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Adlène Hicheur condamné, un dangereux précédent pour les libertés publiques, Louise Fessard, Médiapart, 4 mai 2012

mercredi 9 mai 2012

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Le parquet avait requis six ans, le tribunal correctionnel de Paris a condamné vendredi Adlène Hicheur, 35 ans, à cinq ans de prison, dont un an avec sursis, pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme ». Quatre ans ferme pour avoir évoqué de vagues projets d’attentats dans des courriels échangés en 2009 avec un internaute, présenté par la DCRI comme un cadre d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

À peine la cour entrée et le public assis, la décision était prononcée, de façon quasi inaudible, par la présidente du tribunal, Jacqueline Reyberotte, qui s’éclipsait aussitôt, laissant place au désarroi des proches de cet enseignant-chercheur en physique des particules, détaché au CERN, près de Genève. « On est humains quand même, peste un jeune homme, venu de Vienne (Isère) avec d’autres amis d’enfance d’Adlène Hicheur. Elle est rentrée et sortie aussitôt en rasant les murs ! »

L’avocat du physicien, Me Patrick Baudoin a dénoncé « un procès joué d’avance », et une condamnation sur de « simples mots » constituant un précédent « très dangereux pour les libertés publiques ». « Si cette jurisprudence se développe, ce sont des centaines d’internautes qui risquent des années de prison, pas seulement du côté du radicalisme musulman, mais également du côté de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite », met-il en garde.

Compte tenu des remises de peine et des deux ans et demi de détention provisoire déjà effectués par Adlène Hicheur, ce dernier, pourtant décrit par le procureur, lors du procès, fin mars, comme un dangereux «  terroriste en puissance », pourrait être libéré dans les prochaines semaines. Mais le tribunal n’en est pas à une contradiction près. « Ils ont fait en sorte que la décision couvre la détention provisoire, lâche Rabah Bouguerrouma, 37 ans, porte-parole de son comité de soutien. C’est “fermez vos gueules, l’affaire est terminée, il sort dans un mois”. »

Lors du procès, les 29 et 30 mars, l’accusation reposait principalement sur une trentaine de courriels échangés sous divers pseudonymes, de janvier à juillet 2009, entre Adlène Hicheur et un internaute rencontré sur un site djihadiste francophone. Ce dernier serait, selon les enquêteurs, un jeune responsable d’Aqmi, Mustapha Debchi, arrêté en Algérie en janvier 2011, dont on ignore depuis le sort. Il est reproché à Adlène Hicheur d’avoir joué un rôle d’intermédiaire et de traducteur sur des sites islamistes proches d’Aqmi, d’avoir eu l’intention d’apporter un soutien financier à son correspondant et d’avoir projeté des attentats en France ou, à tout le moins, la constitution d’une cellule djihadiste. Sur ces trois points, le tribunal a estimé que les faits étaient constitués.

Selon le jugement, « Adlène Hicheur, en servant de relais et de soutien logistiques et médiatiques à diverses structures terroristes de la nébuleuse islamiste radicale, en participant à des discussions via des flux internet avec un membre d’Al-Qaïda au Maghreb islamique parti dans le maquis algérien (….), en lui donnant son accord quant à la création d’une cellule opérationnelle en Europe et en définissant les cibles futures de celles-ci, et enfin, en mettant en œuvre des projets pour soutenir financièrement AQMI, a commis (…) courant 2008 et 2009 le délit de participation à une association de malfaiteurs, en l’occurrence AQMI, ayant pour but de préparer des actes de terrorisme ».

« Un scénario écrit par la DCRI »
En sus des courriels, le jugement s’appuie notamment sur un interrogatoire de Mustapha Debchi, en février 2011, arrivé fort opportunément d’Algérie en septembre 2011 pour consolider une instruction française chancelante. Mustapha Debchi y « confirme (…) l’accord de principe d’Adlène Hicheur pour l’élaboration d’une cellule opérationnelle rattachée à ami en Europe, voire en France », selon le jugement. Qu’importe si le document algérien ne comporte que les réponses de Mustapha Debchi, sans les questions du policier algérien, ni aucune précision sur le statut de l’interrogé, ni preuve de son identité. Au cours de l’audience, Adlène Hicheur n’a pas « clairement indiqu(é) pourquoi cet élément envoyé par les autorités judiciaires algériennes ne serait pas crédible », balaie le tribunal.

