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"Elémentaire, mon cher Wauquiez ...", V. Soulé, C’est classe, Libération, 9 avril 2012,

lundi 9 avril 2012

Pour lire ce billet en ligne et découvrir une photo de... Sherlock Holmes

- "Comment laisser une trace dans l’histoire quand on n’a pas fait grand-chose, en tout cas rien de mémorable ?", demande Sherlock Holmes, l’air soucieux, pipe au bec.

- "Et bien, voyez-vous, je ne sais pas", répond, modeste, le docteur Watson.

- "Pourquoi ne pas créér une science qui n’a jamais existé ?", poursuit le détective, risquant une hypothèse à voix haute.

- "Huuum, mais il y en a déjà tellement", reprend Watson, un brin dubitatif.

- "Une science qu’on enseignerait dans les facultés à égalité avec le droit ou l’histoire". Là, Sherlock Holmes sent qu’il tient une piste.

- "Vraiment je ne vois pas. Et vous pensez à quoi ?", s’agite le bon docteur.

- "A l’étude des crimes. Elémentaire, mon cher Watson !", lance Sherlock Holmes sur un ton indiquant qu’on en reste là.

On se demandait si Laurent Wauquiez allait laisser une marque de son passage à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche où il a succédé en juillet 2011 à Valérie Pécresse. On a maintenant la réponse : il restera comme celui qui a introduit la criminologie à l’université française, dans la précipitation, en dépit du tollé suscité chez les universitaires et à un mois d’une présidentielle-clé.
Tout comme Valérie Pécresse face au mouvement anti-LRU (loi sur l’autonomie des universités), Laurent Wauquiez est resté sourd à la mobilisation anti-criminologie. Peut-être est-ce le mépris, en vogue ces temps-ci à l’UMP à l’égard des "corps intermédiaires" et du monde enseignant - des conservateurs frileux décriés par le président-candidat. Ou faut-il voir là l’influence du grand maître de la criminologie Alain Bauer, conseiller sécurité de Nicolas Sarkozy, par ailleurs bien introduit partout.

Toujours est-il que le 15 mars, le ministre a signé deux décrets créant la section 75 de Criminologie au CNU (Conseil national des universités) - l’acte de naissance de la discipline. Les enseignants-chercheurs ont jusqu’au 15 avril pour demander leur rattachement à la nouvelle section.

Pour ses détracteurs, la criminologie est une branche des sciences sociales, faisant appel à des connaissances transversales. Et sa création comme discipline à part entière est le fait du prince, une opération avant tout politique pour imposer une conception sécuritaire de la criminologie.

En face, Alain Bauer et les autres défenseurs affirment que la France est déjà en retard sur ce sujet. Et ils citent les grands pays - Etats Unis, Canada, Allemagne... - qui ont déjà des formations en criminologie.

Au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) où Alain Bauer a été nommé professeur de criminologie appliquée en 2009, c’est l’ébullition. Le 3 avril, deux responsables, Jacky Akoka, le président du conseil des formations, et Antoine Bevort, le président du conseil scientifique, ont signé une lettre pour protester contre la décision du ministère de créer, au Cnam, 2 postes de professeurs des universités en criminologie, 2 de maîtres de conférences et 1 d’ingénieur détudes, "sans motivation pédagogique et scientifique".

Interrogé par l’agence AEF, Antoine Bevort a expliqué que les procédures sont habituellement bien plus lourdes que cela. Il s’est aussi étonné du coût de ces poste, en période de restrictions budgétaires - "au minimum 250 000 euros, voire 300 000 euros par an, charges comprises". Et, demande-t-il, "comment peut-on décider d’attribuer 768 heures d’enseignement en criminologie alors que depuis sa nomination, Alain Bauer n’a mis en place qu’une unité d’enseignement de 31 heures 30 par an, qu’il dispense à 16 auditeurs ?".

Citons enfin les oppositions par dessus lesquelles Laurent Wauquiez a allègrement sauté - sans prétention d’être exhaustive :

- la commission permanente du CNU (CP-CNU)

- l’Association française de droit pénal

- la Conférence des doyens de droit et de sciences politiques

- l’association Qualité de la science française

- le Snesup-FSU, le Sgen-CFDT, la Ferc-Sup-CGT

Signalons aussi les réticences de la CPU (la Conférence des présidents d’université). Le 5 avril, elle a "recommandé aux établissements de ne pas recruter dans la nouvelle section de criminologie sans une concertation préalable" et a "condamné la précipitation et l’absence de dialogue qui ont caractérisé la procédure".

Et maintenant, reste à savoir à qui profitera le crime...

Crédit photo : Des membres de la société Sherlock Holmes rejouent le 22 juin 2005 le combat à mort entre Sherlock Holmes et le professeur Moriarty près des chutes de Reichenbach, en Suisse (Reuters, Ruben Sprich)