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Lettre ouverte sur les « investissements d’avenir » aux Présidents d’Université, aux directeurs d’organismes et aux Conseils centraux de ces établissements - SLU et SLR (12 novembre 2010)

dimanche 14 novembre 2010

Le gouvernement entend faire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche l’une de ses grandes priorités. Peut-on sérieusement parler de priorité quand il s’agit en fait de la part de l’État d’un désengagement progressif du financement de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ? Dans la logique de sa politique d’ « autonomie », le gouvernement, plutôt que d’augmenter le budget propre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, fait appel à une procédure exceptionnelle – le Grand emprunt – qui lie une partie du financement des établissements aux revenus des intérêts du capital apportés par cet emprunt.
Le premier appel d’offre né de ce Grand emprunt, l’« Equipex », ouvert début juillet, s’est achevé le 15 septembre. Il fut immédiatement suivi de l’appel d’offre « Labex » avec les mêmes délais intenables pour les candidats, puis de celui « Idex ». Outre ce rythme scandaleux et contraire à toute éthique scientifique, la procédure dans son ensemble est inacceptable : elle entraîne un bouleversement radical des structures de la recherche française (en contournant les conseils centraux des universités et toutes les instances élues de la recherche et de l’enseignement supérieur), une concentration des moyens, une modification de la nature des financements de la recherche (avec une place primordiale accordée aux logiques du secteur privé), ainsi qu’une remise en question de l’autonomie scientifique réelle des universités et de la capacité pour les Établissements Publics Scientifiques et Techniques d’avoir une politique scientifique propre.
En raison de l’ensemble et de la gravité de ces enjeux, il importe que les Présidents d’Université, les Directeurs des grands organismes et les conseils centraux des établissements prennent aujourd’hui position et apportent en urgence des éléments de réponse à des questions fondamentales.

Acceptez-vous la logique du Grand Emprunt qui vise à déstructurer complètement la recherche française actuelle et à recomposer ses structures ?

Les « Investissements d’avenir », à travers l’ensemble des appels à projets — Equipex/Labex/Idex/IHU/IRT/SATT — prévus pour une durée de 10 ans, vont inévitablement bouleverser la structure de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, déjà soumise à une recomposition permanente depuis quatre ans. Devant les annonces répétées d’une volonté de simplification, on ne peut que s’étonner de voir les structures se multiplier, s’empiler les unes sur les autres, au risque d’une incohérence globale.
Les « investissements d’avenir » donnent une priorité à la valorisation scientifique à court terme, justifiant ainsi l’introduction massive de représentants du monde de l’entreprise dans les conseils des universités et des organismes. Cette orientation, si elle devient excessive, comme cela va être le cas, constitue un danger pour la recherche fondamentale et la crédibilité de la démarche scientifique.
Devant cette réorganisation, une double inquiétude se manifeste dans l’ensemble des universités et des organismes de recherche. Quel avenir pour l’écrasante majorité des laboratoires, des UMR et des équipes qui ne seront pas sélectionnés à l’issue du concours ? Quel avenir pour les disciplines et leur indépendance, quand les « investissements d’avenir » privilégient l’interdisciplinarité ?

Est-il acceptable de mettre en œuvre des « investissements d’avenir » sans réflexion collective préalable ?

Face à l’urgence proclamée, nombreux sont celles et ceux qui se sont engagés dans la mise sur pied de ces projets, souvent dans une certaine opacité, sans prendre le temps d’une réflexion collective sur l’impact de cette opération, en particulier en ce qui concerne l’avenir des personnels, qu’ils soient impliqués ou non dans les structures qui émergeront. L’ensemble de la procédure favorise une concurrence délétère entre les individus d’une part, les laboratoires d’une même université d’autre part, et enfin, entre les universités. Ces questions sont particulièrement critiques dans le cas des personnels technique et administratif, des doctorants et post-doctorants qui, souvent, n’ont même pas été informés.
La reconstruction de l’ensemble de l’Enseignement Supérieur et la Recherche commencée depuis quelques années, et qui s’accélère aujourd’hui avec l’opération « investissements d’avenir », doit impérativement faire l’objet d’une réflexion collective étalée dans le temps. Que penser en effet d’une réforme qui a pour objectif de reconstruire, quand, en pratique elle s’appuie sur l’exclusion d’une partie des personnels ?

