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La LRU2.0 se qualifie au Sénat : Le Sluiste embeddé a encore frappé, 24 juin 2013

mardi 25 juin 2013, par Mademoiselle de Scudéry

La manifestation du 19 juin 2013 de Jussieu au Sénat en passant par le Panthéon contre la loi Fioraso, aussi connue sous le nom de LRU 2.0, s’était fort bien déroulée aux cris de "Pécresse en a rêvé, Fioraso l’a fait, le changement c’est pire qu’avant", "Cahuzac l’a fait, Fioraso peut le faire, dé-mi-ssion !!", et autre chanson bon enfant sur les, non pas trahisons, mais, disons plutôt, "compréhensions" successives de ces deux LRU, de la part des présidents successifs de l’UNEF, tour à tour, solférinistes exemplaires, membres du Conseil Économique et Social et/ou conseiller relations enseignement supérieur et emploi au cabinet de Geneviève Fioraso. Le trajet de la manifestation nous avait fait passer devant le ministère de la recherche où nous avions exprimé à haute voix, au delà des grilles et par delà la conséquente protection policière, un salut appuyé aux grandes qualités humaines, de dialogue et d’écoute de Guillaume Houzel.

La manifestation avait fini par aboutir rue de Vaugirard aux abords du Sénat, stoppée par une très abondante présence policière. Là nous avions pu entendre, au micro, la Sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin (groupe CRC, vice-Présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication) exprimer, avec netteté, en cette veille de l’ouverture au Sénat des débats sur la loi, son opposition à la LRU 2.0.

La chef de SLU (et oui, les enjeux, et je dirais même, les challenges, du troisième millénaire imposent que même les collectifs se placent, eux aussi, sous la coupe d’un leadership fort, et incarné), la chef de SLU donc m’interpelle. "Bon, écoute coco, notre PCS (puissance cellule site) n’arrête pas de mettre sur le site de SLU des infos toutes plus déprimantes les unes que les autres. Il est vrai que tout ce qui s’est passé, se passe, ou va se passer sur l’ESR (enseignement supérieur et recherche) est atroce, vraiment abominable. Cependant, le résultat des sondages qui ont été effectués sur notre lectorat sont inquiétants, et pas seulement chez la HDR de moins de cinquante ans : 7% des lecteurs de notre site sont sous Lexomil, 12% sont sous Xanax, 15% sont sous Prozac, 21% font des mélanges bizarres des trois avec des alcools divers, et 19% ne se prononcent pas sur les benzodiazépines qu’ils consomment car ils n’ont même plus la force de répondre aux enquêteurs. J’ai fait des moyennes mobiles à deux semaines, un mois, un trimestre, le nombre de connections journalières au site de SLU risque de tomber en dessous du seuil des 1000 connections journalières. Si ça continue comme ça, au niveau du rating, et des parts de marché, on va passer derrière le site de SLR ! Je dis quoi à nos futurs annonceurs ? Jean-Louis Missika devait nous avoir Axa Securities, Julie Coudry l’UIMM, alors je leur dis quoi ? C’est la cata coco : que cela te plaise ou pas, il faut que tu retournes t’embedder au Sénat et que tu nous fasses fissa une de tes petites saillies drôlatiques. Tu connais le topo : il y a des fortes chances d’avoir un vote négatif au Sénat, tu devrais avoir de la matière !".

Bon je n’ai pas le choix, mais j’ose, néanmoins, une timide question : "Est-ce que je pourrais, au moins, citer Saint-Simon ou Shakespeare ?" Ah ça, je te l’interdis bien ! Tu arrêtes de faire le cuistre, et dans le même ordre d’idée tu ne nous fais pas un de tes textes de 16 pages comme la dernière fois. Une étude récente a montré que 23% des universitaires français et jusqu’à 87% des universitaires fortement impliqués dans le management par projet, ne savent plus lire que des powerpoints et que, pour 67% d’entre eux, leur capacité de concentration ne dépasse pas, en moyenne, les 6 minutes 30 secondes. Alors, coco, tu es gentil : tu ne dis rien de mal sur les assurances, les banques, le patronat, tu fais court, tu fais drôle et tu te calmes au niveau des citations.

Je prends mon courage à deux mains, vais voir la Sénatrice Gonthier-Maurin et lui demande si elle ne pourrait me permettre d’assister aux séances publiques du Sénat en m’octroyant un billet de séance pour le lendemain (les premières séances ne commençant que l’après-midi) et pour le troisième et dernier jour des débats, le vendredi.

Le lendemain, ainsi assuré d’un billet de séance pour assister aux séances publiques je me présente au 15 rue de Vaugirard. Après les formalités semblables à celles de l’Assemblée Nationale, portique de sécurité, etc ... l’assistante parlementaire de la sénatrice, m’accueille, et a la gentillesse de m’accompagner sur le long chemin qui mène jusqu’aux balcons des tribunes Médicis. Nous traversons donc la splendide cour pavée du Sénat, entrons dans le bâtiment, passons dans de longs couloirs, puis montons trois étages d’un escalier de pierre qui donne le vertige et que je qualifierais de semi-dangereux. Arrivé en haut je dépose mes affaires, ma veste et reçois un numéro en échange. La règle est la suivante : on enlève sa veste, ou on la garde, mais on ne peut rentrer dans ces tribunes avec une veste et, constatant que l’on a trop chaud, y tomber la veste. L’appariteur me conseille de m’asseoir sur les bancs du fond qui sont plus larges et donc plus confortables. Ma cuisante expérience précédente à l’Assemblée Nationale, m’incite à ne pas prendre un tel conseil à la légère.

Sonnerie de théâtre du début de séance. La Ministre Fioraso entre dans l’hémicycle dans une veste dans les gris bruns, très patchwork rustique mais esprit couture. Jean-Pierre Raffarin préside la séance. On donne la (très longue) lecture des différents ordres du jour fixés par le gouvernement, que je ne vous détaillerai pas ici, si ce n’est un projet de loi après engagement de la procédure accélérée autorisant l’approbation d’un accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté de Monaco relatif à la prise en charge sur le territoire français de déchets radioactifs monégasques.

Intervention de Patrice Gélard : Je croyais que les travaux du Sénat se déroulaient les mardi, mercredi et jeudi, et exceptionnellement les lundi et vendredi. Ici nous atteignons l’insupportable ! Nous dépassons les bornes ! L’ordre du jour est extravagant ! (applaudissements à droite)

Réponse de David Assouline : Il faut réformer et vite ! Les Français attendent !

Intervention de la Ministre Fioraso "Le prestige d’une nation, son rayonnement, sa place dans le monde, sa capacité à se projeter vers l’avenir se mesurent à l’aune de la performance de l’enseignement supérieur et de la recherche. ... pari de la jeunesse ... répondre au défi du présent ... inscrire la France ... dans un monde où la connaissance est mondialisée ... alors que Lisbonne avait fixé à 3% ... nous plafonnons à 2.2% alors que l’Allemagne frôle 3% alors que la Corée à 4.7% vise les 7% ... Si nous partageons certains objectifs de la LRU de 2007, ...
Si nous pouvions être en accord avec différents éléments du pacte de la recherche ...
"

Merci Geneviève, les chercheurs n’en attendaient pas moins du gouvernement.

"Pour les regroupements d’université, une stratégie coordonnée par toutes les composantes académiques s’imposait. Il y a changement dans le rôle de l’Etat qui de démissionnaire redevient stratège. La loi combine la dynamique territoriale et celle de l’État stratège, rompant avec l’opposition stérile entre recherche fondamentale et innovation. C’est la clé de la création d’emplois. C’est pourquoi j’ai tenu à inscrire le transfert dans les missions du service public ...
Enseigner s’apprend. Les ESPE y pourvoiront.
"

Cela ne fait aucun doute.

