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"A Saclay, la rivalité entre grandes écoles et université freine l’essor d’un campus de renommée mondiale"

par Catherine Rollot, "Le Monde" du 30 juin 2008

jeudi 3 juillet 2008, par Laurence

Prenez un carré de quatre kilomètres sur quatre, bordé par deux vallées, celle de la Bièvre au nord et celle de l’Yvette au sud. Le tout à 20 km au sud de Paris. Parsemez ce territoire des plus beaux fleurons de l’enseignement supérieur français : l’université Paris-Sud, l’Ecole polytechnique, le Commissariat à l’énergie atomique, l’Ecole supérieure d’électricité (Supélec), l’Institut d’optique, l’Ecole des hautes études commerciales (HEC), l’Institut des hautes études scientifiques... Ajoutez les centres de recherche de Danone et du groupe d’électronique de défense Thales. Vous obtiendrez le plateau de Saclay, pôle scientifique de renommée mondiale, mais en devenir... depuis trente ans.

Vendredi 27 juin, 21 institutions du plateau ont remis à Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur, un projet commun pour l’opération campus, qui dotera dix campus de 5 milliards d’euros. Les derniers lauréats seront connus le 11 juillet.

Fin mai, Saclay ne figurait pas parmi les six lauréats retenus lors de la première sélection. Un sévère camouflet. "Projets isolés et non structurants", "pas suffisamment forts pour être retenus", avait jugé le comité de sélection. L’élite universitaire ratait un chantier présidentiel majeur de Nicolas Sarkozy. Malgré les injonctions de l’Elysée et du ministère, les établissements du plateau n’avaient pas réussi à s’entendre. Mme Pécresse attendait un dossier unique, elle en a reçu cinq. Il aura fallu une nouvelle intervention politique pour que Saclay ait une chance de devenir le MIT (Massachusetts Institute of Technology) à la française, dont certains rêvent.

"La mayonnaise n’a jamais pris", dit-on sur le plateau. Le potentiel est là, avec 25 000 étudiants, 12 000 chercheurs, une matière grise qui produit 20 % de la recherche publique. Mais Saclay est apparu comme un concentré des lourdeurs universitaires françaises.

La saga commence en 1946, quand le CNRS cherche un emplacement pour installer des laboratoires. Frédéric Joliot-Curie, alors à la tête de l’organisme, choisit la petite ville de Gif-sur-Yvette. Il sera rejoint par le CEA à Saclay, puis la faculté des sciences de Paris à Orsay, Bures-sur-Yvette et la ferme du Moulon. En 1971, l’université Paris-Sud 11 est créée. "Dès lors, pas une année ne se passe sans qu’un laboratoire ou une école ne s’implante dans le secteur", raconte Robert Chabbal, ancien directeur du CNRS.

"FÉODALITÉS LOCALES"

Les bâtiments ont poussé entre les champs de fraises et de betteraves, sans aucune cohérence architecturale ou disciplinaire. Au sein d’une même institution, l’aménagement est tout aussi chaotique. Pour Paris-Sud 11, le plus grand campus de France, "sur 250 hectares arborés, 118 bâtiments ont été saupoudrés sans se soucier des problèmes de transport ou de réaménagement que cela poserait", explique Jean-Pierre Lemoine, son directeur du patrimoine. Entre les salles de cours des étudiants de licence et de master, il y plus d’un kilomètre ! Une navette dessert de façon aléatoire le campus.

Aux obstacles géographiques s’ajoutent des freins politiques. Le projet d’un grand campus ne s’est pas concrétisé faute d’un pilote pour le porter. "Les établissements ont des tutelles différentes, le ministère de l’enseignement supérieur pour Paris-11, la défense pour l’X, Supélec est une école privée... c’est le bazar", résume Daniel Laurent, directeur des études de l’Institut Montaigne, un cercle de réflexion d’inspiration libérale. "Rien n’a avancé en raison des féodalités locales", considère Michel Lussault, porte-parole de la Conférence des présidents d’université (CPU).

"Une chose est de coopérer au niveau de la recherche. Une autre est de construire un projet stratégique commun, poursuit l’universitaire. Une fois de plus, chacun a essayé de tirer la couverture à lui, et les vieilles rivalités entre universités et grandes écoles ont resurgi." Les rancoeurs sont vivaces. "C’est l’université Paris-11 qui devrait être moteur du projet campus, considère un universitaire. Mais on a beau avoir au total 27 000 étudiants, 117 laboratoires, 3 médailles Fields et 3 Prix Nobel, le général Xavier Michel, président de l’Ecole polytechnique est plus puissant qu’Anita Bersellini, la présidente de Paris-11."

Philippe Lagayette, patron de la banque JPMorgan en France et président de la fondation Digiteo-Triangle de la physique qui coordonne désormais le dossier, veut croire que toutes ces occasions manquées appartiennent au passé. "Les esprits ont quand même évolué depuis la création des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), des réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA), qui font travailler des personnes venues d’établissements différents. Et puis les collectivités locales de l’Essonne et des Yvelines sont à fond derrière le projet", affirme M. Lagayette.

Mais, outre l’aspect scientifique, tout reste à construire ou presque pour arriver au "pôle d’excellence mondial" voulu par le président de la République. Routes, transports en commun, logements pour étudiants et chercheurs, centres de séminaire... nul ne s’est hasardé à chiffrer le montant des investissements. Seule certitude : les millions de l’opération campus n’y suffiront pas.