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Contre les horizons bouchés - Tribune de Geetha Ganapathy-Doré, blog {SCIENCES²}, Libération, 4 juillet 2014

samedi 5 juillet 2014, par Elisabeth Báthory

Commentaire de Sylvestre Huet : « Alors que la pétition pour l’emploi scientifique, lancée par le Comité national de la recherche scientifique, a dépassé les 10.000 signatures, le Parlement vient de voter une loi de finance rectificative qui ne touche pas au budget de l’Enseignement supérieur et de la recherche. J’ai reçu une tribune d’une universitaire de Paris-13 Geetha Ganapathy-Doré, Maître de conférences à l’Université Paris 13 qui propose, dans l’attente d’une augmentation de ce budget d’y effectuer au moins une translation. Transformer une part au moins des heures complémentaires et vacations en postes de Maîtres de conférences. »

A lire sur le site de Libération.

Contre les horizons bouchés

Le projet de loi de finances rectificative a été voté. Le Premier président de la Cour des comptes résume le constat des magistrats financiers sur la situation financière en une petite phrase : « La France reste dans une zone dangereuse. » Pour endiguer la dépense publique qui continue d’augmenter, la Cour des Comptes demande des efforts supplémentaires de la part des opérateurs de l’État, notamment les universités.

Dans ce contexte, plaider pour la création d’emplois pérennes scientifiques dans les établissements publics pourrait paraître téméraire voire irresponsable. Il s’agit, au contraire, d’une démarche citoyenne qui souhaite montrer qu’une autre voie est possible. Le chômage des jeunes atteint aujourd’hui 23.4%. Les jeunes scientifiques brillants sont en train de quitter la France. D’autres n’osent même pas songer à un post-doctorat. Des jeunes docteurs qualifiés Maître de conférences n’ont pas trouvé de poste durant trois années consécutives et se trouvent dans une situation d’extrême précarité. La tentation d’abandonner est grande. Quand la précarité se banalise, comment les jeunes chercheurs peuvent-ils se projeter dans une vie digne de ce nom et construire des projets novateurs ?

Des voix courageuses se sont levées pour dire que la création d’emplois publics scientifiques est un véritable investissement d’avenir. Au nom de la solidarité intergénérationnelle, j’apporte mon soutien à ce mouvement en disant haut et fort que les besoins sont réels, que le potentiel d’emplois existe, que les jeunes qualifiés se désespèrent d’être perpétuellement dans la salle d’attente de la République et qu’il faut une volonté politique pour ajuster ces variables en un schéma cohérent de politique publique viable, faisable et porteur pour la France, quitte à revoir le dispositif du Crédit d’Impôt Recherche et utiliser une partie des 620 millions octroyés récemment par la Commission européenne pour aider l’initiative pour l’emploi des jeunes.

Il est parfois possible de faire mieux avec moins. Mais il y a des activités humaines essentielles dont on doit préserver la vitalité et la pérennité coûte que coûte. Sinon le terrain de ces activités deviendrait une terre brûlée difficile à raviver. L’enseignement et la recherche relèvent de ce domaine crucial pour tout pays, surtout pour un pays qui a envie de maintenir son rang mondial. On ne peut pas fabriquer des chercheurs avec des imprimantes 3D ! Même les pays émergents comme l’Inde ont lancé des initiatives comme « Faculty Recharge Programme » pour contrer la stagnation dans le milieu de la recherche.

Selon les lois actuellement en vigueur en France et les décrets et circulaires qui en sont issus, les acteurs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sont divers et variés – Enseignants-chercheurs titulaires et stagiaires, Adjoints Temporaires d’Enseignement et de Recherche, enseignants agrégés et certifiés, vacataires, allocataires moniteurs, doctorants contractuels, maîtres de langues, professeurs associés, etc. Le système favorise largement ceux qui ont déjà un emploi (salariés du secteur privé ou public, autoentrepreneurs ou travailleurs indépendants) en confiant des heures complémentaires aux personnels en poste, et des heures de vacations aux personnels les plus précaires, peu coûteux pour l’institution universitaire, car elle n’assure pas la prise en charge de leur sécurité sociale ou de leurs cotisations chômage. Ce qui a été prévu au départ pour donner un peu de souplesse au système est devenu la base de quelques abus (doublement de salaire pour certains enseignants en poste) et de beaucoup de situations de grande précarité (pour les vacataires).

Ce système doit être revu au profit des jeunes enseignants-chercheurs. Les heures complémentaires (plus économiques pour l’institution) et les heures de vacations peuvent être combinées et transformées en emplois stables dans des proportions raisonnables. Mettre l’emploi des jeunes au cœur du dispositif nécessite une gestion intra et/ou inter-académique ou multi-établissements. De telles créations d’emploi permettraient d’absorber les précaires ; augmenteraient leur pouvoir d’achat et donneraient ainsi un coup de pouce à la consommation. Elles permettraient surtout aux Universités d’augmenter la qualité de l’encadrement et contribueraient au rayonnement scientifique, industriel, commercial et culturel du pays.

Si le gouvernement n’est pas prêt à adopter un point de vue long-termiste et à augmenter le budget des Universités et des Organismes de recherche publics pour proposer ce « nouveau pacte de flexisécurité d’emploi scientifique », notre pays aura beaucoup plus à perdre qu’à y gagner. Les débouchés dans le seul secteur privé ne peuvent suffire à donner les perspectives nécessaires à maintenir le vivier des jeunes talents.

Geetha Ganapathy-Doré, Maître de conférences à l’Université Paris 13