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A l’heure de la LRU, V. Soulé, Libération, 3O janvier 2012

mardi 31 janvier 2012

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Après une mobilisation historique en 2009 contre la réforme, la totalité des universités de Métropole sont désormais autonomes. Grandeur et misère d’un projet qui attend toujours les moyens promis.

A La Rochelle, Gérard Blanchard est un président d’université plutôt heureux. Comme la plupart de ses collègues, il s’inquiète du financement à venir. Mais il estime que l’autonomie a jusqu’ici profité à son établissement qui a gagné 1 000 étudiants en quatre ans. « Notre réussite est due d’abord au dynamisme de nos équipes mais l’autonomie a été un outil qui lui a permis de s’exprimer », explique-t-il.

L’université de La Rochelle (7 500 étudiants), créée en 1993, a été parmi les premières à se lancer dans l’autonomie le 1er janvier 2009. « Nous avons pu définir notre propre stratégie, dit-il, nous vivons entourés de deux grands pôles universitaires, Nantes au nord et Bordeaux au sud, et nous n’en deviendrons jamais un. Nous avons donc analysé nos points forts et nos points faibles, et dessiné notre modèle, celui d’une université qui insère bien ses étudiants avec un point fort, d’excellence : l’environnement et le développement durable sur le littoral. »

L’autonomie s’est aussi traduite concrètement. L’enveloppe financière pour les primes des personnels a augmenté de 25%. Et pour les étudiants, les taux d’insertion se sont améliorés. La Rochelle, comme tous les « jeunes » établissements, faisait toutefois de la professionnalisation une priorité avant que la LRU (Libertés et responsabilités des universités) ne l’ajoute aux missions de l’université. « L’autonomie a aidé à renverser notre image et a réussi à nous rendre plus attractive, y compris auprès des entreprises », se félicite Gérard Blanchard.

Ecarts. Mais le président ne cache pas ses préoccupations. Son université a besoin de moyens pour se développer, notamment pour recruter. Et il ne les voit pas venir. A l’instar des petites universités, il s’inquiète aussi des écarts en train de se creuser avec les « grandes », qui raflent les appels à projets des Investissements d’avenir et les millions d’euros à la clé. « Je n’ai aucune envie de devenir une université de proximité qui délivre des licences puis voit partir ses étudiants en master vers de grands pôles », dit-il.

Quatre ans et demi après le vote de la loi sur l’autonomie, le gouvernement brandit la LRU (dite aussi « loi Pécresse » du nom de l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur) comme « la » réforme réussie du quinquennat. Preuve de son succès, avance-t-il, les universités ne se sont pas fait prier pour devenir autonomes, c’est-à-dire pour prendre les « responsabilités et les compétences élargies » (les RCE) prévues par la loi. Avec la LRU, elles gèrent en effet désormais elles-mêmes leur masse salariale et les ressources humaines - auparavant du ressort de l’Etat. Elles peuvent aussi devenir propriétaires de leurs bâtiments et de leurs terrains. Et leurs présidents, dotés de pouvoirs renforcés, deviennent de vrais patrons. De plus, poursuit le gouvernement pour vanter sa réforme, après la forte mobilisation de 2009, les universitaires et les chercheurs sont retournés tranquillement dans leurs amphis et dans leurs labos. Et on ne les entend plus, signe, selon lui, d’un silencieux ralliement.

Silence. La réalité est moins rose. Depuis le vote de la loi en août 2007, les universités sont tout simplement obligées de devenir autonomes d’ici août 2012. Logiquement, les plus enthousiastes ou celles se sentant prêtes ont sauté le pas les premières le 1er janvier 2009. Les plus rétives ou les moins prêtes ont attendu le dernier moment, c’est-à-dire 2012. Quant au silence actuel des manifestants de 2009, cela peut être interprété comme de la résignation.

Anne Fraïsse, présidente de Montpellier-III (17 400 étudiants) et vice-présidente de la CPU (conférence des présidents d’université), a toujours été contre la LRU. Et elle le reste : « Nous sommes passés à l’autonomie le 1er janvier parce que nous le devons, mais que nous apporte-t-elle ? On nous délègue la gestion de la masse salariale. Or cela coûte cher, car il faut des gens formés et on nous transfère de nouvelles tâches. Et les moyens ne suivent pas. Cela revient à gérer la pénurie. De plus, l’Etat continue de nous donner des ordres - par exemple il fixe un plancher de 1 500 heures de cours pour la licence sans nous accorder un sou en plus. Ou alors, lorsque nous accusons deux déficits successifs, c’est le recteur qui gère notre budget. »

En passant à l’autonomie parmi les derniers, Anne Fraïsse compte éviter les déboires de ses prédécesseurs qui ont essuyé les plâtres d’une réforme précipitée. En effet, avant de devenir autonome, chaque université négocie avec l’Etat le montant de la masse salariale qui va lui être transféré pour payer ses personnels. Faute d’expérience, au début, cela a souvent été désavantageux pour les universités. Elles s’en sont rendu compte lorsqu’après deux ans de fonctionnement, elles ont commencé à avoir des budgets en déficit. L’Etat lui-même a fait de grosses bourdes : il a notamment oublié de prendre en compte le GVT (glissement vieillesse technicité) - l’impact du vieillissement du personnel sur la masse salariale. « Dans nos négociations, le ministère rogne sur tout, souligne Anne Fraïsse. Il se vante de ne pas supprimer de postes mais il essaie de le faire faire par les universités. »

Moyens. A l’heure du bilan, tous ou presque s’accordent sur un point : la réforme, qui devait donner des ailes aux universités françaises et leur faire gagner des places au firmament du classement de Shanghai, a souffert d’un manque de moyens. Si le secteur a été épargné par la règle du 1 sur 2 (le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux), les sommes mirobolantes promises par Nicolas Sarkozy n’ont pas été au rendez-vous. Pour les détracteurs de la LRU, les problèmes financiers des universités aujourd’hui sont la preuve que la réforme était vouée à l’échec. Pour eux, en introduisant une gestion managériale, on n’a rien résolu, bien au contraire. Des universités se retrouvent à « geler » [ne pas les pourvoir, ndlr] des postes, soulignent-ils. La démocratie interne a souffert, et de plus en plus, pour obtenir des financements, il faut s’épuiser à rédiger des projets, plaçant des équipes et des universités dans une concurrence stérile, et se soumettre à des contrôles et à des évaluations. Au-delà, ils dénoncent la logique libérale, renforcée par l’opération Campus et les Investissements d’avenir, et l’obsession de l’excellence qui favorise toujours les mêmes. D’autres enfin, critiquent l’accent mis sur la professionnalisation au détriment de la mission première de l’université - transmettre le savoir - et l’inégalité de traitement persistante entre universités et grandes écoles.

En face, les défenseurs de la LRU soutiennent que la question des moyens et l’autonomie sont bien distinctes. Les présidents d’université, dont la plupart ont joué le jeu, y croient toujours. Mais un peu échaudés, ils se montrent prudents. « La crise a eu un impact, estime Louis Vogel, le président de la CPU, à la tête de Paris-II, l’effort de rattrapage financier s’est ralenti et les fondations, qui devaient nous apporter des ressources supplémentaires, ne se sont pas développées comme elles auraient pu. Les moyens se sont stabilisés cette année. Mais nous avons besoin d’y voir clair sur plusieurs années car on ne peut pas piloter à vue. »

Alliances. Pour le reste, le bilan est celui d’une réforme inachevée qui suscite encore bien des interrogations. Si l’on regarde les objectifs initiaux comme grimper dans le classement de Shanghai, c’est raté. En revanche, la volonté de faire bouger le paysage universitaire et de voir émerger des « grands » est un succès. On a vu se former des pôles, des alliances, des universités fusionner, d’autres prendre le statut de grand établissement… Au point que plus personne ne sait exactement combien il y a d’universités. « La LRU a modifié, radicalement, la gouvernance des universités. Mais dans nombre d’établissements une vraie politique de ressources humaines est encore à construire », estime l’historien Patrick Fridenson, du Sgen-CFDT, « l’un des grands acquis de l’autonomie reste, d’après moi, le souci de l’insertion des étudiants, alors que les faiblesses sont le manque de collégialité de la gouvernance et le déséquilibre entre les financements sur projets et les financements réguliers ».

A l’approche des élections, le débat est en tout cas ravivé entre pro et anti. Avec le sentiment de part et d’autre que la bataille de l’autonomie n’est pas encore gagnée.