Accueil > Questions d’argent > Budgets > La démocratisation de l’enseignement supérieur et le développement de la (...)

La démocratisation de l’enseignement supérieur et le développement de la recherche ne se feront pas sans une revalorisation des LLASHS - Lettre des présidents de 17 Universités à la Ministre de l’ESR - 26 octobre 2012

vendredi 16 novembre 2012, par Mariannick

Dans une société où l’économie, les métiers, les progrès scientifiques et technologiques, les cultures, les relations entre les hommes sont traversés par une complexité et une diversité croissantes, l’Université occupe une place de première importance. Parce qu’elles font avancer la connaissance, contribuent à la compréhension des évolutions de la société et démocratisent l’accès des citoyens aux savoirs et compétences qui leur permettent de s’y insérer socialement et professionnellement, il est crucial que nos universités aient les moyens d’assumer ainsi pleinement leurs responsabilités scientifiques, sociales et économiques. Les cursus de sciences humaines et sociales ont à ce titre un rôle majeur à jouer, mais le soutien financier que leur apportent les pouvoirs publics n’est pour autant toujours pas à la hauteur de ces enjeux et de ces missions. La place de parent pauvre de l’enseignement supérieur réservée aux sciences humaines et sociales, langues, arts, littératures, droit, économie et gestion hypothèque notre avenir.

L’exigence de démocratisation de l’enseignement supérieur, et donc de massification des effectifs de l’université, devrait se conjuguer avec celle d’un suivi personnalisé des étudiants, en particulier en première année, où les taux d’abandon et d’échec demeurent dramatiquement élevés. En France, les disciplines relevant des Humanités en Lettres, Langues, Arts, sciences Humaines et sociales, Droit, Économie et Gestion représentent 56% des étudiants, encadrés par seulement 46% des enseignants-chercheurs ; ce secteur a été peu soutenu par le CNRS avec seulement 23% des chercheurs et 15% des crédits publics de la recherche fondamentale (Cf. le rapport du Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales (C.D.H.S.S.), 2010). En complément aux données quantitatives qui confirment que ce secteur a le plus contribué à l’effort de démocratisation, il faut souligner le fait incontesté qu’il accueille des étudiants dont les profils sont les plus hétérogènes et qui sont souvent d’origine modeste – ce que le taux élevé de boursiers dans ces disciplines confirme.

L’ambition de « la réussite pour tous », premier objectif des Assises nationales et territoriales de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, doit donc être notamment portée par les pouvoirs publics en direction de ces cursus de sciences humaines et sociales, en situation de sous-encadrement pédagogique et de sous-dotation en moyens de fonctionnement.

Caractéristique de cette situation, la dotation par étudiant est beaucoup plus faible pour ces cursus. Le modèle SYMPA qui sert à répartir l’ensemble des moyens pour l’enseignement supérieur et la recherche a rendu structurelle cette sous-dotation. Il octroie 279 euros pour un étudiant de licence de Sciences humaines et sociales, contre 671 euros pour un étudiant dans une filière médicale ou sanitaire ! Pour les étudiants en master, les écarts varient de 434 euros à 1 043 euros (chiffres de 2010). La comparaison avec les dotations des élèves des écoles d’ingénieurs met encore plus en relief cette sous-dotation.

Selon le même modèle, en 2012, les dotations consacrées aux licences et masters des Sciences humaines et sociales ont été diminuées de 146 millions d’euros, alors que 63 millions supplémentaires ont été attribués aux DUT, 55 millions aux formations universitaires en sciences dites « exactes », 18 millions aux ingénieurs et 10 millions aux études en médecine.
L’arrêté licence du 1er août 2011 est venu aggraver le problème : il oblige les universités à augmenter le volume horaire des formations de licence, mais cette décision pédagogiquement fondée reste impossible à appliquer à moyens notamment humains constants. Dans de nombreux établissements, l’offre de formation devient ainsi le plus souvent, la variable d’ajustement face à un budget insuffisant (fermeture de parcours, de formations à faibles effectifs…).