Cette condamnation « pliée d’avance », est pour Me Baudouin « l’aboutissement logique d’un rouleau compresseur ». « La DCRI (Direction centrale du Renseignement intérieur – ndlr) a fait d’Adlène Hicheur un trophée, et le jour même de son arrestation, Brice Hortefeux (à l’époque ministre de l’intérieur – ndlr) s’était vanté d’avoir mis la main sur un dangereux terroriste », rappelle l’avocat. Pour Halim Hicheur, chercheur en physiologie, son frère est victime d’« un scénario dont la première ligne a été écrite dans les locaux de la DCRI », notamment par « Frédéric Péchenard (directeur général de la police nationale – ndlr) et Bernard Squarcini (patron de la DCRI – ndlr) ». « Quand la culpabilité est assumée depuis le premier jour par les plus hautes autorités de l’État, pensez-vous qu’un juge puisse la remettre en cause ? » a-t-il tonné, à la sortie du tribunal correctionnel, dénonçant « un Guantanamo à la française ».

Dès novembre 2009, la culpabilité de “l’islamiste du Cern” semblait en effet entendue pour la hiérarchie policière. Le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, “révélait” ainsi dans Le Monde, que le jeune homme projetait un attentat contre le 27e bataillon de chasseurs alpins d’Annecy (Haute-Savoie), d’où sont parties des compagnies pour l’Afghanistan. « La cible était choisie, il fallait intervenir », ajoutait-t-il, alarmiste. En 2010, la veille de la commémoration du 11 Septembre, c’était au tour de Bernard Squarcini, le patron de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de se féliciter dans le JDD que ses services secrets aient déjoué l’attentat prévu par « cet ingénieur du Cern qui avait proposé ses services via Internet à Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ».

L’instruction montrera que ces accusations, qui ont motivé l’arrestation, le 12 octobre 2009, d’Adlène Hicheur, ne reposent que sur un seul et unique courriel de mars 2009 dans lequel le physicien suggère, parmi de nombreuses autres cibles, « de viser un pur objectif militaire comme par exemple la base d’aviation de la commune de Karan Jefrier près de la ville d’Annecy en France ». Il s’agit en fait du 27e bataillon de chasseurs alpins d’Annecy, à Cran-Gevrier, dont il ne sera ensuite plus jamais question dans les échanges mails.

« Ces propos inquiétants et critiquables n’ont jamais donné lieu au moindre début de commencement de projet précis, ni d’intention de passage à l’acte terroriste », a répété Me Baudouin. Peu importe pour le tribunal : « Toujours est-il qu’(Adlène Hicheur) désignait bien une cible potentielle à un individu appartenant à une organisation terroriste, en l’occurrence Aqmi, sans savoir quelle suite serait donnée à sa suggestion. »

Confiscation des scellés
Même chose pour les « velléités du prévenu, dès 2008, d’apporter un soutien financier à Aqmi », reprochées par le tribunal à Adlène Hicheur. Malgré des écoutes et une surveillance électronique de plusieurs mois, aucune remise d’argent n’a pu être prouvée. Surtout, Adlène Hicheur a toujours nié savoir que son correspondant appartenait à Aqmi. Là encore, qu’importe. Le prévenu «  a pour le moins élaboré des projets précis avec Mustapha Debchi pour apporter une aide financière effective à l’organisation terroriste Aqmi », estime le tribunal.

Le tribunal correctionnel dit avoir toutefois pris en compte les convictions politiques du prévenu et son casier judiciaire vierge : « On sent, à travers les messages de cet homme intelligent et fier, la douleur d’appartenir à un peuple qui a effectivement (!) été colonisé pendant deux siècles par des représentants de son pays d’accueil et d’adoption, ainsi que la difficulté à surmonter cette antinomie. Le tribunal ne peut de même ignorer qu’Adlène Hicheur est né à Sétif, ville de triste mémoire, ce qui n’a pu que renforcer son sentiment d’injustice, d’humiliation devant le sort réservé à ses pères ».

La condamnation est assortie d’une confiscation des scellés, à savoir le matériel informatique d’Adèle Hicheur ainsi que ses économies, une somme de 13 000 euros en liquide, saisie lors de son arrestation et destinée, comme l’a montré l’enquête, à financer la construction d’un pied-à-terre à Sétif. « Tous ses travaux de chercheur sont sur ce matériel informatique, même sa vie intellectuelle est confisquée, estime Me Baudouin. Jusqu’au bout, on a voulu le briser et l’humilier ! »

Adlène Hicheur a désormais dix jours pour éventuellement faire appel. Après deux ans et demi de détention, il est, selon Me Baudouin, « partagé entre la volonté d’obtenir justice, et puis aussi le manque d’illusion qu’il peut désormais avoir sur cette justice ».