"L’innovation pédagogique sera privilégiée. Le numérique a un rôle essentiel à jouer. Les articles 6 et 7 portent sur l’obligation de rendre numériques les enseignements qui y sont adaptés ... Cette loi d’orientation fixe un cap ambitieux, quantitatif, concernant 50 % d’une classe d’âge, et qualitatif. De nombreux débats, auditions et consultations [1] l’ont précédée, dressant un état des lieux partagé. ... s’appuie sur des assises ouvertes à tous".

La Ministre Fioraso continue toujours très fabouilleuse. N’est pas grand orateur qui veut.
" ... La loi combine la dynamique territoriale et celle de l’État stratège, rompant avec l’opposition stérile entre recherche fondamentale et innovation ... Il faut aussi préparer les lycéens à la réussite en licence. Le dispositif bac -3/+3 est déjà engagé avec l’éducation nationale. Adaptons notre offre aux jeunes qui sont confrontés, à la sortie du baccalauréat, à une myriade de plus de 10 000 offres de formations, au point qu’a émergé un nouveau métier, celui de « coach privé » en orientation !" La Sénatrice UMP Sophie Primas s’exclame
"... Ce projet de loi définit un agenda stratégique de la recherche. L’ANR s’était improvisée programmatrice de la recherche en France. Les États-Unis, le Japon et d’autres pays ont adopté des démarches volontaristes qui doivent nous inspirer. ... J’ai mandaté les Alliances, une bonne chose de mes prédécesseurs ... J’ai demandé aux cinq grandes alliances pour la santé, l’environnement, le numérique, l’environnement et les sciences de l’homme que soient formulés des axes de recherche pour relever les grands défis de notre pays d’ici à la fin de l’année. Le conseil stratégique de la recherche coordonnera cet agenda stratégique, harmonisé avec le programme européen, à l’horizon 2020 ; une évaluation régulière sera effectuée en relation avec l’Office parlementaire ..."

Réaffirmer l’ANR, les Alliances. Nous n’en attendions pas moins, Mme la Ministre.

Je vous passe les écosystèmes, les écosystèmes de ceci, les écosystèmes de cela, il y eut vraiment beaucoup d’écosystèmes ...

"La loi de 1999 sur l’innovation, votée à l’unanimité, doit être complétée. Je propose d’inscrire le transfert dans les missions de service public de la recherche chaque fois que cela est possible. La notion de transfert pourra être élargie et précisée au cours de notre débat, j’y suis favorable. ... Ce projet de loi incarne un nouvel élan pour l’enseignement supérieur et la recherche de notre pays. Oui, notre monde en mutation entraîne des changements, des défis inédits. Le Gouvernement a engagé le redressement national pour y faire face ; ce projet de loi y participe, pour construire une société de progrès, fondé sur la formation et la recherche et les valeurs d’universalité et d’humanisme.” (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Intervention de la rapporteure de la Commission de la culture, Dominique Gillot.
N’est pas grand orateur qui veut (bis). Le débit est terriblement monocorde, quant au contenu, je vous laisse juge :
"Pour la première fois, nous sommes saisis d’un texte qui lie enseignement supérieur et recherche pour nourrir la compétitivité ... Ce projet de loi vise à l’avènement d’une société plus inclusive, en faisant de la réussite de tous les étudiants un objectif prioritaire ... conseil d’administration, dont la vocation stratégique est confortée ... Notre commission a adopté des amendements aux premiers articles du projet de loi, pour redéfinir le transfert comme valorisation des résultats de la recherche au service de la société. Nous avons intégré dans les missions de l’enseignement supérieur et de la recherche l’encouragement et la participation à la recherche, en introduisant une référence à la culture scientifique, technique et industrielle à inscrire dans le code de l’éducation ... Attentive et respectueuse des travaux de la CPU, notre commission ... La procédure d’habilitation à délivrer des diplômes est remplacée par une procédure d’accréditation ..."

La rapporteure arrête la (difficile) lecture de son texte avec un "Excusez-moi, je ne m’y retrouve plus, j’ai sauté une page".
Gros blanc. Très gros blanc. Gros malaise. Elle reprend, relisant une dizaine de phrases qu’elle avait déjà prononcées. Très gros malaise. En fait elle n’avait pas sauté une page mais quatre lignes, mais notre punition fut, en conséquence, d’entendre par deux fois la même dizaine de phrases précédentes.

"... devra contenir un membre de l’enseignement secondaire pour assurer la continuité ... L’autonomie pédagogique des établissements est renforcée, l’offre de formation rendue plus lisible ... La mise en place d’un Haut conseil de l’évaluation s’inscrit dans la continuité des efforts de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ..."

Intervention de la Sénatrice Valérie Létard (commission des affaires économiques saisie de ce texte pour avis) :
"Notre recherche, une des meilleures au monde, est bridée par l’excès de bureaucratie et elle peine à établir des liens avec l’entreprise. Le mikado institutionnel qui la caractérise, les tâches bureaucratiques qui étouffent les chercheurs les empêchent de soumissionner aux appels d’offre passés par l’Union, si bien que notre taux de retour a reculé d’un tiers depuis 2007. Nous donnons deux fois plus à l’Union européenne que nous ne recevons au titre de la recherche."

Effectivement c’est ballot : les chercheurs ont tellement perdu de temps à déposer en vain des projets ANR, qu’ils ne trouvent plus le temps pour déposer en vain des projets ERC.

"L’évaluation laisse à désirer, même si la présidence de l’Aeres l’a fait progresser."

Oui c’est indéniable, nous sommes tous d’accord.

"Réduire le financement de l’Agence nationale de la recherche, comme le prévoit la programmation triennale 2013-2015, affectera le dynamisme des équipes. Quelles évolutions de plus long terme, madame la ministre, pour cette structure essentielle dans notre paysage ?"

Là encore on ne peut qu’être d’accord.

"Sur la gouvernance, vous auriez pu étendre votre politique de rénovation à la question des transferts. Parmi les collectivités territoriales, il n’y a pas que les régions qui contribuent beaucoup à la recherche, c’est aussi le cas des intercommunalités ; il faut mieux les associer."
J’ai écrit que les radicaux de gauche étaient encore plus forts que les socialistes pour défendre les baronnies locales, mais je dois me rendre à l’évidence les centristes font encore mieux.
"Pourquoi mettre à bas les PRES pour les remplacer pour quelque chose de très proche, les « communautés d’universités et d’établissements » ? Je vous proposerai de renforcer l’aspect confédéral et de donner plus de souplesse à l’association. Pour l’évaluation, vous remplacez l’Aeres par un HCERCS. ... démarche incohérente, qui retardera les évaluations à venir alors que l’Aeres est en voie de réforme." (M. Jacques Legendre le confirme)

Vive l’AERES ! Santo subito !!

"Plusieurs articles, sur le transfert, restent déclaratoires. La seule mesure opérationnelle est celle prévue par l’article 55, sur la valorisation des brevets. Or elle pose problème, quand bien même son but est fort louable, car elle contrevient au droit communautaire et à celui de l’OMC."

Effectivement ne pas se soumettre à l’OMC ce serait dommage.

"C’est pourquoi je vous proposerai des amendements, travaillés en lien étroit avec Mme Gillot, qui a fait un travail sérieux et constructif, pour améliorer le volet recherche de ce texte et aller dans le sens du rapport Gallois."

C’est beau, c’est touchant, c’est positif, ce désir de co-construction entre la gauche et la droite.

"Nos chercheurs pourraient contribuer davantage, demain, à créer de la valeur ajoutée et de l’emploi."

En tant que chercheur, je dois dire, je suis emballé. Je vais arrêter tout de suite de faire de la recherche pour faire de la valeur ajoutée, il faut juste que je travaille un peu mon business plan.

