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Nouvelle licence : nouvelle imposture (Newsletter n°31, 22 juin 2011)

mercredi 29 juin 2011

À l’automne 2007, a été lancé par Valérie Pécresse le Plan « réussite en licence » (PRL). Il s’agissait alors de faire passer la pilule de la loi LRU, qui était porteuse d’une différenciation accrue entre des universités de plein droit et des universités confinées pour l’essentiel à l’enseignement en premier cycle. La chose s’imposait d’autant plus que la nouvelle loi était aussi, quoi qu’en ait dit la ministre, lourde d’une paupérisation de la plupart des universités dites « de proximité ». Au passage, on pensait donner des gages aux représentants étudiants et les détacher ainsi de tout mouvement de contestation.

Le plan en question avait, aux yeux du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche principalement, deux avantages. D’une part, il permettait de stigmatiser, par un discours récurrent sur « la sélection par l’échec », les premiers cycles universitaires – et d’en justifier du même coup une nouvelle réforme radicale quelques années après la mise en place du LMD. Et ce sans pour autant que l’on ait la moindre statistique fine sur la réalité et le devenir des étudiants ayant disparu de telle ou telle filière durant la première année (abandon de toute étude à l’université, simple changement de filière, arrêt momentané, blocage financier…). D’autre part, il s’agissait de faire passer l’idée que l’amélioration de la situation dans les premiers cycles dépendait uniquement de la nature de l’accueil des nouveaux étudiants (orientation, formation de type propédeutique, tutorat, enseignants référents, etc.) et non des conditions d’encadrement (nombre de titulaires enseignants-chercheurs présents dans les formations). Bref, les premiers cycles connaissaient un taux d’échec insupportable parce que l’on prêtait une attention insuffisante aux étudiants . Il n’était donc nul besoin de recruter de nouveaux enseignants-chercheurs ni de Biatoss ; il suffisait de mieux organiser l’arrivée des étudiants lors de leur première rentrée à l’université…

De l’argent fut de fait dégagé pour améliorer leurs conditions d’accueil mais selon un processus à courte vue interdisant d’aborder globalement la question des premiers cycles dans l’université, soumise à des réformes incessantes depuis plus de dix ans. Les évaluations du Plan réussite en licence sont d’ailleurs plus que lacunaires et on ne saurait, contrairement à ce que fait Madame Pécresse, en tirer des conclusions définitives.

Aujourd’hui s’ouvre une nouvelle phase d’intervention sur les formations de Licence avec la refonte radicale des arrêtés les concernant. On remarquera d’abord que la préparation de ces importantes modifications s’est faite comme d’ordinaire dans l’urgence, à grands coups d’annonces démagogiques et de mise en place de comités de concertation dont il fut vite clair qu’on ne les écouterait pas, puisque les grandes lignes des nouveaux arrêtés étaient déjà prêtes. Dans les argumentaires ressassés, ne furent oubliés à cette occasion aucun des lieux communs sur la professionnalisation déficiente, le bienfait des stages, voire les effets négatifs d’une absence de sélection initiale. Le tout, cela va sans dire, sans associer à la réflexion les organes ou des groupes de réflexion qui devaient l’être : CNESER, Comité de suivi Licence, dont les avis ne furent jamais écoutés et qui fut même court-circuité par un nouveau Comité d’orientation de la Licence. Pour l’heure, les avis des syndicats d’enseignants-chercheurs et de chercheurs, des associations de doyens et directeurs d’UFR, des sociétés savantes n’ont pas été entendus et, une fois de plus, aucun bilan préalable n’a été établi à partir des expériences développées sur ces questions dans nombre d’universités, concernant l’accueil des étudiants de première année en particulier.

Même si la refonte de l’arrêté Licence du 23 avril 2002 peut être conçue comme l’occasion de renforcer le cadre national de formations malmenées par les effets de la loi LRU, notamment dans les petites et moyennes universités, il n’en reste pas moins que cette réécriture comporte des éléments beaucoup moins heureux. La chose est cruciale dans la mesure où ce texte clé reste un des rares points de stabilité de la formation universitaire qui soit encore étranger à la logique des dernières lois et réglementations, ce qui explique sans doute en partie cette précipitation pré-électorale à le modifier.

La nouvelle licence en préparation [1] présente en effet quatre caractéristiques principales dont chacune appelle analyses, réactions et propositions alternatives.

