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Lettre des enseignants-chercheurs du département de philosophie de l’Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II au président du jury de l’agrégation de philosophie (10 mars 2010)

lundi 15 mars 2010, par Laurence

Le Département de philosophie de l’Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand réuni le 10 mars 2010 a pris connaissance du texte de décret fixant par arrêté du 28 décembre 2009 les modalités d’organisation des concours d’agrégation, publié au J. 0. du 6 janvier 2010, et dont les termes lui inspirent, s’agissant de l’agrégation de philosophie, les plus vives et profondes inquiétudes et perplexités.

La modification de la nature de l’épreuve, présentée sans titre comme quatrième épreuve de l’oral, suscite en particulier l’étonnement et l’embarras le plus total quant à ce que pourrait être sa mise en œuvre, et l’inquiétude de voir transformées par arrêté ministériel en matières d’enseignement et base de sélection pour un concours de la fonction publique d’enseignement tel que l’agrégation, ce que le document de référence cité pour base de ce programme intitule « la compétence Agir en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable » (arrêté du 19 décembre 2006) .

Si en effet l’ensemble des autres épreuves est reconduit conformément aux usages précédents, une interrogation portant sur les « connaissances », mais aussi « les attitudes » et « les capacités » relevant de cette « compétence » est intégrée à titre de partie dans la 4e épreuve d’oral, et doit être préparée par les candidats en même temps que l’épreuve d’explication de texte étranger. La durée de cette épreuve se trouve portée à 2 heures de préparation en tout, et 1 h 20 de passage devant le Jury (contre 40 minutes pour les leçons et 30 minutes pour l’explication de texte en français). 20 minutes sont prévues pour la seconde partie, distribuée en exposé du candidat à partir d’un document fourni par le jury (de quelle nature ?) et dix minutes d’entretien (selon quelle déontologie ?). Le temps de l’explication de texte étranger est par ailleurs doublé, puisqu’il est décomposé en 30 minutes d’explication et 30 minutes d’entretien (pourquoi ici et en introduisant une différence avec l’autre explication de texte ? sera-ce devant un jury élargi à des non universitaires ou non philosophes ?).

Il est en effet préoccupant que cette adjonction d’une telle « matière » au programme puisse s’assortir d’une modification de la composition du jury : l’article 4 du décret prévoit que les membres nommés puissent être, outre les collègues jusqu’ici sollicités « des personnes choisies en fonction de leurs compétences particulières » ; et il faut noter que la faiblesse du coefficient attribué à cette partie d’ épreuve (4 points contre 16 sur 20 à l’autre partie) doit être relativisée par la disposition précisée à l’article 9 : « Les épreuves sont notées de 0 à 20. Pour toutes les épreuves, la note zéro est éliminatoire. Lorsqu’une épreuve comporte plusieurs parties, la note zéro obtenue à l’une ou l’autre partie est éliminatoire ».

Enfin, le référentiel visé sous l’appellation Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable dans le décret correspond, au sein du document d’ensemble formant un cadre commun à tous les corps d’enseignement primaire et secondaire qui «  justifie un seul référentiel de compétences pour tout type d’enseignant », au premier des titres de ladite « compétence professionnelle des maîtres ». Le Département de Clermont a plusieurs fois récemment exprimé ses réserves quant à l’introduction d’une formation professionnelle initiale extérieure à son offre de formation au sein même des parcours enseignement des Master. Il est inquiétant que la compétence retenue pour la sélection des agrégés soit celle qu’ils pourraient, à l’oral et hors anonymat, manifester, devant un jury éventuellement élargi, quant à leur connaissance des « valeurs de la République » décrites en leur contenu détaillé dans un arrêté ministériel, ainsi que de « la politique éducative de la France, les grands traits de son histoire et ses enjeux actuels », et quant aux « attitudes » pratiques, ici aussi détaillées, que ces connaissances exigeraient.

Le Département de philosophie de Clermont s’étonne donc autant qu’il s’inquiète de cette modification de l’organisation des concours, qui consiste à arrêter par décret, voire même au mépris des avis recueillis auprès des acteurs du système éducatif, non seulement une nouvelle organisation du concours de l’agrégation, mais le contenu de notre éthique professionnelle, et ce au moment même où il nous est imposé de contrôler la connaissance par les candidats de la tradition républicaine de transmission des savoirs et de liberté de pensée, et leur adhésion à cette tradition… Le Département espère au vu de cette adjonction, dont le ridicule dans la formulation le dispute trop à l’arbitraire pour qu’en soit sérieusement envisagée l’application, que le bon sens prévaudra autant que l’éthique dans le nécessaire réaménagement de ces dispositions. Prises à la lettre, elles risqueraient de plus de détourner de l’agrégation, jusqu’ici dans notre discipline admise à l’Université comme titre d’excellence, les meilleurs de nos étudiants, et ce au moment même où la pénurie de postes ouverts en philosophie pour l’entrée à l’Université ne permet en aucune façon aux universitaires responsables de se résigner à la disparition d’un des principaux débouchés professionnels stables pour les études universitaires au sein des Départements de philosophie.