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Pour sauver leur école, des petites communes veulent se payer un instit - Lucie Delaporte, Médiapart, 22 août 2011

mardi 23 août 2011, par Laurence

Le 5 septembre prochain, date de la rentrée scolaire, 1.500 classes de primaire manqueront à l’appel. Cette année, les suppressions de postes dans l’Education nationale ont particulièrement frappé les écoles maternelles et élémentaires qui, pour certaines, s’apprêtent à vivre une rentrée sous très haute tension.

L’annonce par Nicolas Sarkozy du gel des suppressions de classes l’an prochain ne change rien à la situation actuelle. Pour les chefs d’établissements les plus touchés, le casse-tête a débuté depuis des mois : constituer des classes en jonglant avec les sureffectifs, revoir parfois tout le fonctionnement de l’école avec la disparition de nombreux adultes encadrants (maître E et G – spécialisés dans l’aide aux enfants en difficulté – et EVS – emplois vie scolaires). Pour beaucoup, cette rentrée rime donc avec bricolage et système D.

Signe que la situation du primaire a atteint un point de saturation extrême, certaines communes confrontées à la fermeture de leurs classes se sont lancées dans une démarche totalement inédite et un peu désespérée : recruter elles-mêmes, sur leurs propres deniers, un instituteur. Dans les communes rurales, l’augmentation des seuils d’ouverture de classe (en dessous d’un certain nombre d’élèves par classe, chiffre décidé par l’inspection d’académie, le poste d’enseignant est supprimé) s’est transformée en efficace couperet pour supprimer des postes. Sur les 1.500 classes supprimées, beaucoup se situent dans des écoles rurales contraintes au regroupement, ce qui a provoqué l’ire des associations d’élus ruraux.

Par Lucie Delaporte

A Puy Saint-Vincent, la municipalité après avoir vainement plaidé sa cause auprès de l’inspection pour sauver sa classe, jugée vitale pour ce petit village des Hautes-Alpes à 1.400 mètres d’altitude, a donc pris une décision radicale : subventionner le poste de son institutrice.

Coût pour la municipalité : 30.000 euros versés sous forme de subvention à une association créée pour l’occasion. Un montage institutionnel plutôt rocambolesque finalisé pendant l’été. Le 5 septembre, quand 17 élèves iront dans une classe publique classique, une dizaine d’enfants rejoindront eux « une classe privée enfantine hors contrat », du privé gratuit, financé en totalité par les impôts locaux et qui respectera à la lettre les directives de l’Education nationale... Une première et une situation largement ubuesque puisque la classe aura lieu dans les murs de l’école publique mais que, pour respecter les directives relatives à l’indépendance de la structure, les élèves passeront par une autre entrée ! « Nous avons recruté une institutrice qui a dix ans d’expérience, qui a demandé sa mise en disponibilité au ministère. Aujourd’hui, nous n’attendons plus que l’autorisation d’ouverture de l’inspection mais il ne devrait pas y avoir de problème puisqu’elle ne peut s’y opposer que pour des raisons de salubrité publique ou des raisons morales », assure Michèle Faure, directrice générale des services de la mairie.

Défendre l’école publique en créant un école privée...

Sur le fond, malgré la satisfaction de voir sa classe sauvegardée, la municipalité de 320 habitants se serait bien passée de ce rôle inédit. « Et puis nous savons que nous avons ouvert la boîte de Pandore en créant une distorsion au niveau du service public. Mais franchement on n’avait pas d’autre choix. Si l’on perdait cette classe, l’année suivante, ils auraient supprimé la dernière classe et cela en aurait été fini de l’école à Puy Saint-Vincent. En hiver, le trajet de regroupement scolaire prend 50 minutes et est parfois impossible », estime Michèle Faure. Le modèle, par ailleurs, semble difficile à reproduire dans les petites communes qui ne bénéficient pas comme Puy Saint-Vincent, station de ski, de la manne touristique.

A Détrier, village de Savoie, où une même démarche avait été initiée alors que la classe unique était menacée de fermeture, le processus a finalement échoué. Malgré des mois de mobilisation qui avaient abouti au vote d’une subvention pour financer un poste d’enseignant en maternelle, cette commune de 360 habitants va perdre son école et sa classe unique à la rentrée. La situation était sans doute plus complexe : « Nous avons appris en février que si nous ne parvenions pas au seuil de 15 élèves dans notre classe unique de primaire, l’école serait fermée », raconte le maire Edouard Pache. Les parents d’élèves se mobilisent pour battre le rappel et parvenir au seuil fixé par le ministère.

Puis, fin mai, ils parviennent à convaincre la mairie de créer une classe maternelle en finançant le poste de l’enseignant pour pérenniser l’école. Un véritable pied de nez aux injonctions budgétaires mais la seule façon, pour ces parents d’élèves, de sauver l’école à long terme. « Certains ont alors pensé qu’il fallait en plus créer une cantine pour rendre l’école plus attractive encore. Cela représentait encore 10.000 euros pour la commune, et ce pour une poignée d’élèves », explique le maire. Des voix ont commencé à s’élever dans la commune d’autant que beaucoup de parents, opposés au modèle de la classe unique, préfèrent scolariser leurs enfants dans les communes voisines. « On me disait : “l’Education nationale c’est le rôle de l’Etat, c’est pas à la commune de s’y substituer... On veut une école mais pas à n’importe quel prix !” Je me suis vu reprocher de manifester pour l’école publique tout en créant une école privée... », soupire Edouard Pache, bien conscient des contradictions.

Fin juin, face aux difficultés qui s’accumulaient, l’association des parents d’élèves de Détrier a jeté l’éponge. La classe unique de primaire va donc fermer et la maternelle communale n’est plus à l’ordre du jour.

« Il faut peut-être vivre avec son temps, conclut ce maire de village après de multiples échanges avec l’inspecteur de l’Education nationale. Le problème, c’est que, chez nous, tous les services publics s’en vont. » L’école était le dernier rempart.