La réussite pour tous les étudiants nécessite de rééquilibrer les moyens humains et les dotations attribués aux universités spécialisées en Sciences humaines et sociales ainsi qu’aux universités pluridisciplinaires dont les effectifs sont composés de 40 à 50% d’étudiants de ces disciplines.
La répartition des 1 000 postes créés en 2013 sera l’occasion pour le gouvernement de commencer à rééquilibrer les dotations entre grands secteurs. Nous souhaitons être associés au groupe de travail qui va être mis en place par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour refonder le modèle de répartition des moyens.
Nos moyens de fonctionnement doivent notamment être réévalués. Il y a bien longtemps que les Sciences humaines et sociales, les arts, langues, littératures, le droit, l’économie ne s’enseignent plus seulement avec un tableau noir et une craie ! Les critères de dotation sont à cet égard complètement obsolètes, et ne tiennent pas suffisamment compte des nouveaux usages, des chercheurs comme des étudiants, qui sont devenus autant de nouveaux besoins à satisfaire en termes d’équipements technologiques, recourant notamment aux technologies de l’information et de la communication.

Ces déséquilibres sont anciens, mais il est d’autant plus urgent de les résorber que les conséquences d’une autonomie mal pensée et de transferts de compétences insuffisamment compensés ont eu pour effet de plonger la plupart des universités dans une situation de grande précarité financière et d’aggraver ainsi ces déséquilibres. Les universités de sciences humaines et sociales en pâtissent, mécaniquement, d’une manière d’autant plus accentuée.
Nous demandons au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche que les budgets des universités correspondent effectivement aux réels transferts de compétences (compensation du GVT, loi pluriannuelle de financement des universités…) et que soit entrepris un rééquilibrage des dotations aux universités en prenant en compte les inégalités antérieures afin de commencer, enfin, à les compenser.

Dans le domaine de la recherche, trois caractéristiques des LLASHS expliquent en grande partie son manque de reconnaissance actuelle en France : son hétérogénéité, la faible présence des EPST, la faiblesse des dotations tant financières qu’en RH, et une vision de plus en plus utilitariste de la recherche via les appels à projets thématiques notamment de l’ANR et des investissements d’avenir, qui pénalise lourdement la recherche en sciences humaines et sociales.

1. L’hétérogénéité
Plus que dans tout autre champ scientifique, dans les Sciences Humaines et Sociales le pluriel est lourd de sens. La distance épistémologique qui existe entre les recherches en Arts, en Littérature ou en droit et celles en Economie quantitative ou Sciences cognitives est d’un empan que l’on ne retrouve pas dans les autres champs. Le fait que le chantier de la définition des indicateurs de production scientifique en SHS ne progresse pas, malgré de multiples tentatives, est ici révélateur. Or, si cette entreprise échoue, c’est qu’elle est vaine. Elle ne pourra aboutir que si l’analyse traite de façon séparée les sous-groupes de disciplines ayant une proximité heuristique suffisante. A cet égard, la nouvelle nomenclature de la recherche en SHS en six groupes distincts, élaborée par la DGRI[1], pourrait être généralisée à l’ensemble des acteurs et structures (pour la rechercheen particulier ). Cette décision permettrait que des mesures adaptées à chaque groupe (et éventuellement inopportunes pour d’autres) puissent être discutées et adoptées. Ces groupes pourraient également permettre une redéfinition des groupes du CNU utilisés actuellement pour l’examen des recours et des promotions par la voie 3, et qui pourraient dans le futur examiner des candidatures à l’interface des disciplines.

