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IDEX : lettre aux résignés réalistes - Alain Trautmann, SLR, 18 juin 2012

dimanche 24 juin 2012, par Mariannick

La politique des Investissements d’Avenir devrait et pourrait aujourd’hui être remise en cause. Elle a été décidée par le gouvernement précédent, pour des motifs très discutables, qui seront explicités un peu plus bas, et elle fait courir des risques graves à notre système d’enseignement supérieur et de recherche (ESR), nous allons y revenir. Dans ces conditions, il serait logique et souhaitable que le nouveau gouvernement remette profondément en question cette politique. Or aucune révision majeure et précise sur ce sujet n’a été annoncée jusque là. Les semaines à venir permettront de voir ce qui l’emportera, des prises de position du PS hostiles à la politique de N. Sarkozy pour d’ESR, ou de la complaisance d’une partie de la CPU (Conférence des Présidents d’Université) par rapport à cette même politique.

Quant aux professionnels concernés (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et administratifs), ils semblent pour la plupart résignés à la poursuite de cette politique. Largement par ignorance, car ni la structure des usines à gaz en train d’être élaborées, ni les conséquences de leur fonctionnement ne sont très évidentes à saisir [1]. Et puis par réalisme : la mise en place des multiples nouvelles structures, Labex, Idex etc… a demandé tellement d’énergie que beaucoup ne souhaitent pas remettre tout en cause, surtout s’ils peuvent en être bénéficiaires, ce qui pourrait être le cas d’une majorité des laboratoires situés en région parisienne. C’est ainsi qu’on se résigne, qu’on accepte un système dévorant toujours plus de temps pour le montage de projets et de leur évaluation permanente, au détriment de nos véritables métiers : l’enseignement et la recherche.

Mais revenons point par point sur les affirmations précédentes.
Retour sur les Investissements d’Avenir

La mise en place des Investissements d’Avenir a été motivée par des raisons masquées par le rideau de fumée de fausses évidences en forme de piège [2]. Les vraies raisons étaient celles d’un pouvoir politique qui voulait, mais sans le dire, remettre radicalement en cause le modèle français d’une université ouverte à tous, en la remplaçant par une université à deux vitesses, avec des universités d’excellence, très sélectives, pour la reproduction de l’élite, et des collèges universitaires pour le reste. Ce même pouvoir jugeait que la recherche doit d’abord servir à l’innovation, et que notre pays doit davantage innover sans trop investir . Dans cette logique, une recherche publique avant tout vouée à l’innovation doit être contrôlée par un pouvoir central, qui définira les principaux domaines de recherche, retirera l’excès de liberté de recherche aux structures trop autonomes (CNRS, universités), laissera aux trop nombreuses universités le soin de ne faire que de l’enseignement pour concentrer l’effort de recherche sur quelques sites (excluant les "nuls" de l’Ouest et du Nord de la France). Les sommes investies dans quelques sites choisis seront prises sur le budget général de l’ESR [3]. Ceci limitera l’effort budgétaire réel d’aujourd’hui, en reportant cet effort sur les années et les générations qui suivent (logique d’un emprunt, tout grand soit-il).

La réalité de ces Investissements merveilleux

Si la suite des réflexions concerne les professionnels qui sont dans des Idex, on ne saurait oublier les autres, ceux qui se trouvent dans des territoires ayant été écartés du système, et qui n’ont eu droit qu’aux réductions de crédits pour tous, décidées en parallèle aux Investissements dits d’Avenir.

Sur les 7.7 milliards d’euros annoncés pour le plan Idex, moins de 7 ont été vraiment distribués ; on ignore où est passé le milliard manquant. Prenons l’exemple de SPC (Sorbonne Paris Cité) : 1300 millions demandés, 800 attribués, soit 40% de moins. Qui donneront 27.4 millions d’intérêts par an dont une dizaine sera affectée automatiquement aux Labex ; restera environ 17 millions "libres d’utilisation" pour 8 établissements, soit 1.1% de leur budget annuel global (1500 millions), salaires compris (mais n’oublions pas qu’une partie du budget Idex peut précisément concerner des salaires).

