Accueil > Revue de presse > Université : les drôles effets de la course à l’excellence - Jade Lindgaard, (...)

Université : les drôles effets de la course à l’excellence - Jade Lindgaard, Mediapart, 4 novembre 2010

jeudi 4 novembre 2010, par Elie

Deuxième article de la série "Université : les ratés de l’autonomie" publiée par Mediapart. Le premier peut-être lu ici.

Pour lire cet article sur le site de Mediapart.

Peu d’étudiants dans les rues contre la réforme des retraites : les campus ont-ils été pacifiés par la loi sur l’autonomie ? Deux ans après son adoption, un an après le plus gros mouvement de contestation universitaire depuis 1968, Mediapart enquête sur les ratés de la LRU. Après l’examen hier des conséquences de l’autonomie budgétaire, nous nous attardons aujourd’hui sur la deuxième contre-vérité de la communication triomphaliste du gouvernement : toute excellence est bonne à prendre.

- « Dans une société de la connaissance, le niveau d’exigence doit être plus élevé que jamais. Il n’est pas question de revenir sur cette notion d’excellence », Nicolas Sarkozy, vœux au monde de l’éducation et de la recherche, 11 janvier 2010.

Campus d’excellence, laboratoires d’excellence (« labex »), équipements d’excellence (« equipex »), primes d’excellence... « Plus rien ne se fait sans le label d’excellence, c’est ridicule » commente un maître de conférences de Rennes. « Oui, l’excellence, c’est mieux que tout... On nous prend vraiment pour des tartes ! » s’emporte un président d’université : « Je ne connais aucun universitaire qui est pour la médiocrité. » Le site Sauvons l’université a publié un poème satirique sur cette obsession de l’excellence : « T’es EXcellent, T’es plus EXCELLENT QUE LES AUTRES ! et surtout...Aboule tes PEPEX » et si tu échoues... « Fais-toi HARAKIREX ! ».

Avec la LRU, il est plus facile d’accorder des primes aux collègues les plus méritants ou les mieux appréciés. Résultat : « On passe des conseils d’administration entiers à discuter quelles primes on va attribuer à qui, décrit Bernard Dompnier, enseignant-chercheur à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. Dans ce contexte général, chacun joue contre tout le monde. Ça crée de drôles d’ambiances. »

Pour beaucoup, cette nouvelle règle de l’excellence se traduit par la mise en compétition des uns contre les autres. A Paris, un directeur d’UFR : « On est incités à la concurrence. C’est brutal. » Une compétition en partie organisée autour des classements des facs : « C’est comme les sondages, t’as beau pas y croire, tu ne peux pas les ignorer. » Sur son bureau, se trouve un dossier récapitulatif de l’insertion professionnelle de ses anciens étudiants. En 2009, 96% de ses élèves de 2007 avaient trouvé un travail. Excellent résultat. L’entrée de son master est très sélective : 400 candidats pour... une vingtaine de places. « J’ai voulu inscrire un Russe sans papiers. J’ai entendu dans le service que “ça ferait baisser les stats”. »

Pendant l’entretien avec Mediapart, soudain, le téléphone sonne. C’est la présidence de l’université qui veut faire inscrire une nouvelle élève dans son cursus. C’est l’épouse d’un élu. C’est hors délai. Mais l’enseignant acquiesce. La demande vient d’en haut lieu.

Autre exemple : des universités envisagent de proposer que le Grand emprunt finance un projet de mutualisation de leur abonnement aux revues en ligne, très onéreux. Valérie Pécresse les soutient. « Mais cette perspective a été critiquée au motif que cela impliquait trop de mutualisation, et pas assez de concurrence entre les universités », raconte, encore stupéfait, le président d’une université.