2.La faible présence des EPST
Environ les trois-quarts des enseignants-chercheurs en LLASHS ne sont pas dans des UMR et une proportion voisine des unités de recherche SHS correspond à des EA. Une première décision simple à adopter est l’abandon de l’appellation Equipe d’Accueil (EA) pour l’appellation Unité Propre (UP). La conséquence la plus importante de ce taux d’UP pour les LLASHS, est la difficulté à inscrire ces équipes dans une stratégie scientifique définie nationalement (en lien avec un contexte scientifique international). Les UMR, qui pour la plupart relèvent du CNRS pour les LLASHS, sont contraintes par des orientations scientifiques nationales sous peine de mauvaise évaluation par le CNRS et à terme de dés-association. Outre un facteur de qualité, c’est sans doute cette adéquation entre l’activité des UMR et les orientations scientifiques nationales et internationales qui explique que les labex SHS sont proportionnellement 6 fois plus nombreux pour les UMR que pour les UP.
Ainsi, le fait que la grande majorité des enseignants-chercheurs SHS ne sont pas, et ne seront pas, dans des UMR, est sans doute une cause majeure de la faiblesse de la structuration du champ, malgré l’incontestable qualité de nombre de ces équipes. Il y a donc urgence à une structuration nationale de ce champ, dans laquelle l’alliance Athéna pourrait jouer un rôle majeur. Cet objectif de structuration nationale des SHS doit être complété par une structuration de site élaborée lors de réunions régulières entre les établissements d’enseignement supérieurs et organismes pour construire des constats communs, discuter des stratégies propres à chacun des partenaires et établir les points de convergence. Les MSH peuvent jouer un rôle de lien entre les partenaires locaux ou régionaux.

3.La faiblesse des dotations
L’étude publiée récemment par l’ORS montre qu’en moyenne, à effectif étudiant comparable, une université LLASHS est deux fois moins dotée (tant financièrement qu’en postes d’enseignants-chercheurs et qu’en postes BIATSS) qu’une université « scientifique » et une fois et demi moins bien dotée qu’une université pluridisciplinaire. C’est une situation héritée et qui perdure dans une époque qui n’est pas à l’augmentation des moyens. Cette sous-dotation n’a pas d’existence officielle puisqu’elle résulte de l’application de barèmes très défavorables aux LLASHS. Cette sous-dotation est aggravée par la faible présence des EPST, ce qui implique moins de moyens financiers et RH provenant de ces tutelles et un taux de chercheurs très faibles. Par ailleurs, plus que dans les autres champs les enseignants-chercheurs, moins nombreux, sont surchargés par leurs obligations d’enseignement. Et s’ils sont dans des universités LLASHS le faible nombre de BIATSS entraîne pour eux une surcharge d’activités techniques et administratives, tandis que leur université n’a généralement que peu de possibilités de financement de délégations ou de CRCT. Enfin, le dynamisme de la recherche en SHS est considérablement bridé par le faible taux de contrats doctoraux qui lui est alloué. Ce taux est deux ou trois fois inférieur à celui constaté dans les autres domaines. En l’espèce, l’explication souvent avancée du nombre élevé de doctorants salariés dans les disciplines du champ substitue à la cause la conséquence.

Malgré le contexte financier, il y a là des iniquités de traitement qu’il faudra s’attacher à corriger.
De cette analyse il ressort que les pistes existent pour optimiser la production scientifique en SHS et pour faire reconnaître ce large domaine à égale dignité avec les autres champs. Il faut pour cela une volonté politique et un engagement de l’ensemble de la communauté.

Signataires :
Jean-François Balaudé, Président Université Nanterre Paris 10 ; Mathias Bernard, Président Université Blaise Pascal Clermont 2 ; Sébastien Bernard, Président Université Pierre Mendès France Grenoble 2 ; Fabienne Blaise, Présidente Université Lille 3 ; Lise Dumasy, Présidente Université Stendhal Grenoble 3 ; Rachid El Guerjouma, Président Université du Maine ; Emmanuel Ethis, Président Université Avignon ; Anne Fraïsse, Présidente Université Montpellier 3 ; Jean-Emile Gombert, Président Université Rennes 2 ; Yves Jean, Président Université de Poitiers ; Yannick Lung, Président Université Bordeaux 4 ; Jean-Luc Mayaud, Président Université Lumière Lyon 2 ; Jean-Michel Minovez, Président Université Toulouse 2 ; Jean Peeters, Président Université de Bretagne Sud ; Danielle Tartakowsky, Président Université Paris 8 ; Denis Varaschin, Président Université de Savoie.