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Etudiants : une politique publique en trompe-l’œil - Lucie Delaporte, Mediapart, 29 septembre 2014

vendredi 3 octobre 2014, par Elisabeth Báthory

En cette rentrée, le gouvernement met en avant son volontarisme en matière de politique de bourses. Pourtant, les étudiants sont d’autant plus rattrapés par la crise qu’ils subissent les effets de la rigueur budgétaire : budget du Cnous amputé, hausse des frais de santé...

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Qu’ont vu les étudiants de la « priorité à la jeunesse » décrétée par François Hollande, qui s’était engagé à ce que les jeunes « vivent mieux en 2017 qu’en 2012 » ? Pour cette troisième rentrée universitaire depuis l’arrivée de Hollande à l’Élysée, la secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, a tenu à montrer que son portefeuille était l’un des rares rescapés du plan d’économie drastique de 50 milliards d’euros – un objectif qui avait fait planer, avant l’été, de sérieux doutes sur la tenue des engagements en faveur des étudiants.

Dans un contexte où les universités tirent la langue pour boucler leur budget, le ministère a clairement choisi de donner la priorité au soutien financier direct aux étudiants : « Les deux tiers de l’augmentation de notre budget va à l’aide aux étudiants », a ainsi confirmé mercredi la secrétaire d’État. 458 millions d’euros en deux ans ont été engagés pour améliorer les dispositifs de bourses. « 77 000 nouveaux étudiants vont bénéficier d’une bourse cette rentrée. Ce qui porte depuis le début du quinquennat à 135 000 le nombre de nouveaux boursiers », s’est encore félicitée Geneviève Fioraso. L’essentiel de ces nouvelles aides concerne des bourses de 1 000 euros par an pour les étudiants des classes « moyennes à revenus modestes », qui jusque-là étaient uniquement exonérés de frais d’inscription. Les étudiants dans les situations sociales les plus précaires (échelon 7) ont vu, eux, leur bourse revalorisée sur l’année de 800 euros.

Depuis le début du quinquennat, l’année universitaire s’étant allongée, les étudiants touchent enfin le 10e mois de bourse, autrefois promis par Laurent Wauquiez mais jamais financé. Pour la secrétaire d’État, cette politique de bourses constitue donc un « effort sans précédent » qui s’accompagne aussi, en matière de logement, par la mise en place en cette rentrée d’un dispositif de caution locative pour les étudiants dépourvus de garants (Clé) qui vient s’ajouter – le poste le plus lourd du budget des étudiants – à l’engagement de créer 40 000 logements étudiants sur le quinquennat, lequel est pour l’instant en bonne voie. Un quart a déjà été livré, avec un rythme que n’avait jamais atteint le précédent plan Anciaux.

Au sein de l’Unef, première organisation étudiante, on se félicite de ces « victoires syndicales » tout en appelant à poursuivre l’effort. « Nous estimons que 150 000 étudiants ont effectivement vu leur situation s’améliorer grâce à cette politique de bourses. C’est important mais c’est quand même à rapporter au nombre total de boursiers – 600 000 – et surtout aux 2,4 millions d’étudiants », précise le président de l’Unef William Martinet, pour qui l’effort budgétaire doit « continuer à monter en charge jusqu’à la fin du quinquennat ».

L’engagement n° 39 du candidat Hollande de « créer une allocation d’études sous condition de ressources dans le cadre d’un parcours d’autonomie » paraît en tout cas bien loin. Du moins pour ceux qui avaient cru lire dans cet engagement la satisfaction d’une vieille revendication de l’Unef de créer une allocation d’autonomie, sorte de pré-salaire étudiant. La formule utilisée par le candidat était en fait suffisamment floue pour permettre au ministère de dire que la promesse est aujourd’hui tenue par la seule politique de revalorisation des bourses. « Nous n’avons aucun engagement pour la suite », reconnaît William Martinet. Rien n’indique en effet que l’effort financier pour revaloriser les bourses étudiantes se poursuive.

En 2014 comme en 2012, les étudiants français sont toujours en quête d’autonomie. Malgré ce coup de pouce aux bourses, l’écrasante majorité des étudiants dépend financièrement de la solidarité familiale pour poursuivre leurs études. Une solidarité qui devient, dans la crise sociale actuelle, de plus en plus difficile, surtout pour les étudiants d’origine modeste. Seuls 43 % des étudiants estiment avoir suffisamment d’argent pour couvrir leurs dépenses mensuelles, selon la dernière enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, et 20 % des étudiants se plaignent que leur activité rémunérée empiète sur leur réussite.

Dans ce contexte, l’augmentation régulière du coût des études (due pour l’essentiel à l’augmentation des loyers mais aussi des frais d’inscription – validée par le gouvernement !) risque de fragiliser l’objectif affiché de démocratiser l’enseignement supérieur. Difficile de trouver sur ce point une cohérence des politiques publiques. Ainsi, l’annonce de la création de la caution locative étudiante – saluée par les organisations étudiantes – se fait au moment même où le gouvernement acte le détricotage de la loi Alur-Duflot sur l’encadrement des loyers (engagement n° 22 du candidat Hollande). « Nous déplorons d’autant plus cette reculade que les étudiants sont les premiers à en pâtir, car les prix qui augmentent le plus sont ceux des petites surfaces dans les villes en tension », affirme Julien Blanchet, de la Fage, seconde organisation étudiante. « Comme nous l’avons obtenu à Nantes Métropole, nous demandons l’encadrement des loyers de petites surfaces qui grèvent le budget des étudiants », poursuit-il.

Derrière la revalorisation des bourses, la cure d’austérité générale n’a pas épargné les étudiants. Ainsi, le budget du Cnous (Centre national des œuvres universitaires et scolaires) a été amputé l’an dernier de 6,6 millions d’euros sur la mission restauration, provoquant la hausse du prix des repas. « L’offre de restauration universitaire saine et pas chère tend à diminuer et les acteurs privés du secteur rôdent pour récupérer le morceau », assure Julien Blanchet, déplorant un grave recul de cette politique d’aide indirecte aux étudiants. « À Saint-Étienne, depuis l’aménagement du site universitaire, avec le rapatriement des étudiants de santé on arrive à un campus avec 1 300 étudiants sans restauration universitaire. Il y a juste une cafétéria qui peut au maximum servir 300 étudiants », rapporte Julien Blanchet.

Les frais de santé ont également grimpé de 20 % ces trois dernières années pour les étudiants, en raison d’une hausse de la cotisation à la sécurité sociale étudiante et des complémentaires santé, de plus en plus chères.

Enfin, le sous-financement des universités depuis leur passage à l’autonomie pèse évidemment sur les conditions d’études. En cette rentrée encore, les étudiants vont découvrir « des labos de langues avec plus d’étudiants que de places, des cours de TD surchargés où les enseignants misent faute de mieux sur l’absentéisme. Et un peu partout, une réduction de l’offre de formation », précise Claudine Kahane, cosecrétaire générale du Snesup. Au moment où le nombre d’étudiants augmente, + 2,2 % dans l’ensemble des formations du supérieur et + 0,1 % à l’université cette année après des années de stagnation, accueillir les étudiants dans de telles conditions n’est pas forcément le meilleur signal envoyé à la jeunesse.