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"Université et recherche : emploi en péril", Sylvestre Huet, Libération, 4 décembre 2013.

mercredi 4 décembre 2013, par Jara Cimrman

Pour lire ce texte sur le blog de Sylvestre Huet.

Pour l’université et la recherche, les mauvaises nouvelles sont nombreuses et les bonnes rares. L’étau budgétaire se resserre. L’emploi scientifique se dégrade et ses perspectives sont catastrophiques. Plusieurs Universités sont en déficit. La crise guyanaise se répercute aux Antilles et sa gestion par le ministère soulève des protestations de la Conférence des présidents d’Universités.

Depuis que j’ai commencé mon activité de journaliste spécialisé en science je n’ai pas souvenir d’un ministre qui n’aurait pas prétendu que la recherche est "prioritaire" pour le gouvernement. Le résultat est assez clair, malgré le frémissement des années 1982-1984, en terme de part du PIB consacrée à la recherche et au développement, la France est passée du 3ème rang mondial en 1970 au... 15ème rang en 2011 d’après l’OCDE, avec 2,25 du PIB (l’objectif des 3% a été fixé... il y a plus de 10 ans). Et si l’on restreint le périmètre aux activités civiles, elle chute encore au 20ème rang. Pour des chiffres complets et à jour sur l’enseignement supérieur et la recherche, lire ici la dernière publication du ministère. Voici quelques éléments de réflexion sur les budgets et l’emploi scientifique pour 2014.

La hausse budgétaire en trompe-l’œil. La ministre Geneviève Fioraso, lors de la présentation de son projet de budget le 5 novembre à l’Assemblée Nationale s’est réjouie de sa hausse de... 0,5% : « Le budget de la Mission interministérielle enseignement supérieur et recherche (MIRES) va dépasser pour la première fois les 26 milliards d’euros, soit une augmentation de 121 millions d’euros par rapport à 2013 et de 648 millions d’euros par rapport à 2012. » En réalité,il s’agit d’une baisse en euros constants. Aggravée par le rattrapage obligatoire des opérations de cavalerie budgétaire de la fin de l’ère Sarkozy, dissimulant les transferts incomplets de ressources vers les opérateurs "autonomes", comme les Universités qui doivent payer des salaires avec des ressources transférées sur cette ligne inférieures aux dits salaires.

Le résultat ? Il suffit de lire ce qu’affirment les Présidents d’Universités. Ici, ce projet de motion présenté par 17 d’entre eux à la Conférence des Présidents d’Université (CPU) expose sans ménagement politique la situation : « L’état très dégradé de leurs finances pousse un grand nombre d’universités à mettre en place des plans de rigueur sans précédents : gel de postes vacants, gel d’une grande partie des 1000 emplois créés en 2013, non-reconduction d’emplois contractuels, baisse des heures complémentaires aggravant le sous-encadrement des étudiants, fermeture d’options, augmentation du nombre d’étudiants en TD au-delà du raisonnable, réduction drastique de l’offre de formation, non-exécution de travaux de maintenance, menace de fermeture des sites délocalisés... ».

DANS L’OPPOSITION LE PARTI SOCIALISTE DÉNONÇAIT LE "SOUS-FINANCEMENT" DES UNIVERSITÉS

Le communiqué de la CPU du 24 octobre prend quelques précautions de langage, mais son message est tout aussi clair : « Aujourd’hui, les solutions utilisées et les efforts consentis atteignent leurs limites. Il est de notre rôle et de notre responsabilité de dire que la situation à laquelle nous sommes confrontés sera bientôt intenable pour la majorité de nos établissements. A court terme, l’ensemble des universités françaises risque de ne plus pouvoir assurer les missions de service public que l’Etat leur a assignées. Alors que nous attendions depuis longtemps les 1000 postes qui seront attribués chaque année à l’enseignement supérieur au cours de ce quinquennat pour converger vers les standards internationaux, nous constatons que la masse salariale annuelle correspondant à ces postes (60 M€) compensera à peine, en 2013, l’augmentation mécanique des coûts de la masse salariale existante des universités, liés, principalement, à l’ancienneté des personnels , dit Glissement Vieillesse Technicité (GVT). Des universités sont amenées à geler ces postes pour équilibrer leurs comptes. »

