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Pour Claude Thélot, la Cour des comptes devrait s’intéresser de plus près à l’évaluation de l’école, Blog de l’équipe "Education" du Monde, 12 décembre 2011

lundi 12 décembre 2011

Claude Thélot a dirigé la direction statistique du ministère de l’éducation huit années durant, présidé le débat national sur l’avenir de l’École en 2003-2004 et été conseiller-maître à la Cour des Comptes. Peu loquace sur l’éducation aujourd’hui, il a accepté de répondre au Monde pour dénoncer une situation qu’il estime extrémement choquante sur le fond. En effet, les publications de la DEPP, Direction de l’évaluation, de la pprospective et de la performance se raréfient. Certains chercheurs dénoncent leur non parution, lorsqu’elles ne servent pas la communication ministérielle (cf Le Monde daté 13 janvier).
Les parents d’élèves de la FCPE viennent de prévenir que "es informations relevant de missions de service public ne sauraient être réservées au seul ministre " Interstat, le collectif de syndicats de l’Insee et des services statistiques ministériels dénonce de son côté le débat faussé » sur l’éducation et la mise à l’écart de la Depp. De son côté, le Haut Conseil de l’Education, (HCE) écrivait en septembre dans un rapport « Il est essentiel que, dans notre démocratie, les données concernant les résultats de notre système éducatif soient objectives et transparentes, donc incontestables".
Ce comité dont le mandat arrive à terme risque fort de n’être pas renouvelé. Cette instance a en effet été très critique sur les choix en matière de politique éducative, a souligné les incohérences et les dérives. C’est aussi cet organisme qui en 2008 a jeté un pavé dans la mare en montrant les points faibles de notre école primaire.

Quel regard portez-vous sur l’évaluation du système éducatif aujourd’hui et le fait que l’évaluation des élèves soit aujourd’hui prise en charge par un service autre que celui de l’évaluation ?

Les fondamentaux sont conservés puisque sortent toujours la Géographie de l’Ecole, le Repères et références statistiques aussi bien que L’Etat de l’Ecole. Mais il est vrai que les Notes d’information sortent moins nombreuses. Durant la période où j’ai été à la tête de cette direction, nous en publiions une cinquantaine par an (ndlr, en 2011, 18 sont sorties).
En revanche, je trouve extrêmement choquant que les directions responsables de la conduite de la politique évaluent cette politique. C’est ce qui se passe à l’éducation nationale aujourd’hui. Mais pas seulement. Le ministère des affaires sociales a créé il y a quelques années une direction générale qui évalue elle-même sa propre politique. C’est une très mauvaise approche de ce que doit être une évaluation des politiques publiques. Il ne faut pas que l’évaluation soit une auto évaluation.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

C’est sans doute un des effets pervers de la Lolf. La Lolf a donné mission aux responsables des programmes de produire de l’information à destination du Parlement. C’est ce qui a pu les orienter en ce sens, c’est-à-dire mesurer et évaluer leur propre action. C’est à mon sens une très grave faute de l’Etat, qu’il faut corriger.

On sent bien que le débat a besoin de données auxquelles on peut croire. Que serait à vos yeux d’expert une bonne évaluation du système éducatif aujourd’hui ?

Il ne doit pas y avoir de monopole de l’évaluation. Je pense même qu’il devrait y avoir deux démarches, l’une externe au ministère, l’autre interne.
Dans l’opinion publique, il faut être indépendant du ministère pour être reconnu indépendant, et donc évaluer de façon crédible. Partant de ce constat, pourquoi ne pas se reposer, encore plus qu’aujourd’hui, sur la Cour des comptes pour évaluer l’Ecole de façon externe ? C’est un organisme qui devrait aller plus loin dans son évaluation des politiques publiques. J’y vois trois avantages : la Cour a une immense légitimité, entre autres parce qu’elle est constituée de magistrats, elle peut se faire ouvrir tous les dossiers et ses travaux sont de grande qualité, enfin elle a une grande tradition de diffusion de ses analyses et recommandations. Il me semble plus efficace de renforcer ce mouvement déjà initié plutôt que de créer un organisme supplémentaire de contrôle, comme le recommande le Haut Conseil de l’Ecole. Le modèle anglo-saxon d’agence autonome ne me semble pas convenir à notre pays. Chez nous les établissements et agences sont plus faibles que les directions.
Je pense, par ailleurs qu’une évaluation interne au ministère est possible et nécessaire. Pourquoi ? Parce que certaines études ne peuvent être menées qu’en interne. J’ai toujours pensé qu’on observait mieux certains aspects de l’Ecole de l’intérieur. Et comme être indépendant et donc produire une évaluation objective et crédible ne requiert pas d’être extérieur au ministère, une direction peut, et à mon sens doit, conduire des évaluations de l’Ecole, cela en liaison avec les Inspections générales. Il faut évidemment que le ministre, comprenant l’intérêt de cette démarche, le veuille et l’organise. C’est-à-dire que trois conditions, qui sont celles de l’autonomie – indispensable - de cette direction, soient satisfaites : être maîtresse de son programme de travail, disposer des moyens d’exercer ce travail, avoir une latitude suffisante dans la diffusion. Ce qui ne signifie évidemment pas décider contre le cabinet du ministre : c’est au contraire le ministre et son cabinet qui doivent souhaiter, respecter et faire respecter ces conditions, faute de quoi une évaluation interne ne peut exister.