Première caractéristique : l’inscription de la licence dans un continuum avec le lycée .
C’est le premier grand axe de la déclaration finale du colloque de la CPU. Elle prépare l’instauration d’une césure accrue entre le L et le M ou le D en constituant un bloc de 6 ans (allant d’un lycée – dont la récente réforme a fait l’objet de critiques virulentes – à tout le premier cycle universitaire), un compactage lourd de conséquences à brève échéance dans la forme des enseignements et la définition du personnel enseignant. On remarquera à ce propos que l’insistance sur les liens nécessaires avec le lycée va de pair avec une absence de réflexion sur les liens entre le niveau L et le niveau M. Les fameux Pôles universitaires de proximité (PUP) que l’on est en train d’instaurer trouveront parfaitement leur place dans cette nouvelle logique. Enfin la logique de « tubage » impliquera probablement une sélection accrue au lycée, à l’entrée en seconde ou en première, puisque le but proclamé de la réforme est que chaque lycéen accède à un diplôme de niveau L, niveau qui devra concerner la moitié d’une classe d’âge.

Deuxième caractéristique : l’obsession de l’« employabilité ».
Elle apparaît dans tous les textes législatifs et réglementaires depuis 2007 [2], bien qu’elle soit hautement contestable : elle s’est imposée sur fond d’affaiblissement de la formation permanente et continue et consacre le refus de plus en plus prononcé de la part du monde économique de jouer son rôle dans la formation des salariés. Elle efface les différences entre les temps de la formation et ceux de l’économie. Or il ne faut pas cesser de rappeler que les difficultés à trouver un emploi ne sont évidemment pas imputables aux universités, dont la fonction primordiale ne saurait être de résoudre, dans une sorte de transfert de responsabilité, les problèmes économiques et sociaux engendrés par un chômage de masse. La parfaite illustration de cette obsession est le développement d’une mystique du stage, qui serait a priori vertueux et formateur pour l’étudiant, transformant le plomb de toute formation trop « savante » en or de la « professionnalisation ».

D’ailleurs de quoi parle-t-on quand on parle de « professionnalisation » ? Ceux qui n’ont que l’« employabilité » à la bouche veulent ignorer les réussites en termes d’insertion professionnelle des diplômés de l’enseignement supérieur (voir ici page 6 point 2.1). Ils feignent également d’ignorer les causes de l’actuelle insertion à la sortie des filières professionnelles tant vantées.
Les études consacrées aux filières d’apprentissage du supérieur [3] montrent que l’insertion professionnelle des diplômés est corrélée à la sélection à l’entrée de ces filières et à la nature de la formation antérieure. Prétendre que le second modèle peut être étendu à l’ensemble des premiers cycles universitaires à coups de stages ou de sélection généralisée est à la fois une absurdité et une imposture.

Troisième caractéristique : l’affirmation du primat des compétences
Le primat des compétences (voire des aptitudes aux compétences) sur les connaissances, associée à la promotion d’une forme systématique de « pluridisciplinarité », sous prétexte de faciliter les passerelles entre formations, mène tout droit à une « secondarisation » des formations avec dissolution du socle disciplinaire des parcours d’étudiants, à grands renforts de « référentiels », élaborés sous la férule de quelques « experts » ministériels. Or, ces référentiels qui découplent les compétences des connaissances sont un outil de destruction interne des formations universitaire, y compris dans leur dimension méthodologique, c’est-à-dire dans ce qu’elles apportent précisément en termes de compétences. En outre, ils fragilisent les diplômes en tendant à leur substituer un « portefeuille de compétences », le tout dissimulé sous le terme séduisant d’individualisation des parcours. Ces référentiels orientent la mise en place des futures formations ; ils constituent une grille d’évaluation, et ils pourraient devenir un outil de sanction des formations et des équipes dans le cadre d’une politique du chiffre : les résultats quantitatifs rapportés au nombre d’étudiants peuvent aisément devenir un instrument de la remise en cause de l’existence même de certaines formations dans le contexte de dévolution de la masse salariale aux universités.