La crise de l’Université Montpellier-3 Paul Valéry - en partie résolue grâce au bras de fer entamée par sa courageuse présidente Anne Fraïsse - est emblématique de cette situation tendue. Mais il a fallu menacer de fermer l’antenne de Beziers pour obtenir un minimum d’intervention de l’Etat. Le gouvernement de François Hollande se montre donc incapable de mobiliser les ressources financières nécessaires à la réalisation des objectifs fixés en matière d’enseignement supérieur. Dans l’opposition le Parti socialiste dénonçait le "sous-financement" des Universités. Au pouvoir il le poursuit. Ici, une comparaison internationale du financement de l’enseignement supérieur.

Les budgets 2014 des organismes de recherches (EPST comme le Cnrs, l’Inserm, l’IRD ou l’Inra et EPIC comme le CEA ou l’Ifremer) affichent des baisses réelles en euros constants, voire courants pour les dotations des laboratoires : -3,8% à l’Inserm annonce le Sntrs-CGT. Au CEA les personnels se mobilisent contre des fermetures prématurée d’équipements scientifiques (les réacteurs Orphée et Osiris qui fabrique des radio-isotopes pour les traitements anticancéreux à Saclay, le service de biologie et de toxicologie nucléaire à Marcoule, le groupe du service de physique statistique, magnétisme et supraconductivité à Grenoble) et la disparition de 500 emplois d’ici 2017.

L’ALERTE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DU CNRS

► La catastrophe de l’emploi scientifique. Le dogme du "trop de fonctionnaires" est en réalité le seul motif de cette catastrophe. On trouve toujours (ou presque) des milliards pour des constructions nouvelles dans le cadre de projets parfois plus mégalomaniaques que rationnels, mais les dizaines de millions qui suffiraient à gérer la crise de l’emploi scientifique sont introuvables. Résultat ? Conjugués à un creux de départs à la retraite, le gel des emplois conduit à des niveaux d’embauches de chercheurs et d’ITA catastrophiques dans les organismes de recherche. A l’Inserm, « En 2014, il n’y aura que 64 postes chercheurs (au lieu de 81 en 2013) et 100 postes d’ITA (au lieu de 106 en 2013 et 120 en 2012) ouverts aux concours externes », explique le Sntrs-CGT. Au Cnrs, la barre des 300 recrutements sera passée en 2014, mais vers le bas, annonce le Sncs-FSU. Et la menace d’un recrutement à 200 se profile pour 2016. A l’Irstea, il pourrait n’y avoir aucun recrutement en 2014 et seulement 8 à l’IRD qui n’embaucherait aucun ITA. Un vrai message en direction des jeunes : détournez-vous des carrières scientifiques. En juin dernier, à l’unanimité, le Conseil Scientifique du Cnrs s’en alarmait, dans un texte où il rappelait avoir accueilli Mme Fioraso « avec enthousiasme » lors de sa nomination : « la catastrophe qui se prépare en terme d’emplois, catastrophe qui aura un impact négatif durable sur la recherche, l’enseignement supérieur, la science française et par voie de conséquence l’économie française. Ni la direction du CNRS, ni le ministère ne semblent prendre la mesure de ce qui se profile. »

► Les précaires des laboratoires sacrifiés. Lors de son arrivée au ministère, Geneviève Fioraso a hérité du lourd dossier des emplois précaires dans les laboratoires. Ingénieurs, techniciens et chercheurs en CDD ont été multipliés, dans un processus lié à l’explosion des financements sur appel d’offres et de courte durée mal nommés "sur projets". Cette explosion est allée bien au delà des seules activités temporaires, puisque de nombreux emplois précaires sont en réalité liés à des équipements scientifiques de longue durée de vie, voire à des activités administratives pérennes (encore que le CDD embauché pour gérer les contrats des CDD, cela existe). Malgré manifestations, rapports et reconnaissance de la gravité du problème - social et scientifique - les précaires sont sacrifiés. La "cédéisation" ne concerne qu’un petit nombre, notamment au Cnrs. Des personnels qualifiés, après plusieurs années de travail et souvent devenus pièces maîtresses de laboratoires sont jetés à la rue.

