Accueil > Revue de presse > Le Crédit d’impot recherche ? On savait... - Sylvestre Huet, blog Sciences², (...)

Le Crédit d’impot recherche ? On savait... - Sylvestre Huet, blog Sciences², 13 juin 2014

vendredi 13 juin 2014, par Elisabeth Báthory

Parmi les cibles argumentaires des scientifiques qui réclament un "plan pluriannuel" permettant l’embauche de milliers de chercheurs, ingénieurs et techniciens, il y a le fameux CIR...

A lire sur le site de Libération.

Aujourd’hui, il coûte à l’Etat, en non-rentrées fiscales, plus de 6 milliards d’euros. Un chiffre qui fait frémir, puisqu’il représente près du double du budget du Cnrs. La secrétaire d’Etat à la recherche, Geneviève Fioraso, mardi dernier lors d’une rencontre avec des journalistes, a de nouveau défendu ce dispositif. Et affirmé qu’il ne s’agit pas d’une "cagnotte" dans laquelle on peut puiser pour financer des emplois scientifiques. Or...

  • Les critiques du dispositif sont déjà anciennes et son inefficacité déjà connue (lire ci-dessous une interview édifiante d’un économiste, publiée en mars 2008 qui décrit par avance les effets des réformes sarkozystes : aubaine pour les grands groupes, pas d’effet de levier).
  • Le gouvernement fait semblant de ne pas comprendre. Ce qui est demandé n’est pas la supression du CIR. Mais la mise en cause de sa réforme sous Sarkozy et Pécresse qui a plus que triplé son coût (de nettement moins de 2 milliards par an à plus de 6 milliards), et provoqué un afflux d’effets d’aubaines et d’optimisation fiscale pour les grands groupes, y compris de services financiers, les PME ne récupèrent plus que 25% du CIR. Exemple donné dans mon article dans Libération ce matin : Sanofi se gave de 125 millions d’euros de CIR en 2013, simultanément il licencie et ferme des labos... et verse plus de 3 milliards d’euros de dividende à ses actionnaires. La simple récupération de 5% du CIR à son niveau actuel représente pour l’Etat la capacité à financer 5.000 emplois dans la recherche publique. On comprend dès lors qu’il soit ciblé par les premières actions dont discutent les personnels de la recherche publique.
  • L’argument "pas de cagnotte" est totalement incohérent et de mauvaise foi. Si l’Etat ne crée pas d’emplois scientifiques, "c’est qu’il ne peut pas les payer"... dit la secrétaire d’Etat. Mais si on récupère les rentrées fiscales annulées par le CIR, ce n’est pas de l’argent qui rentre dans les caisses de l’Etat ? C’est quoi, alors ? Des petits pois ? Des boutons de culotte ? Annuler les réformes (déplafonnement, assiette) du CIR décidées par Sarkozy et maintenues par Hollande, c’est augmenter les recettes fiscales, donc dégager des ressources supplémentaires que l’on peut investir dans la recherche.

Voici, ci-dessous, copie de l’interview de l’économiste Philippe Touffut, parue dans Libération le 3 mars 2008. A l’époque, le PS était dans l’opposition et considérait que cet argumentaire était tout à fait valable. Il l’est toujours.


Soutenir la recherche privée par les crédits publics, c’est l’une des orientations majeures de la politique gouvernementale. Elle a pris la forme d’une augmentation considérable du crédit d’impôt recherche qui devrait doubler de 1,5 à 3 milliards d’euros en 2008, plus que la subvention au CNRS. Décryptage par l’économiste Jean-Philippe Touffut, du centre de recherche Cournot.

Pourquoi le gouvernement a-t-il doublé le crédit d’impôt recherche (CIR) ?

Cela fait vingt-cinq ans que le CIR est utilisé par les gouvernements pour inciter les entreprises à augmenter leurs efforts en matière de recherche et de développement. Il s’agit de subventionner ces dépenses en réduisant l’impôt sur les sociétés. Cette déduction fiscale se veut incitative : elle repose sur la foi qu’ont ses promoteurs dans les mécanismes de marché pour encourager la recherche privée. Or, l’effet n’est pas mécanique.

Justement, cette idée fonctionne-t-elle ?

