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Pour l’avenir de l’Université Paris Sud, contre les ravages de « l’excellence » gouvernementale. Texte du Collectif Orsay en lutte, soutenu par SLR, CNT Orsay, SNESup, SNCS Vallée, SUD Recherche P11, SUD Education P11… 4 juin 2011

samedi 4 juin 2011

Ce texte sera ouvert aux signatures par voie électronique en début de semaine prochaine (7juin), à consulter par le lien suivant :
http://www.orsayenlutte.info/?p=3481

1. Principes d’une Université ouverte

Nous défendons le principe d’une Université ayant pour mission, indépendamment de tout
pouvoir économique, technocratique ou idéologique, d’accroître la connaissance et de la transmettre
au plus grand nombre, et de développer le sens critique de chacun dans une perspective
émancipatrice, en s’appuyant notamment sur la formation par la recherche. La priorité première pour
l’Université est d’offrir, par la diversité des cursus qu’elle propose, fondamentaux comme
appliqués, la possibilité à chaque étudiant d’aller le plus loin possible en fonction de ses choix et de
ses capacités. L’insertion professionnelle des étudiants doit également être prise en compte, par des
formations spécifiques, mais en aucun cas l’ordre des priorités ne doit être inversé. Par ailleurs
l’Université n’est ni au-dessus ni à côté de la société. C’est un service public. Elle a des comptes à
rendre aux usagers, aux citoyens dont elle dépend, sur ses missions, sur le partage de la science avec
le reste de la société. L’Université est par nature un lieu de débat, de libre expression et pensée.

Les prérogatives de l’Université, et en particulier la délivrance des diplômes de L, M et D
sont aujourd’hui remises en question au nom de l’ « excellence ». Or la qualité des formations repose
sur la qualité des contenus et sur la capacité à amener le plus grand nombre d’étudiants jusqu’au L3,
voire jusqu’au M et au D. A ce titre, la place du L est fondamentale en elle même, et en ce qu’elle
détermine la qualité des futurs étudiants de M et D. En aucun cas, la licence ne doit être mise de
coté pour mettre en avant une « Graduate school », creuset de masters et de doctorats, et qui
reproduirait aveuglément des schémas importés d’outre atlantique [1].

Pour ce qui concerne la recherche, la mission de l’Université est de développer celle-ci dans
toutes les disciplines présentes en son sein, en étroite coordination avec les EPST, sans donner la
priorité à des thématiques qui seraient définies en fonction de critères économiques et financiers,
qui peuvent à terme s’avérer éphémères. La culture de la recherche sur projets de court terme, qui a
été initiée dans la foulée du « Pacte pour la Recherche », puis amplifiée par la mise en place de
l’ANR et qui bat son plein depuis les appels d’offre EquipEX, limite les champs d’exploration. Sa
généralisation porte en germe la stérilisation de l’activité scientifique. Il suffit pour s’en convaincre
d’étudier la genèse des grandes découvertes du siècle précédent, ou d’écouter les chercheurs qui ont
abouti à des avancées majeures (ils sont plusieurs dans l’Université Paris Sud). Ils disent tous que
leurs travaux n’auraient pu être soutenus et se développer dans un cadre semblable à celui qui est
mis en place actuellement. Il faut ne rien comprendre à la recherche pour croire qu’elle est
gouvernable, contrôlable, et que les fleurs pousseront là où on l’a décidé ! La recherche est un
écosystème de la connaissance : c’est de sa diversité et de sa richesse que vient son développement.
La société peut légitimement définir des domaines prioritaires ; il n’en est pas moins nécessaire de
maintenir des laboratoires dans toutes les disciplines, correctement soutenus par des crédits
récurrents, et où des projets ambitieux, sur le long terme, peuvent être mis en oeuvre. Ces
laboratoires, uni- ou pluri-disciplinaires, sont les garants de la formation de jeunes chercheurs et de
la transmission du savoir. Une des chances - et un mérite - de l’Université Paris Sud est de
rassembler de nombreux laboratoires très reconnus sur le plan international, dans de nombreuses
disciplines. Cette richesse permet de plus de favoriser une véritable interdisciplinarité, comme en
attestent plusieurs projets qui se sont développés ces dernières années au sein de notre Université
notamment entre les sciences dures et les sciences de la vie. La démarche des LabEX, par son
caractère excessivement sélectif (7 LabEX sur 23 dossiers présentés ont été sélectionnés à Paris
Sud) et bêtement darwinien (financer les équipes dites « excellentes » et laisser tomber les autres)
risque d’aboutir à l’abandon de nombreux axes de recherche, ce qui serait à la fois un gâchis
considérable et une hypothèque pour l’avenir. L’Université Paris Sud doit tout faire pour éviter cela.

