Il déplore également la disparition de l’année rémunérée de fonctionnaire stagiaire. « C’était une année qui était payée et maintenant ça va être de notre poche », dit-il. « Il va y avoir une sélection sociale accrue. » Et Pascal Pons de conclure : « Le problème transversal, c’est la vision que le gouvernement a de l’enseignement : le prof parle, les élèves écoutent. »