► Recherche archéologique préventive. Malgré des démonstrations de terrains, prouvant que le recours à des sociétés privées débouche sur des fouilles incomplètes, réalisées par des personnels en CDD contraints de travailler sans les matériels nécessaires, le ministère de la culture n’a toujours pas mis fin à la loi sarkozyste de 2003 cassant le monopole de l’INRAP.
Certes, la Cour des comptes soutient un tel dispositif, avec comme seul argument celui du prix des fouilles (quand le CDD n’a pas de chaussures de sécurité ni d’hébergement correct, il coûte moins cher que le personnel de l’Inrap, mais je n’ai jamais vu un magistrat de la Cour des comptes accepter de travailler dans un bureau non chauffé l’hiver...), mais il s’est révélé inadapté aux objectifs culturels et patrimoniaux de l’archéologie préventive, alors que l’INRAP a fait la preuve de son efficacité dans tous les domaines et généré de grandes avancées scientifiques. Grosse manifestation des archéologues les 19 novembre à Paris pour un service public unique de l’archéologie préventive. Après la remise du Livre blanc à Mme Aurélie Filippetti, on attend toujours une loi vraiment de gauche sur ce sujet. Or, si on en croit la lettre de la ministre de la culture au président de la Commission qui planche sur ce projet, l’Inrap aurait un rôle "central", il faudrait des moyens de "contrôle"... et donc toujours des opérateurs privés à contrôler. Pourquoi faire simple - pas besoin de contrôler le sérieux de l’Inrap - quand on peut faire compliqué - multiplier les PV d’inspecteurs du travail et les contrôleurs sur un chantier confié à une société privée qui va tirer sur les prix pour maximiser son bénéfice. Bel article de Magali Jauffret dans l’Humanité du 3 décembre sur ce sujet.

Les bonnes nouvelles :

► La décision du ministère de mettre fin au funeste projet du gouvernement précédent, installant l’Université Paris-3 Sorbonne nouvelle sur le terrain Buffon-Poliveau du Muséum national d’histoire naturelle. L’Université sera installée en 2018 dans un bâtiment construit sur un terrain appartenant au ministère de l’agriculture, dans le 12ème arrondissement. Cette décision judicieuse, y compris dans le mode de financement et de gestion du projet, donne un avenir à l’Université, et redonne au Muséum une perspective pour la poursuite de sa rénovation. Encore faudra t-il déboucher sur une réforme des statuts, et assurer les financement de moyen terme nécessaire à cette grande oeuvre.

► La poursuite du plan de titularisation en quatre ans de 8 400 personnels de l’enseignement supérieur en application de la loi Sauvadet, avec environ 2 200 personnels par an à partir de 2014, en priorité les personnels de catégorie C, selon le ministère.

► La création de 1000 emplois pour l’enseignement supérieur affichée par le ministère doit être relativisée. Il devient très désagréable, alors que Geneviève Fioraso a avec raison critiqué les présentations publicitaires de ses budgets par Valérie Pécresse, de constater le même travers. Malheureusement, une part significative de ces créations de postes restera virtuelle, les Universités se trouvant contraintes de mobiliser les crédits correspondants pour d’autres dépenses obligatoires, comme l’indique la CPU.

► La poursuite et l’amplification du réseau Carnot annoncé par la ministre. Ce réseau Carnot est destiné à accélérer le transfert de technologie et les liens entre la recherche publique et la recherche privée, notamment en direction des PME. Un dispositif efficace, comme les actions confiées au CEA avec les plate-formes technologiques permettant aux PME d’accéder à des équipements de recherche aux coûts mutualisés. Des actions qui tranchent avec le gaspillage de fonds publics généré par les abus du Crédit d’impôt recherche (CIR), déchu au rang de simple aubaine fiscale par nombre de ses bénéficiaires, en particulier les grands groupes.