Intervention de Mme Françoise Laborde, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes : "La parité sera favorisée, dans les conseils des universités, par l’obligation de constituer des listes alternées. L’Assemblée nationale a modifié les conditions du scrutin selon une double modalité sur laquelle nous ne reviendrons pas, l’une compensant l’autre."

Le diable est dans les détails ...

Intervention de la sénatrice verte Mme Corinne Bouchoux " La gouvernance, enfin, reste un sujet d’inquiétude. Les écologistes sont partisans d’une université fédérale. Au lieu de quoi vous privilégiez un système à l’américaine qui ni ne favorise l’aménagement du territoire ni ne rassure les personnels. Ces associations risquent fort d’être des mariages forcés ... Le HCRES ressemble par trop à l’Aeres et la pression à l’évaluation permanente demeure. Trop d’évaluation tue l’évaluation, et les humains avec. Nous demandons un vrai changement sur ce point. Il faudra aussi revoir la place des élus dans cette nouvelle instance ...
Ce texte accorde trop de place à la valorisation économique. Les écologistes plaident pour une réorientation du CIR vers l’université. Ce texte n’est hélas pas à la hauteur des enjeux
" (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC, ainsi que sur quelques bancs UMP)

Le président Raffarin interrompt la séance pour saluer la présence, dans la tribune d’honneur, d’une délégation de sénateurs égyptiens. Séquence émotion. Les sénateurs français sont debout et les sénateurs égyptiens aussi. Applaudissements.

Nous abordons maintenant la discussion générale du projet de loi, le président Raffarin donnant la parole au premier orateur masculin depuis le début de cette après-midi (sourires).

Intervention de Philippe Adnot (réunion administrative des Sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique) : "Eh oui, la parité n’est pas intégrale ni hégémonique, je m’en félicite. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite ; exclamations à gauche) ... Je ne vous accuserai pas de vouloir détruire la réforme précédente : dans certains domaines, vous reprenez et améliorez le rythme de ce qui a été engagé. Vous rêvez, comme Mme Pécresse, de faire des PRES des mastodontes. Je ne crois pas que la masse fasse la qualité. Les SATT, ces usines à gaz régionales, porteront-ils les fruits attendus ? ..."

Intervention de Sophie Prismas (groupe UMP) : "La LRU, adoptée il y a cinq ans, fut une réforme capitale ... la LRU a ouvert une ère de progrès. Je salue le rapport de Mme Gillot et M. Ambroise Dupont, qui ont relevé les points perfectibles ... Mais ce texte, qui multiplie les verbiages et les déclarations d’intention, est fort décevant."

Mme Maryvonne Blondin. - Oh ! M. Jacques Legendre. - Eh oui !

"... X% de ... Y% de ... les faits sont têtus ... A quoi bon une concertation si, in fine, on n’écoute pas les acteurs ? ... A la différence de la LRU, ce texte n’est pas une loi de programmation."

D. Assouline : La loi Pécresse n’était pas une loi de programmation !

Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin (groupe CRC) : " ... La LRU de 2007 et le pacte de 2006 ont profondément déstructuré l’enseignement supérieur et la recherche, qui ont aujourd’hui besoin d’une véritable rupture ... L’obsession économique privilégie la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, hiérarchise les savoirs, asservit la recherche publique aux intérêts privés. Nous ne l’acceptons pas ... La montée en puissance du CIR -5 milliards d’euros en 2012-, attribué principalement à de grandes entreprises, n’empêche pas Sanofi de fermer son centre de recherche en France. Quelle est son efficacité ? ... l’autonomie a été réduite à l’autonomie budgétaire et de gestion des ressources humaines : elle a favorisé l’expansion de la précarité et la suppression de postes. Dix-neuf universités étaient en déficit fin 2012 et la moitié pourrait l’être l’an prochain. La LRU a confié aux établissements, en guise d’autonomie, le soin de mener la RGPP en leur sein. La LRU a aussi miné la démocratie universitaire, renforcé les pouvoirs du président au détriment des étudiants et du personnel non enseignant ... Hélas, ce projet de loi s’inscrit dans la logique de la LRU et du pacte pour la recherche ... L’ANR, très contestée par la communauté scientifique, n’est même pas évoquée ; son intégration au sein de la Mires aurait été un signe fort ... L’argument du manque de moyens pour lutter contre la précarité ne tient pas face aux 5 milliards d’euros du CIR, autant d’argent soustrait aux laboratoires publics au profit d’entreprises telles que Aventis, IBM, ou Sanofi qui n’en demandaient pas tant -et licencient ... La vision utilitariste perdure. Le texte fixe une nouvelle mission aux laboratoires et au personnel de l’université et de la recherche : le développement du transfert économique ... l’accent est mis sur l’amélioration de la compétitivité. Or la recherche doit avant tout poursuivre l’élévation du niveau des connaissances. La subordination à l’impératif économique conduit à privilégier la recherche appliquée et à marginaliser les sciences humaines et sociales. Ce projet de loi s’accompagne d’une volonté de spécialisation régionale, voulue par Bruxelles. La coopération territoriale est rendue obligatoire. On s’éloigne ainsi d’un développement équilibré du territoire, avec des établissements de haut niveau au service de la population, au profit d’une concurrence entre établissements et entre régions. L’Aeres, dénoncée par la communauté scientifique, semble épargnée. L’évaluation est indispensable et doit être le fait des pairs, donc élus ; ce n’est pas le cas ... L’enseignement supérieur et la recherche ont besoin d’une rupture claire -ce que porteront nos amendements. Nous voterons contre ce projet de loi." (Applaudissements sur les bancs CRC ainsi que sur plusieurs bancs à droite, M. Jean-Jacques Mirassou, groupe socialiste et apparentés, s’exclame)


Intervention de Jean-Pierre Chevènement :
" ... je salue la sanctuarisation de ce budget. Cet effort accru doit être celui de tous, et d’abord celui de nos chercheurs et universitaires ... Vous proposez un « livre de transfert » et la création de nouvelles plateformes de transfert technologique ... région de Belfort-Montbéliard, ... établissements de Bourgogne et de Franche-Comté, ... Franche-Comté, ... Franche-Comté, ... Franche-Comté, ... Franche-Comté, ..."

Visiblement le lion de Belfort est un peu fatigué, il n’est plus que l’ombre du tribun qu’il fut, l’ardent défenseur de la Nation ayant rejoint le troupeau socialiste (et centriste et radical et UMP) des promoteurs de leurs propres baronnies régionales.

"Nous avons déposé un amendement pour dire que le président du conseil d’administration peut présider le conseil académique ou déléguer sa présidence. Je sais qu’il est de bon ton de fustiger l’autorité et le centralisme mais une diarchie n’est pas possible au sein des universités. La présidence ne se partage pas, nous n’avons pas la tradition des universités anglo-saxonnes. J’approuve l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence. Les bacs professionnels, que j’ai créés en 1985, ... XX% et YY%, les faits sont têtus ..."

Jean-Pierre Chevènement fait alors une pose théâtrale en direction de la sénatrice Gonthier-Maurin qui discute avec son collègue CRC (je ne saurai les en blâmer, la concaténation des chiffres francomtois était parfaitement ennuyeuse).

"Je constate que les sénateurs communistes ne m’écoutent pas lorsque je cite Lénine !"

Et oui chers camarades, les faits sont têtus, c’est du Lénine (Lettre aux camarades - 1917) « C’est un fait. Les faits sont têtus. Et un « argument » de fait de cette nature en faveur de l’insurrection est plus fort que mille tergiversations ... »

L’interpellation pseudo-humoristique tombe cependant à plat car six minutes auparavant la sénatrice Sophie Prismas du groupe UMP avait, elle aussi, utilisé cette expression du dictionnaire des citations sénatoriales. Il faut bien constater que nos parlementaires utilisent beaucoup de telles citations "L’immobilisme est en marche, rien ne pourra l’arrêter ..." et autres mots valise.

