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Le premier lustre de l’École d’Économie de Paris - Marie-Phélice de Budos et Claude Fournier, site du SNCS, 24 février 2011

lundi 28 février 2011, par Bobby

pour lire ce texte sur le site du SNCS

L’Ecole d’Économie de Paris a été annoncée en septembre 2005 et créée le 21 décembre 2006 comme RTRA. Cette formule inaugurait la série des LABEX, IDEX et autres « EX », qui depuis ont fleuri. Ils ont d’ailleurs été produits selon les mêmes méthodes : appel à projet ciblé, jury « international » et de « très haut niveau » va sans dire, « gouvernance » digne de notre époque, c’est-à-dire déléguée à une fondation. D’où l’intérêt d’en tenter une sorte de bilan.

A l’époque, 2 RTRA ont été créés en économie, l’un à Toulouse, l’autre à Paris, avec 6 partenaires [1]. Les buts affichés par leurs promoteurs : grimper dans les classements bibliométriques, attirer les plus excellents économistes à l’échelle mondiale, notamment les jeunes espoirs et les exilés, et «  rivaliser avec les meilleures » [2] - on cite la LSE et la Kennedy School d’Harvard. Paris School of Economics prend donc la forme idoine, celle d’une fondation de coopération scientifique, afin « d’avoir recours au mécénat » [3]. Fait singulier, elle ne possède ni postes permanents - les gens signataires « EEP » sont rémunérés par les établissements supports du RTRA, qui évidemment sont leurs employeurs - ni programmes d’enseignement spécifiques - l’EEP labellise des diplômes existants. C’est donc une École sans profs ni étudiants mais avec des « vedettes américaines ».

Objectif n° 1 : l’aide au retour

« L’idée, c’[était] aussi de faire revenir en France certains de nos chercheurs installés aux Etats-Unis, de créer des chaires [4]. ». Qu’en est-il ? Les deux chaires créées accueillent des invités temporaires (pour des périodes de quelques jours à quelques semaines) et non des chercheurs français expatriés. A côté de ce dispositif, il existe également des « chaires associées », moins prestigieuses et moins bien dotées. Le solde des Français revenu des Etats-Unis (qui seraient d’ailleurs peut-être revenus sans cela) semble faible : un professeur à Harvard est régulièrement invité, un ancien de la Banque mondiale s’est installé Boulevard Jourdan. Entre-temps, l’EEP a perdu 4 chercheurs au profit de Sciences Po.
Pourquoi ce décalage entre les attendus et les résultats ? Les dix millions de dotation ont été répartis par cooptation, comme le prouve la liste des titulaires des « chaires associées » qui appartenaient aux institutions fondatrices avant 2005. Le problème n’est donc pas tant le nombre des millions que leur utilisation arbitraire et opaque. Pour preuve, deux des chercheurs, parmi les plus brillants spécialistes de la décision économique l’ont quitté en 2009 pour aller vers des institutions qui ne pratiquent pas une politique de primes discrétionnaires.

Objectif n°2 : les étudiants

En septembre 2005, un des fondateurs déclarait à l’AEF : « Ce site regroupe actuellement 160 chercheurs, enseignants-chercheurs et administratifs et 300 étudiants. Le but est de compter à terme 300 chercheurs et enseignants-chercheurs et 900 étudiants. » Pourtant, en janvier 2009, l’observatoire Boivigny [5] y comptait 124 chercheurs, 250 étudiants, 100 doctorants. En 2010, Le Parisien [6] avançait les mêmes chiffres, sauf pour les chercheurs, qui étaient « plus de 100 ». La création d’un nouveau master (Politiques Publiques du Développement) en 2007 (en plus des deux masters déjà labellisés) n’a donc pas accru le nombre d’étudiants. De toutes façons, la politique de formation de l’EEP est malthusienne et préfère se concentrer sur des contrats susceptibles d’apporter des ressources à redistribuer...

Objectif n° 3 : le mécénat

L’appel au mécénat était présent, on l’a vu, dès la naissance du projet et justifiait le fait de créer une « fondation ». Le site web offre encore une touchante rubrique « devenez partenaires », qui présente les « avantages fiscaux » liés à un investissement dans PSE. Malgré tous les soins prodigués aux mécènes à venir, les deux seules chaires créées l’ont été par des organismes publics, ce qui témoigne d’un enthousiasme plutôt modéré des donateurs privés...


Objectif suprême : les classements internationaux

Dans les classements internationaux, l’EEP ne concourt ni avec les universités ni avec les business schools, mais avec les départements d’économie. Si on en croit le classement REPEC, elle est aujourd’hui au deuxième rang français derrière Toulouse School of Economics. Ce serait un résultat encourageant si Paris-Jourdan Sciences Économiques, une des principales UMR composantes de l’EEP, n’avait pas été devant Toulouse jusqu’en janvier 2009... Ceci dit, l’EEP étant une fondation dont les collaborateurs appartiennent tous à d’autres structures, est-il légitime de la faire figurer dans un classement ?

Moralité

L’argent ne fait pas le bonheur, même pour les économistes. La plus grande opacité règne autour du budget collecté et dépensé, même pour les mécènes et les établissements fondateurs. Les « positions » des membres de cette Ecole qui ne dispose pourtant pas d’emplois (on peut y émarger au titre d’une chaire ou d’une chaire associée, professeur associé, chercheur associé, chercheur affilié, les doctorants ont aussi 3 appellations différentes, etc.) ne sont pas expliqués sur le site de PSE, ni quant à la nature et aux implications de ces différentes appellations, ni quant aux procédures de candidature... La transparence n’est pas dans la culture de cette école qui cultive les codes dans l’entre-soi : tout économiste sait pourtant que les incitations, pour être efficaces, doivent être connues. On ne fabrique donc pas l’excellence à coup de millions dépensés arbitrairement, sans démocratie ni information parmi les personnels.


[1CNRS, EHESS, ENPC, ENS-Ulm, INRA, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

[2C’est le titre de l’article de Libération du 1er octobre 2005

[3Dépêche AEF du 29-09-2005.

[4Le Nouvel Observateur, jeudi 20 oct 2005.