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Universités : les premiers dégâts de l’autonomie - Laurent Mouloud, L’Humanité, 6 janvier 2011

samedi 8 janvier 2011, par Mathieu

Présentée par le gouvernement comme un remède miracle, l’autonomie est lourde de dangers : cadrage des activités, concurrence faussée entre facultés, gestion entrepreneuriale, influence grandissante des entreprises…

« Ce qui se passe dans les universités est absolument extraordinaire  », s’enflamme régulièrement Nicolas Sarkozy. Trois ans et demi après son adoption, la loi libertés et responsabilités des universités (LRU) est devenue l’un de ses thèmes favoris. Et alors que 22 facs sont passées à «  l’autonomie  » le 1er janvier, portant le total à 73, le chef de l’État entend bien faire passer cette réforme pour l’une des grandes réussites de son quinquennat. Seulement voilà, la communauté universitaire, largement mobilisée contre la loi LRU en 2009, est loin de partager son enthousiasme. Et constate, jour après jour, les premiers effets délétères de ce détricotage sans précédent de l’université et de la recherche publique.

Selon les termes de la loi LRU, les 73 établissements «  autonomes  » gèrent désormais eux-mêmes leur budget et leurs ressources humaines. Une autonomie toute relative : la majeure partie des financements reste attribuée par l’État, via une dotation globale accordée au cas par cas, selon des critères de «  performance  », aussi bêtement quantitatifs que le nombre de chercheurs publiant. «  Loin de se préoccuper des besoins de chaque établissement, le gouvernement impose le cadrage de toutes nos activités, dénonce Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup-FSU. En fait d’autonomie, on n’a jamais été aussi dépendant financièrement !  »


dotation de l’État sous-estimée

À ce petit jeu, certaines universités, plutôt riches, plutôt tournées vers les sciences « dures » et plutôt proches du monde économique, semblent bénéficier de ces allocations de moyens indexées sur «  l’excellence  » et la rentabilité scientifique. Tandis que d’autres, plus petites, commencent à craindre pour leur avenir. Dans plusieurs établissements, la dotation de l’État, censée couvrir la masse salariale, s’est révélée largement sous-estimée. Mi-décembre, l’université de La Rochelle a été contrainte de repousser le vote de son budget 2011, accusant un manque à gagner de 575 000 euros. Même problème à Limoges, à Toulouse-III, ou à Nice.

Le ministère de l’Enseignement supérieur relativise, invoquant «  des cas particuliers  ». N’empêche. Ces difficultés budgétaires donnent du crédit à tous ceux qui reprochent à la loi LRU d’instaurer une université à deux, voire à trois vitesses. Même la très conciliante Conférence des présidents d’université s’inquiète du financement insuffisant de l’État.

Dans ce contexte, Pascal Binczak, président de Paris-VIII et hostile à la LRU, redoute le sort réservé aux universités spécialisées en sciences humaines et sociales. «  À la différence des sciences dures, elles n’ont pas beaucoup de contrats de recherche et peuvent difficilement combler les trous budgétaires avec des ressources extérieures et la création de fondations que permet la LRU. Elles dépendent à 95 % de cette dotation dont l’avenir est loin d’être assuré…  » Même incertitude pour les 115 instituts universitaires de technologie (IUT) qui s’estiment «  lésés financièrement  » et rêvent désormais de prendre leur indépendance vis-à-vis de l’université.

Sur le fond, de nombreux enseignants et chercheurs vivent très mal l’irruption de cette logique entrepreneuriale et utilitariste au sein d’universités sommées d’entrer en concurrence. «  Cette démarche est dangereuse et absurde, souligne Pascal Binczak. La recherche a parfois besoin de temps et de tâtonnements.  »

Qu’importe. Dans la droite ligne de la stratégie européenne de Lisbonne, qui vise à placer la recherche au service du dynamisme économique, la réforme décline dans les établissements des modes de gestion propres aux sociétés du CAC 40. Le conseil d’administration, resserré à une trentaine de membres et comprenant «  au moins  » un dirigeant d’entreprise, est devenu l’instance de pilotage de l’université, avec un président grimé en PDG centralisant l’essentiel des pouvoirs. C’est lui notamment qui embauche, promeut et distribue les primes aux chercheurs «  les plus méritants  »… Pour Stéphane Tassel, « la mise en concurrence et l’individualisation de la reconnaissance mettent à mal la démocratie universitaire ».

un partenariat avec le Medef

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