2. L’Université Paris Sud dans le projet Paris-Saclay

Notre Université doit affirmer ses prérogatives au sein du projet Paris-Saclay, dont la forme
actuelle a été imposée par la volonté du gouvernement, qui n’a pas jugé bon de consulter la
communauté scientifique. Nous devons prendre nos responsabilités face à un projet qui menace nos
conditions de travail et même nos capacités à remplir nos missions. Les statuts actuels de la FCS,
votés par le CA de l’Université le 13 Décembre 2010, sont totalement inacceptables. Ils donnent en
effet à la FCS, dans les faits, un rôle de gouvernance sur les grandes orientations scientifiques, par
le contrôle d’une part considérable des moyens financiers, tout en ne donnant à l’Université, aux
organismes, et aux membres élus par les personnels qu’une place ridiculement faible. A côté des
comités de pilotages dont la constitution et les missions sont définies par le règlement intérieur de la
fondation, les conseils scientifiques de département de la FCS donneraient une place prépondérante
à des personnalités n’étant pas elles-mêmes actrices des laboratoires du campus et nommées par le
président de la fondation. Il est par ailleurs symbolique que les personnels techniques soient
totalement absents des instances de cette fondation. A la suite de l’échec du premier projet IdEX
présenté par la FCS, pour lequel le jury a pointé l’absence d’un schéma de gouvernance
convaincant, il est à craindre que le deuxième projet soit encore durci et se place dans la logique
d’une « Advanced University », en complète contradiction avec les principes énoncés plus haut. Si
tel devait être le cas, nous appelons d’ores et déjà les personnels et les élus dans les conseils
centraux à se mobiliser pour s’y opposer.

L’indépendance de l’Université est gravement menacée dans ce projet Paris-Saclay. Cette
indépendance n’est possible que si d’une part les crédits ne sont pas conditionnés par des choix
thématiques ou idéologiques (ce qui n’empêche pas que les crédits soient évalués a priori et justifiés
a posteriori), et d’autre part si les rémunérations et les emplois des personnels ne dépendent pas de
leur allégeance au pouvoir politique ou économique (condition qui est à l’origine du statut de
fonctionnaire) ou simplement de leur soumission à la mode du moment. L’embauche de salariés sur
statuts précaires, au lieu de titulaires dont l’indépendance pourrait freiner la fuite en avant vers une
recherche purement finalisée, est au coeur des récentes réformes [2]. Cette volonté de flexibilité se
retrouve jusque dans le caractère éphémère donné aux équipes, laboratoires et thématiques. Nous
sommes au contraire convaincus que le statut des personnels (chercheurs, enseignants, IATSS, ITA)
doit, sauf exception à justifier, relever du statut de la fonction publique d’État pour garantir une
indépendance des orientations scientifiques et pédagogiques vis à vis de pressions privées ou
étatiques, ainsi que la qualité du service.

3. Pour un autre projet

3.1 Structures

La dichotomie qui existe en France entre Universités d’une part, et Grandes Ecoles (GE)
d’autre part est unique au monde et a de lourdes conséquences. Elle permet aux bons élèves au
niveau du Bac, le plus souvent issus des milieux favorisés, de trouver un emploi dans de très bonnes
conditions à Bac+5, sans avoir bénéficié d’une formation par la recherche, au détriment des jeunes
docteurs (à Bac+8). Mais elle pénalise également le monde industriel, dont les dirigeants, très
majoritairement issus des GE, sont peu enclins à s’engager dans des processus de recherche qu’ils
ne connaissent pas. Dans l’attente de décisions au plan national qui devraient, enfin, harmoniser ce
système en rapprochant Universités et GE – ce qui ne signifie en aucun cas décliner à l’université
les modes de « fonctionnement » des GE [3] – le site Paris-Saclay pourrait et devrait servir
d’expérimentation et de modèle puisqu’il a la chance de regrouper sur un même lieu une grande
Université et un grand nombre de GE. Les laboratoires de l’Université, qui concentrent la plus
grande part de l’activité de recherche, principalement fondamentale, sont le plus souvent mixtes avec le CNRS ou les autres EPST. Une partie des GE a également une activité de recherche, même
si bien souvent elle est, dans les faits, portée par le CNRS et les autres EPST. Ce dénominateur
commun constitue ainsi une chance pour favoriser les rapprochements. La recherche finalisée
devrait logiquement se développer par des collaborations entre l’Université et d’autres partenaires
du campus Paris-Saclay, GE ou sociétés privées.

Mais en aucun cas un organe de gouvernance tel que la présente FCS n’est acceptable. A
cette conception centralisée et managériale nous opposons l’idée que les relations entre les
différents partenaires présents sur le site Paris-Saclay doivent reposer sur des conventions ou
accords-cadres, à deux ou plusieurs partenaires, répondant aux besoins de la recherche et de
l’enseignement. Une telle structure de coordination n’a pas vocation à s’impliquer dans la gestion
des ressources humaines : elle doit rester un outil de soutien administratif et de gestion financière
pour les partenariats qui seront créés entre les différents établissements. Son rôle doit être purement
technique. Dans le même temps, de nombreuses mesures concrètes peuvent être envisagées pour faire
émerger et donner corps à une cohérence entre les différents partenaires. Certaines ont été avancées
par la Présidence de Paris Sud, comme la fédération des Ecoles Doctorales au sein d’un Collège
Doctoral unique, ou la mise en place d’un véritable Conseil Scientifique [4]. Nous considérons que ce
type de proposition va globalement dans la bonne direction, étant entendu qu’un tel conseil ne peut
être constitué que sur la base d’une élection par les pairs, aux antipodes de la conception de gouvernance
renforcée par un très petit nombre de « décideurs » au sein de l’actuelle FCS, et telle
qu’exigée par la logique IdEX. La mise en place d’un « Sénat » telle qu’elle a été évoquée par le
nouveau Président de la FCS, et qui serait constitué par les directeurs de LabEX est un détournement
scandaleux de cette idée, et est en complète contradiction avec les pratiques académiques
mondiales où les membres des Sénats Universitaires ne sont pas des dirigeants mais des scientifiques
choisis pour leur compétence et leur indépendance.

