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Quand quelques biologistes prétendent sauver la recherche…"Sauvons la recherche, acte II" - tribune publiée par des biologistes dans Le Monde - 8 juillet 2013

mardi 9 juillet 2013, par Laure

Au moment où un article de la revue Nature illustre l’incroyable bond en avant de la science chinoise avec une augmentation constante du nombre de publications au plus haut niveau (en partie due à une hausse annuelle de 20 % de son budget), la recherche académique française est soumise à une érosion de la capacité des laboratoires publics à mener des recherches compétitives au niveau mondial. Cela est avéré dans les domaines de la biologie fondamentale et de la recherche biomédicale.

La France fait face à une crise économique sans précédent, et ses déficits publics doivent être maîtrisés. Mais c’est justement lors des crises que l’avenir doit être préservé. Ce futur dépend de notre capacité à investir et à maintenir un outil de recherche performant, qui est la base de la compréhension du monde qui nous entoure et le ferment du progrès technologique. Une autre étude récente montre que, en France, ce n’est pas tant la recherche qui pose problème, mais la capacité de transfert vers l’innovation, résultant en partie du manque de formation à la recherche des élites formées dans les écoles d’ingénieurs.

UN ÉNORME DÉFI

La biologie connaît une révolution, et l’exploration des fonctions du vivant, des atomes aux populations, représente un énorme défi auquel nous devons répondre. Les conséquences économiques de cette recherche ne sont pas prévisibles, mais tout porte à croire qu’elles auront un impact majeur. Tout retard pris maintenant affectera gravement notre compétitivité à moyen et long terme. Dans ce contexte, certaines dispositions de la nouvelle loi sur la recherche récemment votée au Parlement seront préjudiciables à la recherche française de haut niveau. Le système actuel de financement de laboratoires de recherche publique découle de la réforme entreprise en 2005, qui fit suite aux mouvements de chercheurs du printemps 2004. Elle avait pour ambition de donner un second souffle à la recherche française.

La création de l’Agence nationale de la recherche (ANR) correspondait ainsi à la demande de la communauté scientifique d’un meilleur financement de projets nécessitant des investissements humains et technologiques importants. Ces besoins, déjà, ne pouvaient plus être pris en charge par les dotations contractuelles attribuées aux laboratoires de recherche. Les budgets de l’ANR ont permis à la biologie française de rester compétitive et de se développer.

NE PAS BRISER UNE DYNAMIQUE

Par exemple, les laboratoires de biologie, associés au CNRS ou à l’Inserm, ont doublé le nombre de leurs publications parues dans les meilleures revues internationales entre 2006 et 2011. Il ne faut pas briser une dynamique qui avait montré son efficacité. Il faut cependant reconnaître que l’aspect bénéfique du financement des meilleurs projets a eu des effets plus pernicieux, comme l’augmentation importante du nombre de chercheurs ou ingénieurs en contrat à durée déterminée (CDD) qui n’étaient pas toujours associés à des projets précis de recherche (et ne constituant donc pas de vrais CDD selon la loi). Leur présence, si elle a pu pallier le manque de personnel statutaire, provoque depuis quelques années une grave crise de l’emploi chez ces salariés précaires. La montée en puissance du financement sur projets s’est aussi malheureusement accompagnée de la diminution régulière des budgets accordés par les tutelles aux laboratoires de recherche depuis 2007.

Depuis deux ans, les crédits de l’ANR sont en baisse et, en 2013, environ 10 % de ces crédits ont été transférés vers les organismes de recherche. Ce transfert a été cependant en partie absorbé par ces organismes afin de faire face à leurs contraintes budgétaires. Pour les laboratoires de recherche, la conséquence de ce transfert a été appréciable, mais il s’est révélé insuffisant pour compenser les frais d’infrastructure des laboratoires, en hausse constante.

DISPARITION DES PROGRAMMES NON THÉMATIQUES DE L’ANR

On nous annonce maintenant une disparition des programmes non thématiques de l’ANR ("ANR blanc", soutien à la recherche fondamentale), qui, il faut le rappeler, représentent 30 % à 40 % du budget total des laboratoires de recherche en biologie. En parallèle, aucune assurance n’a été donnée que cette disparition serait intégralement compensée par l’augmentation des crédits récurrents alloués aux unités de recherche. L’expérience passée montre que, malheureusement, ce ne sera sûrement pas le cas.