A ce stade un petit commentaire. Pour ceux qui rechercheraient cette splendide passe d’arme dans le compte rendu analytique officiel du sénat, ils ne la trouveront pas : le compte rendu analytique officiel du sénat qui prétend reproduire fidèlement l’intégralité des propos et même applaudissements, exclamations, signes d’approbations ou d’improbations, correspond, en fait, à un travail de lissage adopté sous les réserves d’usages.

Toujours Jean-Pierre Chevènement : " ... Le sabir qu’est l’anglais international favorise l’imprécision des concepts. Les scientifiques britanniques réclament souvent la traduction simultanée dans les colloques parce qu’ils ne comprennent pas l’anglais que parlent nos chercheurs ..." (Rires et sourires)
"... Il y a un juste équilibre à trouver pour mobiliser toutes les forces de la France."
(Applaudissements sur les bancs socialistes)

Intervention de David Assouline : "Je salue Mme la ministre, sa disponibilité, son travail, son courage ... Oui à l’autonomie, que nous, socialistes, avons toujours défendue ... Seules dix universités ont mis en place une comptabilité analytique. Mais la LRU a enclenché une dynamique qu’il ne faut pas casser. Le changement ne passe pas par son abrogation ... Malgré ce que la LRU a permis ..."

Vraiment dommage que Valérie Pécresse ne soit pas là pour applaudir. Vraiment, David, que c’est beau, que ces propos sont galants :
« Malgré ce que la LRU a permis ... Malgré ce que la LRU a permis ... »
Ce "malgré ce que la LRU a permis" en dit beaucoup plus qu’il ne semble. C’est du Molière.
Quel dommage que l’on ne retrouve pas ces si belles phrases dans le compte rendu analytique officiel !

"Avec les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, la concertation a eu lieu, ce qui tranche singulièrement avec la méthode du gouvernement précédent ... le texte rétablit des équilibres. Il propose une ambition et une stratégie globale de l’enseignement supérieur et de la recherche. La commission a bien travaillé, le groupe socialiste est fier que nombre de ses amendements aient été intégrés au texte ... Inscrivons notre travail dans une stratégie globale de redressement national !" (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Intervention de Jean-Léonce Dupont (groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC) :
" ... voici ce projet de loi, dont l’intitulé neutre n’exprime pas d’ambition particulière... Il est vrai qu’une partie de votre majorité réclame à corps et à cris l’abrogation de la LRU et tient des discours de contestation d’un autre temps. C’est désolant."

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - C’est un peu exagéré !

"Vous avez tenté de résister, madame la ministre, je vous en donne acte ... Nous abordons ce texte dans un esprit pragmatique. L’exercice de l’autonomie implique un pilotage fort ... Nous saluons la participation des personnalités extérieures à l’élection du président ... Veillons à l’ouverture sur le monde des entreprises ... Je regrette que la parité des disciplines n’ait pas la même force que la parité des sexes ... Les communautés d’établissements, elles auront d’ailleurs les mêmes structures de gouvernance ; est-ce bien raisonnable ? Le Gouvernement fait preuve d’une créativité normative remarquable ... Un État stratège n’est pas incompatible avec la pratique de l’autonomie. Il ne le sait pas, ou plutôt ne le veut pas encore ... Sur la recherche, notre inquiétude est double. Pourquoi remplacer l’Aeres par une nouvelle autorité exerçant la même mission, alors qu’elle a su construire sa méthodologie et prendre sa place au-delà de nos frontières ? Notre rapporteure, dont j’ai apprécié le travail, a été bien malmenée par sa propre majorité. (« C’est vrai ! » à droite) ... Le transfert est inséparable de la recherche publique. Il ne saurait être relégué au second plan. Il serait irresponsable de penser autrement."

Intervention de Mme Esther Benbassa (Europe Écologie Les Verts) : "...cessons de remplacer les enseignants-chercheurs par des professeurs venus du secondaire, créons des agences pour aider les chercheurs à répondre aux appels d’offres européens afin de leur éviter d’y consacrer toute leur énergie, revoyons les modalités d’évaluation qui infantilisent les chercheurs et les financements sur projet de l’ANR, qui gèlent tout.
L’université est un outil irremplaçable pour la formation et la recherche ; faisons-en un élément clé de la fameuse exception culturelle française, au lieu de la laisser à l’agonie
." (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC ainsi que sur quelques bancs socialistes)

Intervention d’Ambroise Dupont (groupe UMP) " ... La semaine dernière, je vous ai présenté, avec Mme Gillot que je salue pour son travail libre et approfondi, notre rapport d’évaluation de la loi LRU. ... Pourquoi ne pas donner plus de poids aux personnalités extérieures ? ..."
Nous le constatons une fois de plus, les sénateurs de droite adorent la rapporteure socialiste Gillot, qui elle-même adore l’AERES, et puis, je l’ai déjà écrit dans mon compte rendu sur les débats au parlement, entre électriciens on ne se marche pas sur le câble.

Cette première journée m’a totalement déprimé : une bouillie de société inclusive, de défis sociétaux, de culture à partager, de science participative, de commissions terriblement attentives aux travaux de la CPU, de principe d’université inclusives, de nécessaire continuité avec la précédente LRU ... je te passe la rhubarbe, et tu me passes le séné, mais pas comme disait Voltaire "Passez-moi l’émétique, madame, et je vous passerai la saignée". Comment obéir aux ordres de la chef de SLU et faire drôle avec tout cela ? Ce n’est pas gagné. En revanche, je peux peut-être m’élever à un niveau journalistique supérieur, suivant en cela la grande tradition de journalisme d’investigation de notre si indépendante presse française, sa quintessence étant le journal de révérence, pardon je veux dire de référence, Le Monde. La légende héroïque de la presse raconte qu’Hubert Beuve-Méry, ... donnait cette consigne à ses journalistes : « Faites chiant, messieurs, faites chiant ... »
Si je n’ai pas la matière pour faire drôle, j’ai en revanche toute la matière pour faire chiant.
Et puis, il reste le suspense haletant du vote vert. C’est décidé, vendredi, je retourne au Sénat dans l’après midi et je reste jusqu’au vote final !

Sénat : LRU 2.0 Friday June 21st 4.30 p.m

La séance débute avec un nombre raisonnable de sénateurs présents pour un tel texte majeur : 13 (sur 348). Treize, on va dire qu’il ne faut pas être superstitieux (d’ailleurs cela porte malheur d’être superstitieux). Avant-hier, pour la première journée de cette procédure accélérée au Sénat, on avait parfois culminé jusqu’à 30 sénateurs.

Le diable est dans les détails : Mme Marie-Christine Blandin (présidente de la commission de la culture) informe la présidente de séance : la commission de la culture a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats à l’éventuelle CMP. La liste des candidats a été affichée et sera ratifiée s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

ARTICLE 44
La présidente de séance : - Amendement n°7, présenté par M. Gattolin et les membres du groupe écologiste :
"Après l’alinéa 3 Insérer un alinéa ainsi rédigé : ...) Les mots : « dont la qualification est reconnue par l’instance nationale prévue à l’article L. 952-6 » sont supprimés. "

Corinne Bouchoux. - Amendement de cohérence.

Mme Dominique Gillot, rapporteure : "Je maintiens l’avis défavorable de la commission. La concertation n’est pas mûre pour supprimer la qualification."
Geneviève Fioraso, ministre. - Même avis.

L’amendement n°7 n’est pas adopté.