3.2 Infra-structures

Le campus d’Orsay a pour vocation de rester centré dans la Vallée, à la fois pour sa
proximité avec le RER et pour sa connexion, aussi modeste qu’elle soit, avec le tissu urbain d’Orsay
et de Bures. Le fait du Prince - la montée de l’ensemble de l’Université sur le plateau - est irréaliste
financièrement, absurde du point de vue des déplacements, scandaleux du point de vue écologique,
et peut-être même en contradiction avec les décisions du Grenelle de l’environnement et le maintien
de la « trame verte et bleue ». La seule étude de ces projets dictés par le pouvoir a déjà fait perdre
un temps précieux à la communauté universitaire. Il est grand temps de cesser de tirer des plans sur
la comète, de réfléchir aux évolutions possibles et souhaitables de la Vallée, ce qui n’exclut pas que
l’extension sur le plateau soit poursuivie de manière raisonnée : des besoins d’infrastructures
spécifiques peuvent se manifester, sur la base des développements scientifiques, et conduire par
exemple à la construction de nouveaux bâtiments qui ne pourraient trouver leur place que sur le
plateau de Saclay. La construction du Synchrotron SOLEIL, qui était au départ un projet des
scientifiques du LURE à Orsay, illustre bien ce type de démarche. Il a été conçu en étroit couplage
avec de nombreux partenaires, aujourd’hui présents sur le site, et financé pour une bonne part grâce
aux soutiens de la région et du département, en plein accord avec leurs représentants. Quel contraste
avec la méthode actuelle pour le campus Paris Saclay, pour lequel les décisions prises par le
gouvernement sont imposées, sans concertation, aux représentants des collectivités territoriales !

Un nouveau regard sur le campus est nécessaire, qui ne parte pas d’un déménagement
général toujours plus hypothétique lorsque l’on regarde les financements annoncés, mais qui soit une véritable réflexion sur les évolutions du site, et notamment de la Vallée. Le recensement des
locaux qui sont ou seront prochainement disponibles dans la Vallée est la première étape d’une telle
réflexion. On peut déjà citer les locaux du LURE non encore restitués, le bâtiment de Maths qui
sera libéré lorsque le nouveau bâtiment sera disponible, les locaux actuels de l’IEF, de l’ISMO, de
la biologie …etc. Il serait de toute manière parfaitement logique que certains bâtiments de la vallée
ou du plateau changent de destination et soient rénovés au fil de l’évolution et des besoins des
différentes disciplines scientifiques, des enseignements et des services administratifs. La
construction de nouvelles surfaces ne devrait donc être envisagée qu’en cas d’impossibilité de
libérer des surfaces existantes.

Le coût de la rénovation des bâtiments actuels de l’Université Paris-Sud dans la Vallée
d’Orsay et sur le petit plateau doit faire l’objet d’une étude approfondie, prenant en compte la
diversité des situations liées à leur niveau d’entretien au cours des dernières décennies. Une telle
étude devrait être transparente et conduite par des experts dont l’indépendance soit indiscutable. Le
campus souffre globalement d’un manque d’entretien évident depuis de nombreuses années :
vétusté du chauffage, dégradation des routes, problèmes de sécurité dans de nombreux bâtiments... :
la liste est longue.Il est inadmissible que la plus grande confusion règne actuellement sur ce sujet et
que les personnels ne soient pas consultés. Des financements ultra-prioritaires devraient être
affectés à la résolution de ces problèmes. Sur le moyen terme, d’importants mouvements peuvent
être engagés dans la Vallée dans le cadre d’une politique de site globale en profitant des
déménagements successifs afin de mieux répondre aux besoins des équipes de recherche comme
des filières d’enseignement.

Nous réaffirmons les principes de notre Université qui sont rappelés tout au long de ce texte.
Les restructurations en cours, qui se mettent en place au travers des LabEX, EquipEX et autres
IdEX, sont orthogonales à ces principes, et c’est pourquoi nous les refusons ainsi que les
déménagements qui les accompagneraient.


[1interview de C. van Effenterre, Président de Paris Tech dans Educpro, 1/04/11.

[2P.E.C.R.E.S., 2011 : Recherche précarisée, recherche atomisée (éditions Raisons d’Agir)

[3Bertrand Collomb et Denis Ranque , Dépêche AEF n°149275

[4La dénomination de Sénat proposée par la présidence, habituelle au niveau international, a le défaut d’évoquer, en
France, la notion d’élection indirecte, soit précisément l’anti-thèse de la collégialité académique.