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"Le Plan Campus choie les plus grosses villes, mais Paris attendra"

par Sylvestre Huet, "Libération" du 30 mai 2008

dimanche 1er juin 2008, par Laurence

Hier, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, annonçait les premiers lauréats du « Plan Campus » : Lyon, Toulouse, Bordeaux, Grenoble, Strasbourg et Montpellier. Comme le gouvernement avait annoncé qu’il voulait concentrer les « 5 milliards d’euros » dégagés par la vente de 3 % du capital d’EDF sur une dizaine de sites, quatre autres seront sélectionnés par le jury d’ici à la mi-juillet.

Concentration. L’habillage de l’annonce par la ministre fut très politique. C’est une décision « du président de la République » , a-t-elle martelé. Une « nouvelle étape dans la modernisation de l’Université », qui a été négligée par le passé. Et de vanter la procédure choisie - « un appel d’offres avec des critères publics et un jury international » , loin des « procédures unilatérales et opaques du passé » (et bing sur les plans Université 2000 et U3M lancés par Jospin et Allègre en 1990 et 1998). Cette posture s’explique par la crainte de voir une « bonne nouvelle » (de l’argent pour l’Université, qui en a bien besoin) se transformer en polémique antigouvernementale. Elle ne proviendra pas, évidemment, des six lauréats de province qui vont bénéficier d’un financement conséquent pour améliorer les conditions de travail et de vie des enseignants, des chercheurs et des étudiants. Leur liste indique clairement que le gouvernement a voulu privilégier les grosses universités et, parmi elles, celles qui ont répondu le plus vite à la logique de concentration-constitution de Pres (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) ou de fusion des universités, comme à Strasbourg. Une volonté qui a joué contre les demandes lilloises ou parisiennes (Paris Centre et Saclay), accusés de n’avoir su se concerter. Jacques Erschler, le président du Pres de Toulouse, se réjouit de pouvoir « rénover les bâtiments vétustes du site de Rangueil et du centre-ville, construire 100 logements d’accueil pour des chercheurs, un centre de recherches en nanotechnologies, mais aussi un lieu de débat et de culture scientifiques et un complexe sportif ».

Partenaire privé. Mais la présentation ministérielle n’évitera pas les polémiques. Sur l’ampleur réelle de l’effort, d’abord, où une comparaison s’impose. En 1990, le gouvernement avait débloqué plus de 6 milliards d’euros (plan université 2000). Puis, en 1998, le plan U3M dégageait une somme similaire, provenant pour la moitié des régions. Là, 5 milliards sont promis, mais sont pour l’instant limités aux 3,74 milliards recueillis lors de la vente des actions EDF. Surtout, il ne s’agit pas de crédits qui seront distribués tels quels. Placés, ils généreront « environ 200 à 250 millions par an », précise Jean-Philippe Saint-Martin, directeur adjoint du cabinet de Valérie Pécresse. Les opérations devront donc être financées par un partenaire privé (banques, Caisse des dépôts…) qui prendra en charge l’investissement initial et les frais de maintenance durant vingt-cinq ans. Puis les bâtiments seront remis aux universités. Ces partenaires seront payés avec les 200 millions annuels... pendant la même période. Du coup, lorsqu’on lui demande combien d’argent sera réellement dépensé d’ici à la fin de la législature, la ministre répond… « le plus possible ». D’ailleurs, l’addition des projets retenus et des quatre à venir dépasse l’enveloppe prévue.

La concentration des moyens sur une dizaine de sites, alors que plus de quarante demandes ont été faites, a déjà été contestée par la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), qui regrette que « le fossé se creuse toujours plus entre les universités ». Et par l’Unef, qui s’inquiète « du devenir des universités des villes moyennes » , redoutant que « l’opération Campus ne soit un moyen autoritaire de restructurer la carte de formation ». De son côté, Jean Fabbri (SneSup-FSU) dénonce « une méthode d’affectation des moyens non concertée qui accentue les déséquilibres entre territoires, sans chercher à répondre aux objectifs de service public ».

Energivores. D’autre part, la ministre elle-même a lourdement insisté sur le critère de « vétusté des bâtiments » dans le choix du jury. Reconnaissant ainsi que l’essentiel de cet effort représente un rattrapage de nombreuses années de sous-financement, puisque les six lauréats retenus constitueraient « les deux tiers des 18 sites dont la situation avait été jugée préoccupante » par les services du ministère. A Strasbourg, on se prépare à raser les bâtiments de médecine, dangereux et énergivores. A Toulouse, Jacques Erschler précise que l’essentiel des « 170 millions d’euros qu’il attend du plan Campus sera consacré à la rénovation de vieux bâtiments construits dans les années 1960 ».