Etudiants sélectionnés sur CV

« C’est l’autonomie qui a permis de déclencher la révolution culturelle de l’université française », explique Valérie Pécresse aux Echos en septembre 2010. « C’est une révolution culturelle pour la communauté universitaire », acquiesce Michel Carpentier, secrétaire du Snesup de Paris-6 : « Les universités étaient gérées de façon un peu collégiale. Le président était un collègue. Maintenant, c’est un patron. »

A l’université Pierre-et-Marie-Curie, à côté des conseils traditionnels de l’université (CA, conseil scientifique, conseil des études et de la vie universitaire) sont apparus des « directoires ». Nommés par le président, ils préparent les décisions soumises aux conseils. « Dans les faits, les conseils sont mis sous tutelle », décrit Michel Carpentier, « car les directoires négocient directement avec les responsables de laboratoires au sujet par exemple des postes, ou avec les directeurs des départements d’enseignement sur les maquettes de cours. La décision de rendre Paris-6 propriétaire de ses locaux, la première université à s’être lancée dans ce processus, a été votée par le CA au printemps dernier. Mais les membres n’ont été prévenus que huit jours à l’avance et les autres conseils n’ont pas été consultés. » Les syndicats ont déposé un recours devant le tribunal administratif.

C’est aussi tout un vocabulaire managérial qui fait son entrée dans l’enceinte universitaire. L’incompréhension est parfois totale. Des établissements adoptent des « démarches qualité », révisent leur « offre de formation ». A Rennes, un philosophe et historien des maths reçoit une offre de formation « à l’utilisation de Business object niveau 1 ». Business object niveau 1 ? « Ne me demandez pas ce que c’est, cela doit sembler aussi incongru à la plupart de mes collègues. »

Dans l’UFR d’arts plastiques d’une université parisienne, les étudiants qui sollicitent une aide de l’école doctorale sont désormais sélectionnés au vu de leur CV, en fonction de leurs publications et de leurs expériences administratives. « On attend d’eux un niveau d’activités que les profs n’ont pas ! », s’inquiète un maître de conférences habilité : « Normalement, on choisit un étudiant pour la qualité de son projet de recherche et non pour la richesse de son CV ou de son carnet d’adresses. Mais la LRU et l’évaluation ont libéré des pratiques qui consistent à attribuer des contrats doctoraux pour des raisons qui n’ont strictement rien à voir avec ceux de la recherche... C’est une politique à court terme qui peut nous priver des meilleurs éléments et surtout qui accentuent les inégalités sociales : les étudiants brillantissimes dépourvus de moyens économiques sont contraints de réviser leur engagement dans la recherche. »

Traditionnellement, les promotions individuelles des enseignants-chercheurs sont examinées lors des conseils restreints, véritables institutions dans l’institution universitaire où les enseignants-chercheurs évaluent leurs collègues. C’est le sacro-saint principe de l’évaluation des pairs par les pairs. Or à Clermont-Ferrand, pour la première fois, le directeur général des services, c’est-à-dire un cadre administratif, a assisté au dernier conseil restreint : « C’est une dérive assez grave, analyse Bernard Dompnier. Ce ne serait venu à l’esprit de personne avant la LRU. C’est un tournant symbolique dans le fonctionnement de l’université. »

A Limoges, désormais, dans les maquettes des cours, face à l’intitulé des diplômes, il faut entrer le code « ROME » correspondant, c’est-à-dire le répertoire relatif aux fiches métiers de Pôle emploi. « C’est une logique adéquationniste, constate Frédéric Neyrat, maître de conférences en sociologie, on pousse à l’ajustement immédiat entre l’offre universitaire et le marché du travail. »

Lors d’une réunion avec le conseil général des Hauts-de-Seine, la présidente de Paris Ouest, Bernadette Madeuf, s’entend soudain demander : « Quelle est la contribution de l’université de Nanterre à la vie économique du département ? » D’abord interloqué, un responsable de l’établissement dit s’être ensuite « révolté intérieurement » : « Nous formons des étudiants dont certains vont exercer leur activité professionnelle dans des entreprises du 92. Mais pas tous. Nos diplômés vont à travers le monde. Imagine-t-on qu’on pose le même genre de question à Polytechnique, sa contribution à la vie économique de Massy-Palaiseau ? »

Demain, troisième et dernier volet : la face obscure de la « fierté retrouvée ».