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"Education : enseigner demande une formation." Paul-Henri Giraud, Le Monde (blog), 27 mars 2013.

jeudi 28 mars 2013, par Jara Cimrman

La gauche portera-t-elle éternellement la honte d’avoir osé faire croire que le métier d’enseignant peut se passer d’un vrai savoir disciplinaire ? « La droite portera éternellement la honte d’avoir osé faire croire que le métier d’enseignant ne relève pas d’une formation » déclarait au Monde, le 22 mars dernier, l’historien Marcel Gauchet. Et il ajoutait : « J’espère que les nouvelles Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) seront à la hauteur du rôle fondamental qu’on est en droit d’en attendre ». Les informations dont disposent aujourd’hui les universitaires directement concernés par la formation des futurs enseignants du secondaire obligent malheureusement à tempérer le relatif optimisme de Marcel Gauchet. Derrière les annonces solennelles du Ministre de l’Éducation, pour qui la loi d’orientation et de programmation sur l’école, adoptée le 19 mars par l’Assemblée Nationale, viserait rien moins qu’à une " refondation " de notre système éducatif, se cachent des mesures drastiques non encore révélées mais déjà décidées par les officines ministérielles, mesures qui sont en passe d’être imposées à tous sans concertation.
Dans toutes les Académies de France, les universités viennent en effet de recevoir d’indigestes " dossiers de préfiguration des ESPE ", dossiers qu’elles sont sommées d’accommoder à la marge et d’entériner pour l’essentiel, et ce, dans les plus brefs délais, sous peine de voir totalement leur échapper la formation des futurs enseignants.
De ces tractations inégales entre l’État et des universités que l’on dit " autonomes ", il ressort une réalité simple et crue : la formation disciplinaire des étudiants de Master se destinant à l’enseignement secondaire est tout bonnement divisée par deux. Alors que les " Masters Enseignement " comportaient jusqu’à présent deux tiers de formation disciplinaire et un tiers de formation pédagogique, la pédagogie occupera désormais, sous forme pratique ou théorique, les deux tiers de la formation au " métier " d’enseignant. Grâce à ce beau projet, les futures ESPE visent à assurer le triomphe d’une science incertaine dont les étudiants ont eu trop souvent à pâtir dans les IUFM – Marcel Gauchet reconnaissant lui-même qu’une " pédagogie éclairée " est encore " à inventer ". Au sein de ces établissements prétendus " supérieurs ", les universités ne seront que des faire-valoir, les garantes illusoires de l" excellence disciplinaire " d’un diplôme qu’elles continueront de décerner mais sur lequel, en fait, elles vont perdre tout contrôle.
Quant au projet de nouveau CAPES (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré) de l’actuel gouvernement, la part disciplinaire y est réduite à un sixième de la note globale d’admission. Ainsi un candidat qui obtiendrait 0/20 dans sa matière de spécialité pourrait parfaitement devenir professeur d’anglais, de philosophie, de mathématique ou d’histoire, du moment qu’il saurait réciter dans l’ordre la liste des " compétences " pédagogiques et administratives inculquées par l’ESPE. Le gouvernement socialiste s’apprête bel et bien – mais dans un sens inverse à celui souhaité par Marcel Gauchet – à " créer de l’irréversible sur un certain nombre de points cruciaux ". Les futurs enseignants seront, il faut le craindre, des ignares dociles.

Paul-Henri Giraud, Professeur en études hispaniques contemporaines à l’Université Lille 3 Charles de Gaulle, membre du jury du CAPES d’Espagnol

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