Pour vous l’évaluation est au cœur d’un Etat moderne ?

Il faut une transparence par rapport à l’action publique. Nos concitoyens, à juste titre, souhaitent un service public de qualité. D’où la nécessité de l’évaluer, sur son coût, sur son fonctionnement, et sur ses résultats. D’une façon générale, et au service de cette exigence des citoyens, l’Etat central moderne a trois grandes fonctions, sur lesquelles il devrait se concentrer et qu’il devrait renforcer en son sein : l’information sur le service public, l’évaluation de ce service, la prospective quant à ce service. Un Etat central moderne doit informer, évaluer et prévoir.

Lorsque vous étiez à la direction de l’évaluation quels ont été les sujets les plus difficiles à traiter ?

La prospective-prévision à 10 ans ; combien d’élèves et où, et, du coup, quels besoins en enseignants, etc. ? C’est un exercice important mais extrêmement difficile. C’est important car c’est sur ces résultats qu’on accrochait en partie le nombre de postes mis aux concours enseignants. On reprenait et on affinait ces prévisions chaque année. Evidemment, le cabinet me disait « mais ce n’est pas fiable puisque vous les modifiez ». Alors il fallait argumenter.

Pourquoi les hommes politiques ne s’intéressent-ils plus aux évaluations ?

Croyez-vous qu’ils ne s’y intéressent plus ? Je n’en suis pas si sûr. En revanche, ce qui est vrai, c’est que la priorité n’est sans doute pas de produire une analyse de plus, ou un diagnostic de plus. La Cour, les inspections la DEPP, le Haut Conseil de l’Ecole, la plupart des analyses du système éducatif font des constats voisins. Ce qui est prioritaire et même capital, ce sont les recommandations qu’on en tire, et surtout la capacité à les mettre en œuvre. De ce point de vue, l’apport essentiel des rapports de la Cour des comptes, par exemple, réside non dans son analyse mais dans les recommandations qu’elle en tire. C’est un outil essentiel pour le pilotage de l’école. Notre marge de progrès aujourd’hui c’est de faire que l’homme politique sache et puisse appliquer un peu plus des recommandations qui lui sont faites par les différentes instances d’évaluation. Sachant évidemment qu’il est plus difficile d’agir que de diagnostiquer.

A vos yeux, qu’est-ce que pourrait favoriser ce passage de l’évaluation à l’action ?

L’évaluation doit déboucher sur deux modes d’action. Une action interne puisque les résultats des enquêtes vont donner aux acteurs de l’école des outils pour s’améliorer. Une action externe puisqu’ils vont aussi donner des éléments d’information et de jugement à l’opinion publique qui pourra faire pression en faveur d’évolutions susceptibles d’accroître la qualité du service, à un niveau général ou local (dans les écoles, collèges, lycées, etc.).
Pour que les évaluations se traduisent plus et mieux par des améliorations des pratiques pédagogiques ou éducatives au sein du système éducatif (ce qui est leur but ultime), il faudrait, je crois, réorienter en partie les missions des inspections générales et territoriales. Ce corps devrait travailler à la « remédiation » plus qu’à tout autre aspect de l’Ecole, et en particulier plus qu’à l’évaluation elle-même. Remédiation (comment lutter avec succès contre les échecs ?) et accompagnement des enseignants, des chefs d’établissement, individuellement et par équipe, ce devrait être l’axe central (et qui est difficile) de l’action des inspections. Il n’y a qu’elles qui puissent remplir cette tâche capitale.

Comment redonner à la statistique et à l’évaluation en éducation une juste place ?

Le ministre qui arrivera devra en faire un des volets de sa politique éducative. Lui-même a besoin de tels outils, mais tout le pays aussi, tant la réussite de l’Ecole est au cœur de nos préoccupations aujourd’hui et de notre avenir. Parce que, de cette réussite, dépendent aussi bien notre compétitivité, à travers la formation et la qualification des futurs salariés, que notre cohésion sociale, à travers notre capacité à éduquer à vivre ensemble.

Propos recueillis par Maryline Baumard