Comment réagissez-vous face à l’affaiblissement de la gouvernance des universités et des organismes qu’entraînent les « investissements d’avenir » ?

La mise en œuvre du Grand emprunt amplifie le contournement des conseils centraux des établissements, largement dessaisis de leurs prérogatives en matière de définition des politiques de recherche et favorise la cooptation ainsi que l’opacité des prises de décision. Par ailleurs, les instances des organismes de recherche (conseils scientifiques) et le comité national de la recherche scientifique qui pourraient effectuer en amont une expertise scientifique nationale et indépendante du pouvoir politique ne sont absolument pas consultées. La procédure mise en place accentue la concentration des moyens du CNRS vers quelques pôles d’excellence, tendance avalisée par la récente signature de l’accord cadre entre le CNRS et la CPU.
Ne revient-il pas aujourd’hui aux Présidents d’université et aux dirigeants d’organisme de réaffirmer la place et le rôle de leurs conseils centraux (CA et CS) dans l’élaboration de choix stratégiques nationaux qui ne sauraient être délégués aux seuls acteurs de l’économie ?

Les modalités d’évaluation pour ces « investissements d’avenir » sont-elles légitimes ?

En raison de l’ambition affichée pour ces investissements, on aurait pu s’attendre à la mise en place de procédures de sélection d’une grande transparence. La méthode retenue est pour le moins complexe : la première condition d’éligibilité repose sur l’évaluation des laboratoires par l’AERES, qui reste contestée par l’ensemble de la communauté. S’ensuit une série d’étapes qui font intervenir un jury international pour juger de « l’éligibilité des projets », des experts extérieurs au jury pour « élaborer des avis », un comité de pilotage « pour examen » du rapport fait par les instances précédentes pour qu’enfin une décision soit prise par le Premier ministre, après avis du Commissariat Général à l’Investissement — dirigé par René Ricol, expert comptable — sur proposition du comité de pilotage.
Un tel processus vous semble-t-il capable d’apporter les garanties d’excellence scientifique que vous revendiquez pour vos établissements ? Pensez-vous même que cette procédure d’évaluation, sans précédent dans l’histoire, puisse être, selon la volonté du Premier ministre, une garantie de « retour sur investissement » ?

Alors que certains semblent encore éblouis par les perspectives grandioses ouvertes par ce Grand emprunt, nous sommes nombreux à ne pas partager cet enthousiasme et à nous interroger sur les perspectives d’avenir qui en découleront. Cette interrogation est d’autant plus légitime, que l’Elysée a d’ores et déjà annoncé que les intérêts du Grand emprunt seront compensés par une réduction des dépenses courantes, ce qui revient à reconnaître que la part du budget de l’État consacré à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche va diminuer. L’urgence ne saurait justifier que ces interrogations profondes ne trouvent aucune réponse auprès des responsables actuels de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Par ailleurs, nous allons sous peu assister à la mise en place du dernier étage de la fusée « investissements d’avenir » avec l’appel d’offre « Initiatives d’excellence » qui aboutira à la sélection de « 5 à 10 pôles pluridisciplinaires d’excellence ». Les conséquences sur la carte des universités qui en résultera seront dramatiques.
Alors que vos positions à la tête de nos universités et organismes de recherche publique vous donnent une responsabilité certaine dans la définition de notre politique d’enseignement et de recherche, il nous semble indispensable que vous ne soyez pas dessaisis de toute marge de manœuvre, et il serait préjudiciable pour l’avenir de tous que vous ne puissiez pas, avec l’appui de l’ensemble de la communauté, offrir une réelle vision d’avenir pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche. À cette fin il est plus que temps qu’une réelle concertation soit mise en place, avec pour point de départ les conseils centraux des universités et organismes de recherche publiques que vous dirigez.

Sauvons l’Université !
Sauvons la Recherche !

Ce texte est également en ligne sur le site de SLR.