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"A Sciences-Po, il n’y a pas que les superbonus", Mediapart, 16 décembre 2011, par Jade Lingaard

mardi 20 décembre 2011

A lire sur Mediapart

Remous à Sciences-Po depuis les révélations de Mediapart sur les superbonus de ses dirigeants. Le comité d’entreprise qui s’est tenu jeudi matin, au surlendemain de la publication de notre enquête, s’est déroulé dans une ambiance de « pièce de théâtre », décrit un participant. Le bureau du comité a démissionné, notamment pour protester contre les pressions que la direction des ressources humaines exerce, selon eux, à l’encontre de certains membres.

Mais ce n’est pas leur seul sujet de mécontentement. Car ils ont découvert, stupéfaits, que la direction de l’école communiquait à Mediapart des informations qu’ils n’avaient jamais réussi à obtenir par la voie officielle. Comme la composition de la commission de rémunérations, officiellement chargée de fixer chaque année le montant des primes de résultat dont bénéficient la douzaine de membres du comité exécutif (« Comex »). En réalité, Mediapart a recueilli de nombreux témoignages faisant état d’une gestion « affective » de ces bonus, distribués comme des « récompenses » par le directeur de l’établissement, Richard Descoings.

Autre information découverte par les délégués syndicaux à la lecture de notre article : le montant de la rémunération brute annuelle moyenne (salaires+primes) des cadres dirigeants de l’école, qui atteint 142.391€ en 2011 (soit entre 11.000 et 12.000 € par mois, en fonction d’un 13e mois ou non). Face aux protestations des membres du Comité d’entreprise, la direction de l’école a alors envoyé par e-mail au « grp-administration », destinataire collectif interne, une note de trois pages sur « la rémunération des cadres dirigeants de Sciences-Po ».

Ce document nous avait été remis en mains propres – après quelques hésitations – par le directeur de la communication de l’IEP la semaine dernière. Alors que ce dernier nous avait oralement affirmé que les revenus des membres du Comex comportent 30% de part variable, cette note décrit une part mobile « de 0 à 30% ».

Note sur la rémunération des cadres dirigeants de Sciences-Po :

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La veille du comité d’entreprise, « la bobinette », la réunion mensuelle des chargés de mission de l’établissement, était tellement bondée que les « salariés faisaient la queue à l’entrée », raconte un témoin, qui décrit des directeurs de Sciences-Po présentant une triste mine à l’inverse de certains salariés, affichant ostensiblement un sourire « jusqu’aux oreilles ». La direction de l’école avait alors promis de publier un communiqué de réponse à nos informations. Cela n’avait toujours pas été fait vendredi 16 décembre à midi.

Richard Descoings étant actuellement en vacances, il n’a pas non plus réagi à nos informations. Il est attendu de pied ferme par les représentants du personnel, pour le comité d’entreprise du 12 janvier qui promet d’être « très chaud », selon un élu. Il devrait y être question du budget 2012 de l’établissement. « Les salariés mettent la pression sur les syndicats pour monter au créneau » et obtenir plus d’informations sur les mirobolantes primes des directeurs, raconte un élu.

Téléphone, voyages et frais de mission

La Cour des comptes audite actuellement Sciences-Po. Mais ce n’est pas le seul contrôle en cours : une expertise comptable, commandée par le comité d’entreprise, vient tout juste de démarrer, notamment pour analyser le système des bonus en vigueur rue Saint-Guillaume. Il sera réalisé par le cabinet Syndex. Par ailleurs, un contrôle Ursaff doit lui aussi démarrer de façon imminente.

L’épluchage des comptes de Sciences-Po réservent d’autres surprises concernant toute une série de dépenses fonctionnelles. A commencer par la téléphonie mobile. En 2009, les dépenses de téléphone de l’établissement ont dépassé les 500.000€ – elles ont légèrement diminué l’année suivante. Un directeur adjoint a présenté une facture de 4.774 € en mars et de 1.429 € en août, mois de vacance dans l’enseignement supérieur. « Les factures sont exorbitantes et c’est sans compter les Ipad », soupire un cadre dirigeant.

Face à l’hémorragie pécuniaire du poste télécom, le conseil d’entreprise de l’IEP s’est vu proposer un nouveau type de forfait permettant de réaliser de substantielles économies. Un ancien cadre, chargé notamment de peaufiner l’offre, se souvient avoir soumis ce type de forfait au comité de direction en décembre 2009. Il faut attendre un an – et 456.000€ dépensés de plus – pour que le comité d’entreprise l’étudie. Il n’est aujourd’hui, en décembre 2011, toujours pas mis en place.

De même, pour les voyages et frais de mission qui coûtent autour de trois millions d’euros entre 2008 et 2010. Une « travel policy » plus économe est proposée aux directeurs. Selon l’un de ces auteurs rencontré par Mediapart, elle aurait permis d’économiser autour de 80.000€ dès la première année. Elle n’a jamais été adoptée. Pire, lorsque cette personne relance sa hiérarchie sur le sujet, elle s’entend répondre que la direction financière « en a marre que tu dises que tu fais bien ton travail et qu’on ne fait rien ». Elle sera remerciée par l’institution peu après.

« Je n’ai jamais compris pourquoi le code des marchés publics ne s’imposait pas à Sciences-Po, pourtant majoritairement financé par l’Etat », commente un ancien cadre dirigeant. Le statut de Sciences-Po est ambigu : l’IEP est un grand établissement, comme l’université de Dauphine, ce qui lui permet de rémunérer à sa guise ses salariés et de monter ses droits d’inscription. Mais la FNSP (Fondation nationale des sciences politiques) qui le finance est régie par le droit privé. Dans le doute, c’est la lecture juridique la plus favorable au moindre contrôle qui a été choisie.