Quatrième caractéristique : la dissociation effective entre recherche et enseignement .
Quelles que soient les formules incantatoires utilisées abondamment par le MESR et la CPU, la réalité se lit dans la possibilité de modulation de services, dans le recrutement des nouveaux contractuels de l’enseignement (ni vacataires, ni enseignants statutaires mais recrutés sur CDD ou CDI grâce à l’article 19 de la loi LRU), dans les effets pervers de la dévolution de la masse salariale, dans l’« excellence » qui oppose les universités entre elles et les enseignants-chercheurs entre eux. Les effets conjugués de la politique ministérielle et de la gestion contrainte des universités passées aux RCE conduisent à confier les cours de licence à des collègues qui ne pourront plus inscrire leur enseignement dans une pratique de recherche.

À cet égard la position de certains syndicats étudiants, notamment l’UNEF, est très gênante. L’opposition entre l’accompagnement personnalisé des étudiants et les recherches conduites par les universitaires a des effets objectifs : elle donne des armes à ceux qui détruisent le lien entre recherche et enseignement.

Plus généralement, si la question de la massification de l’université passe aussi par des éléments quantitatifs et pédagogiques (en termes de nombre d’heures de cours, de moyens pour les premiers cycles, de nombre de chambres d’étudiants, de bourses, de modalités de contrôle des connaissances, de « passerelles », de stages etc.), ceux-ci ne peuvent être séparés d’une réflexion sur le contenu et la cohérence des enseignements, ni sur le maintien d’un lien fort avec les logiques de recherche. Aucun de ces éléments ne saurait devenir un point exclusif de la définition de la nouvelle Licence.

Loin de remédier à l’échec en premier cycle, cette nouvelle licence, pourrait bien constituer un coup d’arrêt historique au difficile processus de démocratisation de l’université qui allait de l’avant cahin-caha depuis quarante ans. La sélection initiale, écartée en 2007, reviendrait par la fenêtre, mais d’une façon différente : certes, l’entrée à l’université resterait largement ouverte à toute une classe d’âge de bacheliers, mais tous n’auraient pas la possibilité d’accéder à une véritable formation universitaire. Nul besoin pour les « réformateurs » de tous bords de poser une nouvelle fois la question de la sélection à l’entrée de l’université au risque d’un mouvement social puisque, dans la logique de cette réforme, une sélection de fait, beaucoup plus radicale, serait instaurée, d’un côté entre les différentes universités et, de l’autre, entre le niveau L et le niveau M : c’est là que commencerait le plus souvent la véritable université articulant recherche et enseignement. Dans les licences, l’individualisation croissante des formations crée déjà des diplômes et des parcours de valeur inégale. Dans les masters, qui dans cette logique ne pourraient être que fortement sélectifs, seront accueillis probablement d’abord les étudiants issus de classes préparatoires, ou des nouvelles « filières d’excellence ». La sélectivité déjà forte du système français largement fondé sur l’opposition entre universités et classes préparatoires ne pourra qu’en être renforcée. La confusion entretenue entre les notions de « massification » et de « démocratisation » aboutira à ce que seule une minorité aura le privilège d’avoir accès à de « vraies universités ».

La « nouvelle » licence n’est donc pas un instrument de valorisation des premiers cycles universitaires ; elle en prépare l’enterrement, et avec lui la rapide, profonde – et irréversible ? – modification de l’enseignement de niveau licence. Elle est aussi une déclinaison de la politique dite « d’excellence », en ce qu’elle repose sur un renoncement implicite mais parfaitement assumé à la démocratisation et prépare le terrain à une sélection désormais habilement dissimulée derrière la formule, ô combien plus séduisante, d’« orientation active ».

La petite centaine d’universités françaises n’étaient déjà guère égales devant la loi LRU et la « politique d’excellence » qui avaient, dans la plupart d’entre elles (et pour la grande majorité des enseignants-chercheurs et des chercheurs), hypothéqué l’équilibre entre recherche et enseignement. Cette fois, sous couvert d’« employabilité » et d’augmentation du nombre de diplômés, ce sera la majorité des étudiants qui en paiera les conséquences, vite et durement.


Sauvons l’Université !

22 juin 2012


[1voir le communiqué du MESR du 22 juin 2011

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[3J. Calmand, D. Epiphane, Origine sociale et insertion professionnelle après des études supérieures. Des diplômés plus égaux que d’autres, Cereq, Net.Doc.76, décembre 2010. http://www.cereq.fr/pdf/Net-doc-76.pdf