Vingt pays de l’OCDE disposent aujourd’hui de ce type de crédit d’impôt, contre la moitié il y a quinze ans. Mais la Finlande, l’Allemagne ou la Suisse, réputées parmi les plus dynamiques en matière de recherche privée n’en ont pas. Là où il est en place, il n’est efficace que lorsqu’il porte sur l’accroissement des dépenses. Les études montrent qu’un euro d’aide fiscale entraîne de 1 à 3,6 euros de dépenses de recherches supplémentaires. En Espagne ou en Turquie, où le CIR porte sur le volume de recherches et développement (R&D), les résultats ne sont en revanche pas bons. Or, si le CIR a été, en France et jusqu’en 2004, assis sur l’accroissement des dépenses de R&D, c’est la prise en compte du volume des dépenses et leur déplafonnement qui provoquent le doublement du CIR en 2008.

Le doublement du CIR ne profiterait donc pas vraiment aux PME…

Le coût de la recherche des entreprises bénéficiaires du CIR va diminuer, indépendamment de leur taille. Mais il n’est pas sûr que la somme déduite permette d’augmenter les dépenses de recherche, notamment des PME. En revanche, les grands groupes, comme les holdings, semblent mieux équipés pour bénéficier à plein de ces changements : ils peuvent optimiser fiscalement entre leurs entités le nouveau crédit d’impôt. L’accroissement de l’effort comptable pourrait être plus important que celui de l’effort de recherche, ce qui peut expliquer le caractère faiblement incitatif de ce dispositif par rapport à des aides directement apportées à des projets identifiés. Ce CIR est également un instrumentd ans la concurrence fiscale pour attirer les laboratoires étrangers.

Le CIR ne cible pas de domaines en particulier et soutient toute recherche sans préjuger de son utilité sociale. Est-ce une bonne idée ?

L’idée qu’il ne faut pas cibler l’aide repose sur l’hypothèse que nous ignorons ce que seront les innovations et que le marché seul décidera. C’est très discutable. L’histoire des succès de l’innovation française montre au contraire l’intérêt du ciblage. Il y a parmi les bénéficiaires du CIR une distorsion très forte en faveur des secteurs de services, lesquels ne sont pourtant pas de grands contributeurs aux dépenses de recherche. Près d’un quart du CIR va ainsi au secteur « conseil et assistance aux entreprises » et un dixième au commerce. C’est pourtant la recherche industrielle qui constitue notre talon d’Achille.

L’octroi d’un CIR doit-il être subordonné à l’embauche de jeunes docteurs ès sciences ?

Il est fondamental que les docteurs trouvent leur place dans les entreprises s’ils ne peuvent ou ne veulent poursuivre leurs recherches dans les laboratoires publics. Il n’y a guère qu’en France que le doctorat est aussi peu reconnu et c’est aussi pour cette raison que les docteurs s’expatrient facilement. Associer une contrainte d’embauche à une mesure discutable, c’est du bricolage institutionel. Même si cela rappelle que le marché du travail n’est pas en mesure de placer les scientifiques, mais elle revient aussi à cautionner un principe de discrimination positive !

Le CIR peut-il contribuer à atteindre les fameux 3% du PIB consacrés à la recherche, l’objectif que s’est fixé l’Union européenne à Lisbonne ?

Il ne peut d’abord pas être compté dedans, puisqu’il représente une diminution de recettes (c’est un crédit d’impôt) et non une augmentation de dépenses.Surtout, il ne faut pas confondre recherche privée et publique, comme l’a malheureusement fait le processus de Lisbonne. Elles suivent des logiques différentes : le marché valide l’une, les publications scientifiques l’autre.

Que faire, alors,pour encourager la recherche privée présentée comme le point faible de la France ?

Il faudrait réévaluer le diagnostic du rapport Beffa de 2004 : quelles sont les spécialités sur lesquelles la France peut encore compter ? Qui tire l’innovation en France aujourd’hui ? L’Agence de l’innovation industrielle (AII) avait commencé à répondre à cesquestions en promouvant de grands projets où les entreprises organisent des coopérations à long terme entre elles et avec les laboratoires publics. De manière frappante, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont emboîté le pas à la France dans une direction similaire, au moment où l’AII était supprimée en France.