ARTICLE 47
Sur la reconnaissance du titre de docteur. un amendement précise les conditions dans lesquelles les titulaires d’un diplôme de doctorat sont autorisés à se présenter aux épreuves du concours interne d’accès à l’ENA. La ministre explique en mots fleuris qu’elle rend les armes face à la trop puissante directrice de l’ENA, les mots « autant que de besoin » permettant de vider l’article 47 à bon compte : " ... il s’agit d’un long combat où se font jour des réticences bien compréhensibles mais, heureusement, nous avons déjà bien avancé.".

La rapporteure Dominique Gillot : "Nous partageons pleinement votre position, Mme la Ministre, et soutenons votre démarche. Mais les termes « en tant que de besoin » nous laissent perplexes car ils excluent toute obligation. La commission est favorable à l’amendement, sauf à cette première partie du I. Je proposerai donc volontiers un vote par partie."

La présidente de séance essayant d’aider : "A moins que la ministre ne rectifie son amendement ?"

Mme Geneviève Fioraso, ministre, très piteuse : "La rapporteure a bien compris mes raisons. Je suis favorable à un vote par partie."

Intervention de Michel Berson (groupe socialiste et apparentés) : "Nous sommes à vos côtés dans ce combat pour faire reconnaître et valoriser le doctorat mais votre amendement n°354, en recul sur le texte voté unanimement par l’Assemblée nationale, nous surprend : il limite dans les faits l’accès des docteurs à la fonction publique, en contradiction avec les déclarations du président de la République, en février, au Collège de France. S’il était adopté, le recrutement de docteurs dans la haute fonction publique n’aurait lieu qu’« en tant que de besoin ». La formule, vague et peu rassurante, vide l’article de son contenu. Le président de la République a déclaré au Collège de France : « Comment accepter que le plus haut grade de l’enseignement supérieur, le docteur, ne soit pas reconnu sur le marché du travail ? L’État doit donner l’exemple ». Nous ne suivrons pas le Gouvernement sur la formule « en tant que de besoin »."


Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin
(CRC) : "Cet amendement n°354 m’a beaucoup inquiété. La députée Mme Bechtel , ancienne directrice de l’ENA, a rappelé la nécessaire et urgente diversification de la haute fonction publique qui souffre d’une endogamie culturelle qui atteint les limites du tolérable. L’« en tant que de besoin » est redoutable. On revient au statu quo, en quelque sorte."

Intervention de Jacques Legendre (groupe UMP) : "Ils sont vraiment très bien formés, les élèves de l’ENA !!! (Rires et sourires) ; Ils savent revenir, par le biais d’amendements, sur ce qu’ils ont feint d’accepter ailleurs. Mais voilà, ce n’est pas la haute fonction publique qui fait la loi, c’est le Parlement. Cachez donc cet « en tant que de besoin » que nous ne saurions voir ! (Sourires) C’est flou et l’on sait que, dans ce cas, il y a un loup ! (Nouveaux rires et sourires). Nous n’acceptons pas que cette avancée vers la diversification de la haute fonction publique soit remise en cause. Nous sommes méfiants à l’égard de cet amendement embarrassé. Le Parlement ne doit pas le laisser passer." (Applaudissements au centre et à droite)

Je vous passe les amendements de précision, les sous-amendements, les amendements de retrait qui sont de la technique parlementaire. Parfois nous avons des bouffées de sincérités qui échappent : "C’est juste de la petite cuisine mais la procédure est respectée" dira un sénateur dont je tairais le nom. Dans le courant de cet après-midi, D. Assouline aura beaucoup (vraiment beaucoup) dit "on arrangera cela en CMP" (la fameuse commission mixte paritaire). Je traduis : on fait du travail de cochon à la truelle, mais, ce n’est pas grave, on tambouillera tout cela en CMP. D. Assouline aura aussi beaucoup navigué entre les travées, discutant avec le cabinet de la Ministre au premier rang, escaladant l’escalier jusqu’au promontoire de la présidente de séance et y stationnant (je ne savais pas que c’était possible).
Un sénateur vraiment très tonique. Venons-en à l’article 48, en français courant l’AERES.

Michel Berson : "Cet article 48 est sans doute celui qui a soulevé le plus de polémique lors des Assises. La suppression de l’Aeres et son remplacement par une autre autorité indépendante font débat. Pourquoi remplacer une jeune institution de juste sept ans d’âge par une autre, quasi identique ? "

Le sénateur Berson (sénateur PS de l’Essonne, membre du conseil de l’AERES) va alors se lancer, en toute indépendance, dans un vibrant plaidoyer, un véritable chant d’amour à l’AERES.

"Un changement d’appellation sert souvent à faire oublier un scandale ou à prendre acte de changements profonds de missions. Rien de tel ici. Grâce à l’Aeres, qui a fait ses preuves, nous pouvons nous appuyer sur des standards et procédures qui sont aujourd’hui des acquis. L’agence n’est mise en cause ni dans sa compétence ni dans ses procédures, qu’elle a su faire évoluer. Elle a fait progresser l’indépendance, la transparence et l’égalité de traitement dans l’évaluation. Toutes les équipes de recherche sont évaluées selon les mêmes critères, ce qui a fait ressortir le potentiel de beaucoup. Elle a été un facteur d’unité dans un système marqué par une double dichotomie, entre universités et grandes écoles, entre enseignement supérieur et grands organismes de recherche."
L’émotion submerge le sénateur. Si je n’avais si mal au derrière sur les bancs de la tribune Médicis, une émotion finirait par me submerger aussi.


Intervention de la rapporteure Dominique Gillot
. Il s’agit là de l’intervention la plus embarrassée jamais prononcée dans le vaste monde des interventions embarrassées. Séquence émotion : "La commission a émis un avis défavorable. Cependant je tiens à expliquer ma position personnelle et expliquer pourquoi j’ai été amené à changer d’avis. Lors de la préparation de nos travaux, j’ai dit ce que je pensais des excellentes capacités de l’Aeres. Toutes choses qui me conduisaient à penser que l’on pouvait continuer à s’appuyer sur un organe qui avait pleinement fait la preuve de sa capacité à évoluer et éviter ainsi les inconvénients que pose toujours la mise en place d’une nouvelle structure. Cependant ma loyauté à l’égard de la ministre rendrait ma position difficile à tenir, sachant que le texte tient une position d’ensemble équilibrée destinée à concilier des oppositions. Il serait périlleux de créer un incident sur ce seul article, au risque de mettre en péril l’adhésion à l’ensemble du texte. C’est pourquoi je me suis ralliée à la position de la commission, même si je garde, à titre personnel, toute mon estime au professeur Houssin."

Oui vous avez bien lu, la rapporteure de la commission déclare haut et fort qu’elle n’était pas de l’avis de la commission, alors qu’elle n’est censée que rapporter !

"Puisse le Haut conseil bénéficier de l’expérience acquise par le professeur Houssin et toute son équipe pour que la page soit tournée sans traumatisme."

C’est merveilleux, on consolide et amplifie pour des décennies la loi LRU de Valérie Pécresse, et le point majeur qui intéresse nos sénateurs et sénatrices est qu’il faudra absolument trouver une solution de remplacement pour un individu particulier qui risque de se voir priver de la plus importante prime de la fonction publique, soit 70000 euros (soixante dix mille euros), l’idéal étant de le mettre à la tête de la nouvelle structure, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Je ne dirais qu’un seul mot : bravo.

Intervention de Jacques Legendre (UMP) : "Ce débat est à la fois éclairant et consternant car il met à jour les profondes divisions qui traversent la majorité sénatoriale. Pourquoi les chercheurs ne rendraient-ils pas compte de l’utilisation des moyens qui leur sont alloués ? L’évaluation de l’évaluateur est assez positive, selon M. Berson. L’Aeres a eu du mal à démarrer mais était en progrès. Un progrès que l’on bloque, avec les risques que comporte une reconstruction. Mme Gillot a évolué. Mme la ministre a semblé gênée ..."