Pour la première fois depuis dix ans, c’est à une baisse généralisée des moyens accordés aux laboratoires que nous allons être confrontés. Cette baisse ne permettra plus de soutenir une recherche fondamentale de qualité, seule capable de porter les espoirs de développement et une des principales composantes de l’excellence susceptible d’attirer les meilleurs doctorants et postdoctorants étrangers.

Ce constat conduit déjà les meilleures équipes de biologie à envisager de s’établir ailleurs pour leur recherche et découragera les plus brillants de nos jeunes chercheurs. A l’heure actuelle, en biologie, seule l’attractivité reconnue d’une communauté dynamique, malgré des financements nettement inférieurs aux standards de l’élite mondiale, permet encore d’attirer les plus brillants de nos jeunes chercheurs.

ÉVITER LA LENTE AGONIE DE NOS LABORATOIRES

Devant cet état des lieux qui s’assombrit de jour en jour, nous, directeurs d’unité de biologie, demandons à ce que des mesures soient prises rapidement pour éviter la lente agonie de nos laboratoires. Ces mesures sont basées sur des principes simples :

- maintenir les appels d’offres non thématisés de l’ANR et les doter suffisamment pour garantir un taux de succès de 25 %, ce qui permettra un financement des très bons projets et de soutenir les meilleurs laboratoires ;

- donner aux unités de recherche les moyens de contractualisation suffisants pour couvrir les dépenses d’infrastructure et permettre une politique scientifique qui vise au long terme (soutien du risque, des équipes dont les thèmes ne sont pas raisonnablement couverts par les appels d’offres, politique d’investissement...) ;

- favoriser et permettre une politique d’emploi sur projet qui soit aussi une politique de formation par et pour la recherche, complémentaire du rôle des organismes et des universités. Une des pistes pour le financement de ce programme serait d’inciter les entreprises à investir une partie du crédit d’impôt recherche dans les unités de recherche sans attente de retour direct, mais pour former des ingénieurs à la recherche et créer des liens solides et durables entre le monde entrepreneurial et le monde de la recherche académique. L’émergence d’un terreau propice au transfert et à l’innovation améliorerait ainsi la compétitivité de la France.

COMPÉTITION INTERNATIONALE TOUJOURS PLUS FORTE

Ne pas se mobiliser maintenant, ne pas permettre à nos laboratoires d’excellence de faire face à une compétition internationale toujours plus forte, ne pas investir dans la recherche aujourd’hui, c’est renoncer à compter dans le monde de demain.