Ces quelques % du budget universitaire ne seront en réalité pas libres d’utilisation : ils seront bloqués sur un compte de la Caisse des Dépôts, et seront affectés par l’ANR dans la limite des fonds disponibles à cet effet (le projet de convention prévoit explicitement qu’ils pourraient être inférieurs à la somme annoncée). En outre, s’ils sont utilisés à des fins qui n’auraient pas l’approbation de l’ANR, cette dernière pourrait demander leur remboursement. Les établissements membres vont donc s’engager dans un processus aux conséquences très lourdes au niveau de leur organisation, en espérant recevoir des fonds non garantis, représentant environ 1% de leur budget. Ce budget Idex sera sous très haute surveillance, et les universités autonomes n’auront donc … aucune autonomie fondamentale pour son utilisation.

Risque inhérents à l’acceptation de cette politique

Pour les "bénéficiaires" des Idex, les sommes affectées au titre de l’Idex auront un coût : elles ne seront utilisables que si, pour chaque euro de l’ANR/Idex, l’université met deux euros, un sur ses fonds propres et l’autre sur une autre source de financement. Tout projet Idex contrôlé par l’ANR demandera des fonds propres de l’université, qui se trouveront donc aussi indirectement contrôlés par cette agence. Ces projets devront donc systématiquement faire l’objet de montages financiers, bien dans la logique des concepteurs des usines à gaz Idex. Chaque projet aura en outre un coût induit par les salaires des personnes mobilisées pour le montage financier, puis d’autres personnes qui renseigneront en permanence les indicateurs multiples nécessaires à démontrer aux évaluateurs ANR que le projet a été constitué de façon correcte, puis, tous les 6 mois, qu’il progresse comme cela a été annoncé dans le projet initial. Il y aura donc un coût difficile à estimer, probablement élevé, et qui réduira la somme réellement mise à la disposition des universités et des laboratoires de SPC à moins de 1% de leur budget global.

C’est pour ce bénéfice que de nombreux collègues se résignent à laisser se mettre en place une politique dont les conséquences les plus graves pourraient se situer au niveau des mentalités : pour profiter de nos moyens Idex (tout limités qu’ils soient), on ne protestera pas contre le processus d’asphyxie du CNRS jugé trop libre, trop autonome par le gouvernement précédent. On acceptera un système renforçant les comportements individualistes : remplir docilement des fiches d’évaluation à répétition même si on les trouve absurdes ; s’installer dans une logique de compétition permanente, pour les labels d’excellence, pour les prime individuelles. Les IDEX vont commencer à fonctionner, en garantissant un traitement privilégié aux équipes faisant partie du Peridex ou périmètre d’excellence (37% des personnels pour SPC). Dans la période à venir, tenter d’entrer dans ce Peridex fera partie des préoccupations des équipes qui n’y sont pas encore ; l’évaluation permanente, déjà obsédante dans la période récente, le deviendra plus encore. On commence à voir se creuser le fossé entre les "excellents" qui ont obtenu un Labex, et les autres qui n’en ont pas obtenu, et les "excellents" se regrouper pour mieux profiter de la manne. Cette logique commence à créer ses effets déstructurants. La pratique de la recherche doit-elle être, dans l’avenir, dominée par l’individualisme, la compétition, l’excellence autoproclamée, l’absence de solidarité ? Est-ce bien cela que nous voulons ?

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[1Tout est fait pour entraver la compréhension d’un paysage sans cesse mouvant. Qui peut expliquer ce que seront les prérogatives des PRES quand les Idex fonctionneront, ou celle des Idex quand les universités unifiées seront mises en place, si elles le sont ? Tout ceci sera-t-il empilé sans aucune simplification ?

[2"Vous voulez une recherche et un enseignement supérieur de qualité, n’est-ce pas, donc vous voulez l’excellence ! Vous voulez qu’on gaspille moins, qu’on investisse pour l’avenir ?" Etc...

[3Tentative de quadrature du cercle vouée à l’échec, tant il est bien établi qu’innovation et investissement sont étroitement liés.