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Prime d’Excellence Scientifique : lettre ouverte à la communauté universitaire de Sarah Hatchuel, professeur à l’université du Havre (13 décembre 2010)

lundi 13 décembre 2010, par Laurence

Sarah Hatchuel
Professeur de littérature anglaise
Laboratoire GRIC, Université du Havre
shatchuel@noos.fr

10 décembre 2010

Cher-e-s collègues,

L’université du Havre a encouragé ses enseignants-chercheurs à demander la Prime d’Excellence Scientifique (PES) car le nombre de demandes était apparemment un indicateur de performance de l’université. Ne voulant pas nuire à la collectivité, j’ai fait cette demande.
On m’apprend aujourd’hui que j’ai obtenu cette prime. Je ne peux, cependant, cautionner la politique qu’elle véhicule.
Cette prime porte un nom, « Excellence », qui a été décliné pour désigner tous les projets (Laboratoires d’Excellence, Equipements d’Excellence, Initiatives d’Excellence…) visant à désorganiser, voire à faire éclater, un modèle scientifique fondé sur la coopération et le financement public pérenne. Ce nom « Excellence » est devenu synonyme de concurrence acharnée entre des établissements qui se battent, paradoxalement, pour avoir le privilège de devoir trouver des financements privés correspondant à plusieurs fois la mise que l’Etat versera (Partenariats Public-Privé).
Cette « Excellence » contribue à couper la communauté scientifique en deux. Il y aurait les chercheurs « excellents », qui obtiennent des primes, et les « autres ». La recherche scientifique, qui se nourrit de confiance, de contacts et de coopérations, ne sortira pas grandie de cette individualisation des récompenses et des carrières.
Cette prime, d’un montant de 5.400 euros à l’université du Havre, est à comparer à la dotation initiale de certains laboratoires. L’équipe d’accueil GRIC en lettres, langues et SHS reçoit, par exemple, 17.000 euros par an, soit environ trois fois le montant de cette prime pour… 31 membres permanents et 8 doctorants. Une dotation qui invite les chercheurs à chercher… des financements sur contrats.
Pour concilier mon attachement à l’université du Havre et mon profond rejet de la politique actuelle, je ne vois qu’une solution : demander que ma PES soit versée au laboratoire GRIC dont je fais partie.
La communauté scientifique n’a pas besoin de perdre son énergie dans la recherche constante (et souvent vaine) de moyens. Elle a besoin de financements pérennes. Elle a besoin de temps. Elle a besoin qu’on la reconnaisse à sa juste valeur. Et la reconnaissance des personnels ne devrait pas passer par des primes individualisées mais par une revalorisation importante des salaires de toutes et tous – enseignants-chercheurs et administratifs. Car la recherche est et restera une œuvre collective, d’intérêt public.

Bien cordialement,
Sarah Hatchuel