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"Le rapport Guesnerie se livre à une attaque en règle de l’enseignement de l’économie"

par Annie Kahn, "Le Monde" du 3 juillet 2008

samedi 12 juillet 2008, par Laurence

On s’attendait à une analyse critique des manuels d’économie destinés aux lycéens. Mais c’est aussi, et surtout, à une attaque vigoureuse des programmes d’enseignement des sciences économiques et sociales (SES) que se livre l’"Audit des manuels et programmes de sciences économiques et sociales du lycée" remis, jeudi 3 juillet, par Roger Guesnerie, professeur au Collège de France, au ministre de l’éducation nationale, Xavier Darcos.

Premier grief : "L’encyclopédisme des programmes va de pair avec une assimilation insuffisante des fondamentaux." Dotés d’un bagage théorique insuffisant, les élèves sont conviés à étudier un trop grand nombre de "thèmes" – et c’est là le deuxième grief – comme la mondialisation, la famille, la monnaie, sans avoir assimilé les connaissances nécessaires pour le faire. "Il est ensuite difficile d’aborder les grands thèmes de l’actualité économique et sociale (…) sans risquer que, chez des élèves de 15-16 ans, des préjugés, des considérations émotionnelles, liés à leur histoire personnelle, ou à l’écho médiatique donné à tel ou tel fait récent, l’emportent sur des arguments objectifs et construits", souligne le rapport.

Troisième grief, le caractère négatif de cet enseignement : "Les programmes mettent plus l’accent sur les problèmes de notre société et peu sur ses réussites. On trouve, pour ne citer qu’un exemple, de longs développements sur le chômage, la précarité, mais peu sur l’élévation du niveau de vie."

Quatrième grief : les notions de mathématiques et d’histoire nécessaire aux SES ne sont souvent pas connues des élèves, ou ces derniers ont du mal à utiliser les outils développés dans une matière pour mieux appréhender l’autre, sauf quand des professeurs de ces différentes disciplines prennent l’initiative de se concerter. Ce qui n’est pas le cas général.

Cinquième grief : l’entreprise est peu étudiée. Et quand elle l’est, "elle est insuffisamment appréhendée comme un acteur microéconomique soumis à des contraintes fortes et devant faire des choix dont dépend sa survie (… ). Les rudiments de comptabilité, tels que le bilan et le compte de résultat, ne sont présentés à aucun moment." Les manuels d’enseignement, qui s’attachent à suivre ces programmes, en véhiculent les défauts, quand ils ne les amplifient pas. Certains participent particulièrement à la sinistrose nationale. "A propos de l’entreprise, [ils mettent] l’accent sur les conflits, les mauvaises conditions de travail et les bas salaires" ; l’iconographie renforce ce propos. Et pour rendre la matière attrayante, les manuels présentent de nombreux récits et témoignages, issus de la presse en particulier. Mais ces documents sont présentés "sur le même plan" que ceux d’économistes ou autres grands auteurs. "Rien n’indique à l’élève, s’il veut se référer au manuel de façon autonome, l’importance ou le type de légitimité de ces différents textes", précise le rapport.

Ces critiques faites, la commission réunie autour de M. Guesnerie ne tombe pas à son tour dans le négativisme qui conduirait à renoncer à permettre à cette discipline de figurer au programme. Bien au contraire. Cette "troisième culture (…) est un pilier fondamental de la formation du citoyen dans notre monde contemporain", affirment ses membres. La commission se dit ainsi "très sensible" à la demande d’un enseignement de l’économie obligatoire en seconde, sans prendre position néanmoins sur cette question.

Et pour donner à ceux qui l’auront choisie une formation plus approfondie à cette discipline, en première et terminale, "la commission propose de reconstruire les programmes sur ces sujets" en associant l’acquisition, en amont, d’un "socle de connaissances sur les fondamentaux" qui serait plus ambitieux qu’il ne l’est actuellement, et, en aval, l’étude d’un beaucoup plus petit nombre de thèmes, "conçus comme des points d’appui" facilitant l’acquisition des notions du programme.

"Ce projet appellera un effort inédit dans la formation continue des enseignants. Mais le jeu – la modernisation et la consolidation de l’enseignement de sciences économiques et sociales au lycée – en vaut la chandelle", estiment les auteurs.