A la demande du groupe UMP, les amendements identiques nos 24 et 191 rectifié (portant sur l’AERES) sont mis aux voix par scrutin public. Au Sénat, la tradition a entériné une pratique très cavalière vis-à-vis de la Constitution : les scrutins (publics) se déroulent par groupe. Plutôt que de devoir porter individuellement leurs bulletins dans l’une des urnes à la tribune, ils procèdent en bloc : le sénateur chef de chaque groupe est chargé d’apporter les bulletins de tous les membres de son groupe, présents ou non (vous aurez compris que quand les sénateurs sont entre 13 et 30 c’est plutôt absents ...). Dans ce vote solennel les représentants des groupes montent vers une des trois urnes et y déposent les cartes/jetons représentants les sénateurs de leurs groupes, faisant ainsi symboliquement voter les 348 sénateurs du sénat. Suffrages exprimés 346, pour 171, contre 175. L’AERES disparaît au sénat.

Amendement n°79, présenté par Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC.
Le groupe CRC se déclare opposé à la création d’un substitut à l’Aeres, instance d’évaluation des structures de recherche non élue par les pairs et non experte. Cet amendement est donc contre la création de ce Haut Conseil qui ressemble à l’AERES comme deux gouttes d’eau.

Le sénateur PS Michel Berson encore sous le choc de la disparition de son enfant, va se lancer à corps perdu dans un vibrant plaidoyer en faveur de son clone, le Haut Conseil, mais, probablement encore marqué par la disparition de l’AERES, en effectuant, curieusement, un plaidoyer en faveur l’AERES qui vient de mourir à l’instant (mais ce n’est pas grave l’AERES et le Haut Conseil c’est la même chose, et puis il faut lui pardonner, il est dévasté par la douleur) : "Je ne puis résister à la tentation de vous livrer les résultats de plusieurs études sur le travail de l’AERES ..."

Il nous délivre alors un ensemble d’études incontestables au niveau de la méthodologie, puisque réalisées sur des échantillons représentatifs de 378 mandarins de l’INSERM ou de l’Institut Cochin et amis d’Axel Kahn, qui trouvent à 75 % que le processus d’évaluation de l’AERES est transparent, et à 60% que les recommandations du comité d’évaluation sont utiles, et une autre étude, menée auprès de 525 directeurs d’unités de recherche de biologie donnant des résultats analogues. L’argumentation est vibrante et remplie de "sans conteste" qui malheureusement n’apparaissent pas dans le compte rendu analytique officiel, mais auraient achevé de convaincre le public présent au balcon, si, à cet instant, je n’étais seul dans la tribune Médicis.

Juste une remarque : cette opposition forcenée à ce que des élus figurent dans les conseils universitaires ou les instances d’évaluation, et que ce désir forcené que des nommés figurent, en lieu et place d’élus, est intéressante de la part de parlementaires élus. S’il faut évaluer tel spécialiste mondiale de subtiles question de cohomologie p-adique, nous prendrons, bien évidemment, un de nos anciens copains de Sciences-Po qui a toujours eu des problèmes à maîtriser le concept de règle de trois, mais maîtrise parfaitement la dissertation en trois points. Faut-il évaluer tel spécialiste mondiale d’abscons problèmes de catégories dérivées ? Nous nommerons un de nos anciens copains de l’ENA devenu gestionnaire de banques spécialisées en ingénierie financière et autres produits dérivés. La présence d’élus dans un ensemble de pairs est l’assurance d’une endogamie qu’il faut combattre ! Seule la nomination en toute opacité et copinage est garante de l’indépendance qui doit être au coeur de l’évaluation. Vous ne voudriez quand même pas que l’évaluation des pilotes d’Airbus se fassent par des pilotes d’Airbus ! Vous ne voudriez quand même pas que l’évaluation des aiguilleurs du ciel se fasse par des aiguilleurs du ciel ! Seule l’évaluation par des apparatchiks nommés ne connaissant rien aux avions gros porteurs, ou à la lecture d’écran de contrôle, peut être la garante d’une évaluation indépendante échappant ainsi au corporatisme bien connu de ces deux professions.
Fichtre maintenant que je développe à voix haute les arguments si chers à nos élus, sénateurs et députés, je me dis que si l’évaluation des pilotes d’Airbus est faite par l’AERES ou selon des critères AERES, je vais peut-être arrêter de prendre l’avion.

Pour les verts, la sénatrice Corinne Bouchoux présentera un amendement de repli sur la composition (présentant peu d’élus) du Haut Conseil.

Mme Sophie Primas : "Cet amendement pérennise la pratique mise en place par l’AERES consistant à associer, dans le cadre de son groupe de travail Mikado, des représentants du CNU, des instances d’évaluation des organismes de recherche et des instances d’évaluation interne des universités."
Excellent, il y a un groupe de travail Mikado !!

Arrivée de Jean-Vincent Placé dans l’hémicycle. Il a une mine gourmande. D. Assouline qui n’a pas arrêté de bouger ici et là, vient le rejoindre. Je me dis que le vote contre des Verts n’est plus si assuré que cela.

La rapporteuse Gillot : "Aller contre l’HCRES c’est aller contre l’Europe".

Je n’avais pas réfléchi à cela, mais maintenant qu’elle le dit, cela devient tentant d’être contre l’HCRES.

Prise de bec entre la sénatrice Gonthier-Maurin et Berson. Le compte rendu analytique n’en rendra pas compte.

L’article 53 est adopté. L’article 54 est adopté. On passe aux articles additionnels.
Amendement n°84, présenté par Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC. Après l’article 54

La sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin : "Cet amendement supprime l’Agence nationale de recherche (ANR) et réintègre ses crédits au budget de la Mires. La logique même de l’ANR, celle des appels à projets, favorise la mise en concurrence entre laboratoires et a fait exploser la précarité dans le monde de la recherche. Outre qu’elle crée des situations humaines intolérables, elle prive de perspective la recherche française. La création de l’ANR a été un gâchis de ressources publiques. La Cour des comptes a relevé, dans son rapport public 2011, les dysfonctionnements de l’Agence. Les moyens dégagés par sa disparition et la fin de la logique de projet iront au financement pérenne des organismes nationaux de recherche et aux laboratoires, un financement que complèterait utilement un redéploiement du CIR, qui ne profite qu’à la trésorerie des entreprises."

Dommage que cette intervention, qui n’est que miel aux oreilles de tout chercheur scientifique (à l’exception de la bio et de la médecine évidemment), ne sera entendu que par un seul chercheur au balcon. La sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin, fera un amendement de repli....
Vous devinez la suite ...

Nominations à une éventuelle CMP "Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche actuellement en cours d’examen, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire. La liste des candidats a été affichée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du Règlement. En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire, titulaires : Mmes Marie-Christine Blandin, Dominique Gillot, M. David Assouline, Mmes Françoise Cartron, M. Jacques Legendre, Mmes Sophie Primas et Valérie Létard."

Voilà c’est verrouillé. On sait dans quel sens se feront les arbitrages. De plus on sait ce qu’il faut penser des arbitrages ...

"Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé."

La ministre Fioraso nous expliquera que le Crédit Impot Recherche (CIR) sera traité dans une nouvelle loi de finance. Elle n’a pas mandat pour parler du CIR. Je répète : elle n’a pas mandat pour parler du CIR. C’est assez pratique, j’aurais vu, une bonne dizaine de fois, la ministre botter en touche, sur tel ou tel point qui, bien sûr, devrait figurer dans le véhicule législatif qui est discuté en ce moment au Sénat, mais comme il aura cette loi à venir du ministre de l’agriculture, cette loi à venir du ministre de l’intérieur, cette loi à venir de la ministre des affaires sociales et de la santé, alors il est urgent d’attendre et de reporter aux calendes grecques ce point urgentissisme, mais faites-nous confiance. Dans cette veine "faites nous confiance" sur des points sur les mutuelles étudiantes soulevés par la sénatrice Catherine Procaccia, on nous fera le coup d’une loi à venir de la ministre de la santé, où l’on nous assurera qu’il n’y a pas de problème car, dans ce gouvernement-ci, l’interministériel marche bien, et en particulier que, dans le cas présent, il n’y a pas de souci à se faire, car les relations avec le cabinet de la ministre de la santé, sont excellentes. En effet, dixit la Ministre Fioraso, "les médecins sont d’excellents gestionnaires, et il n’y a presque que des médecins (PU-PH) dans mon cabinet".

Les chimistes, mathématiciens, physiciens, ... sont maintenant, Madame la Ministre, totalement rassurés sur l’excellente qualité d’écoute de votre cabinet ministériel, qualité qu’ils avaient d’ailleurs pu constater à moult reprises.

Je vous passe la dizaine d’articles qui suit pour en venir à l’article 65.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture : "Il faudrait sous-amender pour mettre en facteur, si je puis dire, les mots « reconnues d’utilité publique » et supprimer la fin de l’alinéa. Le renvoi à la société civile est inutile et le reste est une coquille."


La présidente de séance
" Sous-amendement n°A-4 à l’amendement n°A-2 rectifié du Gouvernement, présenté par Mme D. Gillot, au nom de la commission."

Nous allons alors assister à un superbe pataquès. Il est minuit et demi. L’urgence de la réussite étudiante qui ne peut attendre exigeait la procédure accélérée, et donc de travailler nuitamment, mais, il faut bien le dire, la concentration des sénateurs a complètement disparu. Le point est filandreusement sous-amendé et ils doivent juger de la contraposée de la contraposée du contraire de la négation de l’opposée du truc d’avant, enfin si on prend la notion objet, car si on prend la notation sujet, c’est probablement l’inverse, enfin vous connaissez tous ces subtilités sur le point de vue de d’Alembert versus l’autre point de vue. Bref sur un tunnel de votes reliés les uns aux autres, les sénateurs vont être encore plus ensuqués que d’habitude, la rapporteure Gillot étant prise dans une discussion avec une sénatrice mais loin de sa base d’origine ce qui lui vaudra un commentaire à haute voix "la rapporteure est vraiment dissipée !", les sénateurs, ne réagissant même plus lorsque la présidente leur demande de voter, D. Assouline votant pour pour un truc qu’il devrait voter évidemment contre, la sénatrice Gonthier-Maurin levant les bras d’indignation "mais c’est n’importe quoi !!".

La présidente sur l’un de ces votes en abîmes de contraposées, répètera à l’envie "bon je reformule : qui est pour ?" "qui est pour ?" "qui est pour ?", ce qui, sans vouloir critiquer la présidente de séance, à qui nous devons tous un infini respect, n’est d’aucune aide pour se faire une idée si l’on vote sur le contraire du contraire de la contraposée ou bien l’inverse, jusqu’au moment où ils vont s’apercevoir des dégâts car, dans le tunnel de trucs, le machin qui leur importait vraiment est tombé, conséquence de leurs votes aléatoires (un peu comme ces romans de science-fiction où, utilisant une machine à voyager dans le temps, on a tué sa grand-mère, et on éprouve un léger malaise, par exemple on ne sait plus trop si l’on existe ... ou pas). Nous aurons alors deux superbes réactions sur deux modes différents (qui assurément traduisent des personnalités différentes, et des réactions différentes face à l’adversité) : D. Assouline assurera que de toute manière en commission mixte paritaire les socialistes remettront les choses d’aplomb (finalement la démocratie, le vote, c’est pour la galerie, le texte de loi final résulte en fait de la tambouille de la CMP) et la rapporteure Gillot : "Il eut fallu que l’on reprenne ce vote", "Non là c’est vraiment embêtant, il n’y a plus d’alinéa 2" et cette phrase superbe où l’on voit que, même chez la sénatrice la plus blanchie sur le harnais, subsiste toujours une âme de petite fille : "Mme la présidente, on peut pas revoter ?" phrase sincèrement dite au premier degré. Face à ce champ de ruines législatif, et ce désarroi socialiste, la présidente a pitié. En fait comme dans tous les bons jeux video où, une fois qu’on est mort, on peut utiliser un joker et revivre, l’article 43 alinéa 4 du Sénat permet une fois que tout est fini de chez fini, une seconde délibération où le gouvernement peut faire une deuxième couche d’amendements pour réparer des dégâts irréparables comme ceux auxquels nous venons d’assister. C’est ce qui va se faire. Une interruption de séance de 15 minutes va être mise à profit pour remettre d’équerre cet article 65 en flamme, et surtout retravailler le fameux article 38 sur les coopérations et regroupements d’établissements et autres questions de pouvoir sur le leadership en cas d’implantation multirégionale (qui est le chef lorsqu’un regroupement de marquisats et de baronnies recouvre des duchés différents ?) et autres questions de pouvoir visant à soumettre la recherche à des associations et autres partenariats de la société civile (comme cible du transfert bien sûr). De retour de l’interruption de séance, je retrouve les bonnes pratiques du bonneteau parlementaire : on nous explique qu’on a changé le "et" en "ou" et le "ou" en "et", sauf là où c’est le contraire, qu’on a mis du Ying dans le Yang et du Yang dans le Ying, et voilà pourquoi votre soeur est muette, vous votez sur ça, c’est bon ? C’est plié ! Vive la démocratie parlementaire. Si vous me demandez ce qu’il y a vraiment dans la version finale de chez final de ce fameux article 38, je suis incapable de vous répondre, mais, je vous rassure (ou je ne vous rassure pas), nos sénateurs ne le savent pas plus.

Il est maintenant une heure du matin (techniquement, nous sommes samedi). Nous allons assister au vote final sur l’ensemble de la loi ainsi amendée, grâce au travail d’immense qualité de nos sénateurs.

Mme Corinne Bouchoux pour les Verts demande une brève suspension de séance de deux minutes.

Je m’inquiète.

Intervention de Nicolas Alfonsi pour le groupe RDSE : " ... nouveau souffle, ... cohérence, ... efficacité, ... On ne peut que se féliciter du retour de l’État stratège ... Déception sur la gouvernance ... Nous regrettons la suppression de l’article 25. Nos amendements visaient à assurer plus de démocratie dans la gouvernance ... Ce texte et celui qui vient refonder l’école de la République sont complémentaires : le groupe du RDSE, dans sa grande majorité, le votera."

Intervention de Valérie Létard pour le groupe UDI UCUD (les centristes) : "Nous arrivons au bout de l’examen d’un texte passionnant et déterminant pour l’avenir de la recherche et de l’enseignement supérieur. Ce débat a connu bien des rebondissements. Il a été constructif, animé, sans excès. Je tiens à remercier la commission des affaires culturelles, la commission des affaires économiques qui nous a soutenus et dont certains amendements ont été adoptés. Le travail réalisé satisfait mon groupe. Ce texte est loin d’être parfait mais il est, à l’issue de nos travaux, meilleur que celui qui nous arrivait de l’Assemblée nationale et que les députés centristes n’avaient pas voté. Ce texte appartient au Sénat, avec des spécificités et des ajouts qui seront discutés en CMP. Nous y serons vigilants et combattifs. Le vote de mon groupe sera partagé entre l’abstention et le soutien. Je le voterai." Applaudissements sur les bancs socialistes, Dominique Gillot, rapporteure, applaudit bien sûr, mais, surtout, je constate les applaudissements nourris des écologistes à ce vibrant éloge du travail de co-construction avec les socialistes. Cela ne présage rien de bon.

Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin (groupe CRC) : "Sans surprise, je confirme que nous voterons contre, la discussion n’ayant pas modifié substantiellement le texte. La réécriture de l’article 38 n’a pas levé nos inquiétudes. Nous attendions des signes de rupture claire avec la politique précédente, qui sont absents. On ne revient pas sur l’ANR et les mesures de résorption de la précarité sont extrêmement faibles. Nous avons dénoncé la focalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche sur des visions utilitaristes."

Le suspense est maintenant à son comble :

Intervention de Corinne Bouchoux pour le groupe Vert : "Je remercie la présidente de séance (« Très bien ! » et applaudissements sur tous les bancs) sans laquelle la sérénité de nos débats n’aurait pas été telle. Nous avons pu travailler et avancer dans de bonnes conditions. Nous n’en regrettons pas moins la procédure accélérée, facteur de précipitation et de travail bâclé. L’ANR n’est pas supprimée. La course aux projets continue. Et ce texte n’est pas une loi de programmation. On est très loin du grand soir, et même de la rupture. Tout de même, nous notons des points positifs. Le texte est moins mauvais. Nous aurons la position de montrer que le travail législatif (au Sénat) a un sens. Il est de co-construction, et non de démolition. Ce n’est pas un grand texte. L’obsession de transfert est contenue à sa juste place. L’université publique est un bien commun ; le partage des connaissances se fait avec les citoyens et la société civile. Notre liste de regrets est cependant longue, les avancées sont modestes. Entre un texte extrêmement mauvais qui nous est arrivé et un texte qui n’est pas bon, pour que le travail du Sénat ait un sens avant le passage en CMP, nous le voterons."

Horreur ! Je suis pris dans une boucle temporelle ! Je revis le vote au CA de Jean-Charles Pomerol comme président de Paris 6, il y a sept ans ce cela, vote qui avait fait basculer Paris 6 dans la LRU et les RCE (ce qui avait entraîné, à la suite, par jeu de domino, la plupart des universités de France et de Navarre). Le vote se passait à une voix près : le petit jeune UNEF envoyé en service commandé par Julliard, après nous avoir dit par trois fois, je n’ai qu’une parole, je voterai pour la liste anti-LRU de "Réinventer l’université", avait voté pour Jean-Charles Pomerol et donc la LRU de Pécresse-Sarkozy. Le seul CFDTiste élu au CA avait, lui, justifié son vote pour Jean-Charles Pomerol, vote qui faisait donc basculer, à lui seul, toute la France dans la LRU, par cette imparable chaîne logique : "Cette loi est dangereuse, vraiment très grave et très préoccupante, nous votons pour Jean-Charles Pomerol, mais nous serons vigilants". Là aussi les Verts nous avaient dit, par trois fois, que nous n’avions pas de souci à nous faire, que leur vote final serait contre la loi. Nous aurions dû nous méfier quand nous avons entendu un coq chanter à la troisième fois ...

Mme Sophie Primas pour le groupe UMP : " ... Je m’associe aux remerciements précédemment adressés. Je regrette aussi la procédure accélérée. Les navettes sont essentielles dans la vie d’un texte. Nous voterons contre ce projet de loi." (Applaudissements sur les bancs UMP)


D. Assouline pour le groupe socialiste :
" ... Toutes les collectivités locales seront enfin associées à la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche. La plupart de nos amendements ont été votés à une très large majorité, voire ont fait consensus. Nous porterons les souhaits du Sénat en CMP. Je salue la commission, sa rapporteure et la ministre, pour son ouverture, décisive pour trouver un large accord sur de nombreux articles. Les sénateurs du groupe socialiste voteront pour le projet de loi et le porteront fièrement en CMP."

A la demande du groupe socialiste, l’ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

Présent dans la salle une vingtaine de sénateurs.
Nombre de votants 348, Nombre de suffrages exprimés 329,
Pour l’adoption 172, Contre 157.

La suite vous la connaissez l’amendement vert sur la suppression de la qualification nationale va faire d’énormes vagues. Certain sites web titreront « Les sénateurs/trices Verts sont-ils devenus des concombres ? »
Cet amendement doit, sans doute, être pris pour ce qu’il est, dans le contexte du vote : une décision politique, à travers laquelle s’exprime l’amour des Verts pour les régions d’une part et l’Europe d’autre part. Les Verts cherchent à faire bouger les lignes dans la loi, dans un sens qu’ils estiment favorable, sans se poser la question de ce qu’en pensent les personnels de l’ESR, afin de pouvoir dire "vous voyez, la loi a bougé dans le bon sens, maintenant on peut la voter" et de ne pas pousser trop loin leur petite fronde vis à vis du PS. En étant à peine cynique, on pourrait penser que cette mesure de suppression de la qualification (qui sera certainement retirée en tambouille de CMP) est juste destinée à faire qu’au moins, les syndicats aient une "victoire" dans cette LRU 2.0 contre un amendement. Le vocable "amendement d’appel" est une autre formule d’enfumage total correspondant à l’idée qu’il faudrait sauter sur l’occasion de cet amendement pour proposer des changements que l’on n’aura pas. Cela s’appelle un contre-feu. Le vote pour du groupe Vert a assurément été échangé avec le groupe socialiste contre cet amendement et des petits trucs sur l’article 38.

Les députés Verts ne sont visiblement pas tout à fait sur la même longueur d’onde que leurs trop machiavéliques collègues sénateurs, ainsi qu’en témoigne cet article du "Huffington Post" (Avis de Recherche : où est passée l’ambition d’un enseignement supérieur réellement démocratique et d’une recherche au service de la société ? Publication : 25/05/2013 06h00) d’Isabelle Attard, Barbara Pompili et François de Rugy :

Afin de simplifier le mille-feuille institutionnel, les Assises préconisaient de remplacer un grand nombre d’entités, type labex, RTRA, GIS, equipex, etc., par un groupement de coopération scientifique. Où est passé ce projet ? Il était également prévu de supprimer le statut dérogatoire de "Grand Établissement". Pourquoi ne pas l’avoir fait ? Par contre, le projet de loi innove en imposant à l’enseignement supérieur les missions de transfert de la recherche vers le monde économique. Cette mission n’a jamais fait l’objet d’un débat national et n’est pas apparue comme un sujet prépondérant au cours des Assises. Or, ce transfert ne fait pas l’unanimité auprès de la communauté universitaire et nous sommes profondément opposés à la philosophie qui le sous-tend. Nous sommes convaincus que le mode de gouvernance des communautés d’universités et établissements prévu dans ce projet de loi représente un grave recul de la démocratie universitaire. Nous pourrions en effet aboutir à des conseils d’administration composés à 60% de personnalités nommées et à 40% de représentants élus au suffrage indirect ! Disons-le tout net : si, depuis un an - et c’est bien normal dans une majorité
pluraliste - certains projets gouvernementaux ont pu susciter insatisfactions ou doutes chez les écologistes, cette réforme universitaire nous inspire, en l’état, amertume et défiance.

Voilà, c’est fini.

La loi LRU avait été vendue comme d’inspiration libérale, mais la mise en application de la loi LRU en a révélé sa vraie nature profondément féodale. La LRU 2.0 approfondira une forme nouvelle de gouvernance, le féodalisme régional.

Décidément l’ Histoire s’accélère, il faut vraiment que je me hâte.

"Le problème de la politique c’est de comprendre pourquoi les gens combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut." Spinoza.

Comme disait Beaumarchais "Hâtons-nous d’en rire avant que d’en pleurer".


[1Sur les assises ouvertes à tous voir « Des Assises à dormir debout - X… chercheur embedded à l’école Boulle le 3 octobre 2012 » sur ce même site de SLU