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A l’université, il faut abroger la LRU, Josiane Boutet, Bernard Lacroix, Frédéric Neyrat, Olivier Michel, Willy Pelletier, Le Monde, 9 mars 2012

vendredi 9 mars 2012

A lire sur le site du Monde

François Hollande n’a toujours pas pris la mesure du mécontentement de la communauté universitaire, malgré l’appel de plus de 6 000 universitaires à rompre avec le néolibéralisme appliqué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Son discours de Nancy, le 5 mars, ne remet pas fondamentalement en cause les choix du président sortant ni sur l’"autonomie" des universités, ni sur la mise en concurrence généralisée des établissements, ni sur le financement de la recherche. Le candidat du changement ne changera pas grand-chose ici. Il entérine la loi du 10 août 2007 dite Libertés et responsabilités des universités (LRU), en l’accompagnant d’un saupoudrage budgétaire supposé la rendre moins insupportable. Rien de surprenant : ses conseillers, à l’image de Philippe Aghion ou de Robert Gary-Bobo, ne manquent pas de louer le bilan de Nicolas Sarkozy, comme dans un récent numéro de Challenges (23 février) où ils lui attribuent ses meilleures notes, 14/20 pour l’enseignement supérieur et 14/20 encore pour la recherche. On croit rêver.

Car un nombre considérable de chercheurs et d’universitaires ne veulent plus de la LRU. Plus que jamais, ils refusent cette autonomie dont on a trop oublié qu’elle fut inventée par un ministre gaulliste des années 1968 pour faire pièce aux revendications trop radicales d’une jeunesse turbulente.

L’autonomie s’entendait autonomie pédagogique, autonomie administrative et autonomie financière. Cinq ans après, les ravages de la LRU sont manifestes. Les trois aspects de l’autonomie ont été rigoureusement inversés. Sous couvert de "responsabilités", l’Etat transfère des charges, comme pour les collectivités locales. L’autonomie s’est traduite pour le plus grand nombre des universités, par des difficultés financières accrues. Une dizaine d’universités sont en quasi faillite. L’Université de Nantes vit ainsi sous la tutelle du recteur. Curieuse conception de l’autonomie.

Les universités, autonomes mais sous tutelle, en sont réduites, malgré des sous encadrements pédagogiques sectoriels avérés ou des sous encadrements administratifs attestés à réduire les postes offerts, à limiter leur offre de formation pour colmater un budget précaire et à augmenter le prix des inscriptions en facultés. Beau résultat.

A tous les étages, il n’y a rien à garder de la LRU. Le regroupement en pôles de recherche et d’enseignement supérieur pour satisfaire à des impératifs de ranking dans des classements internationaux au demeurant fort contestés, s’effectue sans consultation des universitaires intéressés, ni sur les disciplines réunies, ni sur les volontés de travailler en commun. Les effets sélectifs du système se trouvent redoublés par l’invention de hiérarchies "d’excellence" supposée, alors qu’il s’agit d’accompagner un nombre d’étudiants plus élevé, en les encadrant mieux. Sans parler de la destruction de la formation des "maîtres". Faute de redresser la barre, c’est toute une faillite morale, radicalement étrangère aux valeurs du monde académique, dont la Révision générale des politiques publiques et le new public management sont les instruments.

Le dualisme pervers entre université et grandes écoles, sont éludées. La concentration et la centralisation entre les mains du "ministère" sont pires qu’hier. Réforme de bureaucrates, portée par des bureaucrates, qui remet le pouvoir à un cercle étroit de bureaucrates, la loi LRU et le carnaval de ses accessoires a réussi le tour de force de mettre hors jeu intérêts et enjeux étudiants, intérêts et enjeux enseignants. La LRU ne peut être adaptée à la marge, tant d’universitaires attendent du prochain président qu’il l’abroge et engage avec eux, une consultation nationale pour une réforme neuve de l’université.

Josiane Boutet, professeur de sciences du langage, université Paris-IV ;

Bernard Lacroix, professeur de science politique, membre de l’Institut universitaire de France ;

Frédéric Neyrat, sociologue, université de Limoges ;

Olivier Michel, professeur d’informatique, université Paris-Est Créteil ;

Willy Pelletier, sociologue, université de Picardie.