Bruno Goud, directeur de l’UMR CNRS 144 Institut Curie Paris ; Vincent Laudet, directeur de l’IGFL ENS de Lyon ; André Le Bivic, directeur de l’IBDML Marseille ; Jean-Michel Claverie, directeur de l’UMR CNRS 7256 Marseille ; Guido Kroemer, directeur de l’Unité INSERM U848 Paris ; Bernard Ducommun, directeur de l’ITAV Toulouse ; Philippe Froguel, directeur de l’UMR CNRS 8199 Institut Pasteur de Lille ; Philippe Vernier, directeur de l’Institut de Neurobiologie Alfred Fessard Gif sur Yvette ; François-Loïc Cosset, directeur du CIRI ENS de Lyon ; Antoine Triller, directeur de l’Institut de Biologie de l’École Normale Supérieure Paris ; Anne Debant, directrice du CRBM Montpellier ; Frédéric Saudou, directeur de l’UMR CNRS 3306 INSERM U1005 Institut Curie Orsay ; Daniel Choquet, directeur de l’Institut Interdisciplinaire de Neuroscience Bordeaux ; Annick Harel-Bellan, directrice du Laboratoire Epigenetique et Cancer CEA Saclay ; Luc Penicaud, directeur du Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation Dijon ; Alain Prochiantz, directeur du Centre Interdisciplinaire de Recherche en Biologie Professeur au Collège de France Paris ; Jean-Philippe Pin, directeur de l’Institut de Génomique Fonctionnelle de Montpellier ; Claude Prigent, directeur de l’IGDR UMR CNRS 6290 Rennes ; Bernard Kloareg, directeur de la Station biologique de Roscoff ; Eric Solary, directeur de la Recherche Institut Gustave Roussy ; Laurence Maréchal-Drouard, directrice de l’Institut de Biologie Moléculaire des Plantes Strasbourg ; Alain Fischer, directeur de l’Institut des maladies génétiques (Imagine) Paris ; François Darchen, directeur de l’UMR CNRS 8192 Paris ; Hélène Barbier-Brygoo, directrice de l’Institut des Sciences du Végétal (CNRS UPR2355) et directrice du Centre de Recherche de Gif (CNRS FRC3115) ; Diego-Sebastian Amigorena, directeur de l’unité immunité et cancer Institut Curie Paris ; Herve Chneiweiss, Directeur de l’UMR CNRS Neurosciences Paris Seine ; Thierry Heidmann, directeur de l’UMR CNRS 8112 Villejuif ; Francois Schweisguth, directeur de l’URA 2578 Institut Pasteur Paris ; Sylvie Schneider-Maunoury, directrice de l’UMR CNRS 7622 Paris ; Hervé Moreau, directeur de l’UMR CNRS 7232 Banyuls ; Barbara Demeneix, directrice de l’UMR CNRS7221 MNHN, Paris ; Pierre-Marie Lledo, directeur de l’UMR CNRS 3571, Institut Pasteur, Paris ; Eva Pebay-Peyroula, directrice de l’Institut de Biologie Structurale, Grenoble ; Evelyne Houliston, directrice du laboratoire de biologie du développement de Villefranche-sur-Mer ; Marie-France Bader, directrice de INCI UPR CNRS 3212 Strasbourg ; Jean-Antoine Girault, directeur de l’Institut du Fer à Moulin UMRS-S839 Inserm UPMC Paris ; Felix Rey, directeur de l’UMR CNRS 3569 Institut Pasteur Paris ; Guy Mouchiroud, directeur du CGpMC Lyon ; Marc Haenlin, directeur du Centre de Biologie du développement de Toulouse ; Alain Puisieux, directeur du Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon ; Marc Piechaczyk, directeur de l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier ; Yves Bourne, Directeur de l’UMR CNRS 7257 Marseille ; Jean-Laurent Casanova, directeur de l’unité INSERM U980 Hôpital Necker Paris ; Pascal Barbry, directeur de l’IPMC Sophia-Antipolis ; Gilbert Deléage, directeur de l’IBCP UMR CNRS 5086 Lyon ; Giacomo Cavalli, directeur de l’IGH UPR CNRS 1142 Montpellier ; Olivier Delattre, directeur de l’unité INSERM U830 Institut Curie Paris ; Jonathan Weitzman, directeur de l’UMR CNRS 7216 Université Paris-Diderot Paris ; Stéphane Noselli, directeur de l’Institut de Biologie Valrose Nice ; Dominique Mouchiroud, directrice du LBBE Lyon ; Thomas Preat, directeur de l’UMR 7637 ESPCI, Paris ; Yves Gaudin, directeur du Laboratoire de Virologie Moléculaire et Structurale UPR CNRS 3296 Gif sur Yvette ; Laurent Schaeffer, directeur du LBMC UMR CNRS 5239 ENS de Lyon ; Chantal Vaury, directrice du laboratoire GReD UMR CNRS 6293 INSERM U1103 Clermont-Ferrand ; Xavier Jeunemaitre, directeur Centre de Recherche HEGP PARCC UMRS CNRS 970 Président du Conseil Scientfique de la Fondation pour la Recherche Médicale Paris ; Brigitte L. Kieffer, directrice de l’Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire, Strasbourg ; Jan Traas, directeur du RDP INRA ENS de Lyon ; Hervé Fridman, Directeur du Centre de Recherche des Cordeliers UMRS CNRS 872 Paris ; Giuseppe Baldacci, directeur de l’Institut Jacques Monod Paris ; Frédéric Boccard, directeur du Centre de Génétique Moléculaire UPR CNRS 3404 Gif sur Yvette ; Jacques Le Pendu, directeur de l’unité INSERM U892 UMR CNRS 6299 Nantes ; Jean-Pierre Rousset, Directeur de l’Institut de Génétique et Microbiologie UMR8621 Orsay ; Michel Toledano, Institut de Biologie et Technologies CEA Saclay ; Geneviève Almouzni, directrice de l’UMR CNRS 218, Institut Curie, Paris, Jacques Ghysdael ; Signalisation Cellulaire et Oncogenèse, Institut Curie, Orsay.

Voir le communiqué du SNTRS en réaction à cette article