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Passer de l’école pour tous à la réussite de chacun - Luc Chatel, Le Monde, 27 août 2010

vendredi 27 août 2010, par Chabadabada

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Depuis quarante ans, l’école républicaine a ouvert grand ses portes à tous ses enfants : aujourd’hui, deux tiers d’une classe d’âge atteignent le baccalauréat ; ils n’étaient que 21 % en 1970.

Si la bataille de la démocratisation est donc gagnée, force est de constater que la réussite scolaire n’est pas au rendez-vous pour chaque élève. Les tests Programme for International Student Assessment (PISA) révèlent une France du "grand écart", déchirée entre une élite réduite et une proportion croissante d’élèves en difficulté.

Comme l’a rappelé le récent rapport de la Cour des comptes, 40 % des bacheliers ont redoublé au moins une fois dans leur scolarité, 120 000 jeunes quittent chaque année notre système éducatif sans qualification. Symptôme de l’inégalité des chances : seuls 5 % des enfants d’ouvriers accèdent aux classes préparatoires. Ce n’est plus acceptable.

Parce que notre école constitue le creuset du pacte républicain et la matrice commune de notre citoyenneté. Parce qu’à travers ses valeurs, c’est notre vivre-ensemble qu’elle instaure, notre harmonie sociale qu’elle assure, notre identité commune qu’elle façonne. Parce que, comme le disait Hugo, "chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne".

Pire encore, cette situation est porteuse de dangers. Dans notre monde, toujours plus ouvert sur l’extérieur et tourné vers la connaissance, le diplôme constitue le meilleur rempart contre l’exclusion sociale, une redoutable arme anticrise, un sésame pour s’assurer un avenir serein.

Fabrique du citoyen, l’école doit aussi offrir à chacun une formation lui permettant de s’insérer dans la vie active. Peut-on par exemple évoluer dans le monde sans la maîtrise d’au moins une langue et un bagage minimal en économie ?

Mais, avant toute chose, pour que chacun réussisse à l’école, il faut que deux garanties soient à nouveau réunies.

La première garantie, c’est la maîtrise des fondamentaux par chaque élève, l’acquisition d’un bagage commun sans lequel aucun progrès n’est possible. Il n’est plus admissible que, dans un grand pays comme la France, trois millions de personnes soient en situation d’illettrisme. Voilà pourquoi j’ai lancé la grande bataille contre ce fléau, une bataille qui se joue dès le plus jeune âge.

Le second pilier, c’est un climat scolaire serein, favorable à l’étude. Pour assurer la sécurité dans chaque établissement scolaire, nous avons lancé un plan ambitieux, en actionnant tous les leviers : formation des enseignants, sécurisation des établissements, responsabilisation des parents, ouverture d’établissements de réinsertion scolaire pour les élèves très perturbateurs. Nous avons aussi ouvert le grand chantier des rythmes scolaires, afin de mieux articuler temps de l’école et vie de la société.

Au-delà des fondamentaux, l’école doit aujourd’hui relever trois défis.

Le défi de la personnalisation. Dans un contexte de grande hétérogénéité des classes, notre ambition est d’assurer la réussite de chaque élève, en soutenant ceux en difficulté tout au long de leur parcours et en rendant possible l’excellence pour chacun. Tel est le sens de l’aide individualisée à l’école primaire et de l’accompagnement personnalisé au lycée. Cette excellence se doit d’être multiple : nous avons rééquilibré les séries générales au lycée, rénové les voies professionnelles et technologiques, et nous ouvrons en cette rentrée onze internats d’excellence sur tout le territoire français.

Deuxième défi : l’autonomie. Sans jamais renoncer au caractère national des diplômes et programmes, nous voulons davantage miser sur les solutions locales : tout ne saurait se décider Rue de Grenelle ! Qui connaît mieux les élèves et leurs besoins que ceux qui les côtoient quotidiennement ?

Je veux que les établissements se saisissent des marges de manœuvre dont ils disposent pour expérimenter, innover, s’adapter. La réforme des lycées donne aux équipes pédagogiques l’opportunité de gérer un quart des heures qui leur sont dévolues en fonction de leurs besoins. Le nouveau programme collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite (Clair), inauguré cette année dans 105 établissements, bénéficie d’une autonomie élargie, à la mesure de l’enjeu. Il permettra en particulier aux établissements de recruter les professeurs sur profil.

Troisième défi, celui des ressources humaines. La grande force de ce ministère, sa première ressource, sa plus grande richesse, ce sont ses personnels. Des personnels qui seront mieux préparés par une formation prolongée d’un an méritent d’être mieux reconnus au sein de la société. Aussi ai-je lancé un nouveau pacte de carrière, qui a pour ambition de développer une véritable politique des ressources humaines : de nouvelles missions pour les enseignants, une mobilité facilitée et une revalorisation significative.

Ainsi, les nouveaux professeurs voient leur rémunération augmenter de 10 % dès le 1er septembre et, au total, c’est la situation financière de 200 000 enseignants qui va être revalorisée : en période de crise, quel autre pays peut se prévaloir d’une telle initiative ?

Tous ces défis reposent sur un changement dans notre manière d’appréhender la question scolaire. Sans bruit, une véritable révolution s’opère sous nos yeux. Une révolution copernicienne : nous sortons d’une approche quantitative du "toujours plus" pour aller vers le "toujours mieux".

Une révolution silencieuse : l’école a moins besoin de grands soirs que de petits matins quotidiens. Cette école de la réussite de chacun est entre les mains des acteurs de la communauté éducative : parents d’élèves, chefs d’établissement, acteurs locaux, élèves. Et surtout, elle est entre les mains des professeurs, détenteurs de la plus noble autorité qui soit : celle du savoir et de sa transmission.


Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale