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Jacques Fontanille : « Une hausse des frais d’inscription à l’université serait indécente » ; mediapart.fr, Louise Fessard, le 12 février 2012

dimanche 12 février 2012, par Alain

Proposée par deux groupes de réflexion (Terra Nova et l’Institut de l’entreprise) l’été dernier, la hausse des droits d’inscription à l’université est revenue sur le tapis cette semaine à l’occasion du colloque de la Conférence des présidents d’université (CPU) qui se tient à Marseille jusqu’au 10 février 2012. Dans un entretien aux Echos le 8 février, son président, Louis Vogel, évoque une augmentation de la contribution des étudiants, associée à une refonte du système des bourses et de la fiscalité : «  On peut imaginer des systèmes de financement différents entre les premières et les dernières années d’études, avec une répartition différente de l’investissement de l’Etat, plus fort au départ, et de l’investissement de l’étudiant, plus fort en fin d’études, explique-t-il. Il faudrait aussi une progressivité des droits. Les Français n’accepteront d’augmenter leur contribution financière qu’à la condition que l’on répartisse plus équitablement la charge. »

Dans uneétude commandée par la CPU, l’Insee s’est penchée sur ces différents scénarios, dont un quadruplement des frais d’inscription (l’étude de l’Insee et la synthèse de la CPU). Chargé du sujet à la CPU, Jacques Fontanille, président de l’Université de Limoges, estime que cette augmentation «  n’est pas une priorité ».

Entretien.

La CPU envisage une hausse des frais d’inscription ?
Pour nous, c’est un sujet vraiment marginal. Je pense que les propos de Louis Vogel ont été mal compris. Certes, une augmentation des frais d’inscription apporterait une contribution importante au budget des universités, mais le prix à payer serait trop important. Dans la situation actuelle de très grande inégalité d’accès à l’enseignement supérieur et de précarité d’une partie des étudiants, augmenter les frais d’inscription serait indécent. La priorité est d’abord de traiter cette situation sociale.

Et conjoncturellement, ce serait un très mauvais signal. C’est le pire moment pour envisager une hausse des frais d’inscription. Dans une période où l’Etat n’est pas en mesure d’augmenter sa dotation, cela passerait pour un transfert de charges. Il ne s’agit surtout pas de compenser un désengagement de l’Etat !

Louis Vogel évoque pourtant une progressivité des frais d’inscription, il s’agirait d’aligner les frais sur les revenus de l’étudiant et de sa famille ?

Non, il s’agit de penser différemment le financement des licences et des masters. L’idée serait de conserver les droits d’inscription actuels au niveau licence et de les augmenter au niveau master, en offrant, en contrepartie, plus de bourses sociales, de bourses au mérite, voire des prêts.

En France, nous avons un modèle d’aides reposant sur le passé de l’étudiant et non sur son avenir. En Australie par exemple, les étudiants peuvent avoir des prêts à remboursement contingent. Le remboursement ne se déclenche qu’au moment où le jeune atteint un certain seuil de revenus. Cela n’a encore jamais été expérimenté en France. Mais, encore une fois, ce n’est pas du tout notre priorité à l’heure actuelle.

L’étude commandée par la CPU à l’Insee montre qu’aujourd’hui les aides aux étudiants sont concentrées sur les deux extrêmes des niveaux de vie, les étudiants les plus pauvres recevant la majorité des bourses et les plus aisés bénéficiant d’avantages fiscaux conséquents.
Il y a effectivement un problème. La première cause de discrimination sociale repose sur un inégal accès aux études supérieures, les classes pauvres et moyennes faisant moins d’études longues que celles plus aisées. Ce qui pose la question de l’élargissement du périmètre des bourses et leur augmentation. Aujourd’hui, 26 % des étudiants français reçoivent une bourse, c’est un des taux les plus bas parmi les pays de l’OCDE.

Ces bourses représentent 1,8 milliard d’euros, à comparer avec la totalité des dépenses publiques concernant les étudiants, qui représente 24 milliards d’euros. Pour rendre le système des bourses efficace, il faudrait doubler le volume des aides distribuées.

L’étude de l’Insee montre bien que notre système d’aides n’est pas assez redistributif. En matière d’impôt sur le revenu, les enfants sont à la charge de leurs parents jusqu’à l’année de leurs 21 ans. Mais cette limite peut être repoussée à 25 ans lorsque l’enfant poursuit ses études. Or cette demi-part fiscale bénéficie uniquement aux plus aisés. Près de la moitié des ménages n’acquittent pas d’impôt sur le revenu et sont de facto exclus de cette aide. Et naturellement, la réduction d’impôts est d’autant plus importante que les revenus sont élevés.

Selon l’Institut de l’entreprise, la «  quasi-absence de frais d’inscription  » a un effet redistributif « au mieux très faible, au pire négatif, puisque financée par l’impôt commun, elle bénéficie surtout aux enfants issus des classes moyennes supérieures ».

Nous avons demandé à l’Insee de réaliser des simulations d’augmentation des frais d’inscription pour voir si cela améliorerait l’équité sociale. Mais la simulation de l’Insee, qui multiplie par quatre les frais d’inscription, montre que cela n’est pas vrai. Après cette augmentation, les frais de scolarité représenteraient entre 3 % et 7 % du niveau de vie des étudiants, sauf pour les étudiants les plus pauvres. Pour ces derniers, cela représenterait 10 % de leur niveau de vie. Distribuer des bourses est bien plus efficace en matière de redistribution.

Mais l’idée, derrière l’augmentation des droits d’inscription, était également d’engranger des recettes pour des finances universitaires mises à mal par le passage à l’autonomie, non ?
Notre rôle n’est pas de reconstituer les recettes mais de chercher plus d’équité. Si on considère qu’il faut faire un appel plus important aux contributions des étudiants et des familles, c’est au nom de l’équité, pas pour des raisons budgétaires !

N’y a-t-il pas tout de même une tentation, vu les déficits connus ces deux dernières années par plusieurs universités dont la vôtre ?
Cela n’a aucun lien. Mais nous avons effectivement besoin d’une deuxième phase de financement des universités, car sans cela beaucoup vont se trouver asphyxiées. Deux tiers de universités ont traversé des périodes de modernisation comptable à la suite du passage à l’autonomie et ont connu un ou deux ans avec des déséquilibres en fin d’exercice. Nous avons tous dû geler des postes, sacrifier sur le fonctionnement pédagogique et la maintenance des bâtiments.
Cela ne pourra pas durer ainsi. Le danger est que la masse salariale, qui mécaniquement ne cesse d’augmenter, prenne une part trop importante dans nos budgets. Du coup, les budgets de fonctionnement et les travaux sur l’immobilier sont comprimés, ce qui va devenir très dommageable à terme.

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