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Scandale des diplômes à l’IEP d’Aix : quelque chose de pourri au royaume de Christian Duval (Partie 1) - Rémy P, Mediapart, 27 octobre 2014

mardi 28 octobre 2014, par Hélène

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« Ce qui se passe à Sciences Po Aix, c’est mafieux ! » affirme un membre de la direction de l’IEP de Lille. Ce sentiment est largement partagé par les directeurs des IEP de province et les représentants étudiants de l’IEP d’Aix. Une sorte de mobilisation contre la direction de l’IEP d’Aix s’opère dans le plus grand silence des courriels et des lettres échangés. Chacun avance ses poins et attend la réaction de l’autre. L’issue du match est, à ce jour, lundi 25 octobre, très incertain. Une Assemblée Générale a lieu en ce moment à l’IEP d’Aix, demain est prévue une manifestation. Les enjeux sont importants : pour certains, c’est la sortie de l’IEP d’Aix de l’hexaconcours qui prévaut, pour d’autres, c’est le principe de privatisation et l’externalisation des masters qui est dénoncé, c’est à dire la vente d’un master à des organismes privés dans le but de récolter des fonds.

Le 9 octobre 2014, le premier Conseil d’Administration de la rentrée de l’IEP de Lille s’est tenu en salle B 2.1. Assez rapidement, les élus font « un point sur Aix ». Le directeur rappelle rapidement les faits racontés dans une lettre publiée le 30 septembre, à savoir les « partenariats de l’IEP d’Aix en Provence avec des structures de formation privées permettent à celles-ci de délivrer des masters de Sciences Po Aix dans des domaines par ailleurs éloignés du cœur de métier des IEP […]. Il y a là un manquement à la courtoisie universitaire et une démarche de concurrence territoriale particulièrement gênante ». En effet, les directeurs ont constaté que ces écoles ou organismes privés partenaires faisaient de la publicité pour Sciences Po Aix au sein même des villes qui proposent le concours commun ! De plus, « la qualité des structures privées ne semble pas toujours garantie » et ils confient leurs « doutes sur la légalité des pratiques de sous-traitance de la gestion pédagogique de diplômes nationaux ».

« On s’en fout, on ne doit pas être tétanisé »

Les directeurs ont alors décidé qu’une exclusion temporaire était à l’ordre du jour si Christian Duval ne s’expliquait pas avant le 10 novembre. Mais cette exclusion ferait entrer les conventions qui lient les IEP de province et qui régulent l’hexaconcours dans une zone d’insécurité juridique. A la question de savoir ce qui se passerait si l’IEP d’Aix attaquait les directeurs devant le Tribunal Administratif pour préjudice moral, Pierre Mathiot a répondu tout de go devant le Conseil d’Administration : « On s’en fout, on ne doit pas être tétanisé ». La franche impression qui domine à Lille et ailleurs, c’est que le directeur de l’IEP d’Aix, Christian Duval prend son temps pour répondre aux directeurs et ne répond pas directement aux points les plus incriminés. L’attitude désinvolte du directeur laisse pantois de nombreux acteurs.

A l’origine de cette lettre, une réunion du 30 septembre à Lille. L’ordre du jour concernait particulièrement les – nombreux – problèmes rencontrés par l’IEP d’Aix, pas tous concernant les diplômes. Or, son directeur a fourni un prétexte bidon pour se dérober. La réponse ne s’est pas faite attendre. Le jour même, les six directeurs des IEP de province envoient une lettre à la Présidente du Conseil d’Administration de l’IEP d’Aix, Christine Lagarde. Ils expliquent que la participation de l’IEP d’Aix au concours commun « paraît à ce jour conditionnée par des réponses précises aux questions et problèmes pointés ci dessus avant le 10 novembre prochain ». L’ultimatum est lancé. Une course contre la montre commence à la fois pour les directeurs des IEP de province, pour celui d’Aix et pour les élus étudiants sur fond de pressions, de coups bas et d’enjeux de pouvoir.

(Ci-dessus, l’ultimatum du 30 septembre adressé par les directeurs des 6 IEP de province à Christian Duval).

Ce sont les sites d’information Médiapart et Marsactu qui ont révélé au grand jour l’affaire le 3 octobre dans un article intitulé " Sciences Po Aix marchande ses diplômes à l’étranger " . Les journalistes Louise Fessard et Jean-Marie Leforestier expliquent que :

« Début juillet déjà, quatre enseignants-chercheurs de l’IEP ont démissionné de leurs fonctions administratives pour protester contre une stratégie qui transforme cet « établissement public prestigieux en sous-Business School dans laquelle des intérêts privés s’immiscent de plus en plus ». Jean-Charles Jauffret, historien, André Cartapanis, économiste, Franck Fregosi, spécialiste de l’Islam, et Philippe Aldrin, directeur du Cherpa, le centre de recherches de l’IEP, accusent Christian Duval de « brader » les diplômes et la marque Sciences po. Ils pointent des « masters illégaux (…) dirigés par des amateurs  » ».

Des habilitations sans « aucune expertise » confiées à des universitaires sans « aucune légitimité ».

Plus précisément, dans une note du 19 octobre 2014 intitulée « Comprendre les interrogations de la communauté universitaire à propos de l’offre de masters de Sciences Po Aix », Philippe Aldrin et André Cartapanis – les démissionnaires, respectivement professeurs de sciences politique et de sciences économiques à l’IEP d’Aix – développent longuement la politique de masters et son offre de formation. « Depuis juillet, deux interrogations, distinctes mais trop souvent confondues, et d’une extrême gravité, ont été soulevées à propos des masters de l’IEP d’Aix en Provence  ». La première série d’interrogations concerne l’habilitation du diplôme d’un master d’Etudes Politiques intitulé « Management de l’information stratégique ». Les professeurs rappellent qu’une habilitation n’est rien d’autre qu’une « délégation par l’Etat, à une université, du droit de décerner un diplôme reconnu à l’échelle nationale, après expertises et évaluations ». Or, si ce master a été effectivement habilité dans la forme, les professeurs constatent que « les objectifs et les contenus disciplinaires des enseignements, la liste des intervenants, les modalités d’évaluation… n’ont strictement rien à voir avec les maquettes figurant dans les documents d’habilitation  ». Le constat est accablant : cette habilitation et le cursus n’ont fait l’objet « d’aucune expertise », « d’aucune évaluation quant au niveau requis des enseignements  ». De plus, elle a été confiée à « des non-universitaires n’ayant aucune légitimité, ni sur le plan statutaire, ni sur le plan professionnel, pour assumer de telles responsabilités  ». Ils relèvent aussi l’absence de professeurs, maîtres de conférences ou chercheurs au sein de ces masters.

(Ci-dessus : Extrait de la note technique écrite par les deux professeurs démissionnaires de l’IEP d’Aix)

L’autre série de questionnements concerne la délégation de l’enseignement du master « à des entités de formation de droit privé, françaises ou étrangères  ». Cette délégation est en fait un « système de sous-traitance, dans lequel les diplômes dits de l’IEP d’Aix-en-Provence sont proposés dans le cadre de cursus externalisés, incluant le paiement de droits d’inscription ou de scolarité quelquefois exorbitants ». Ces parcours débouchent alors sur la remise d’un diplôme de même valeur que celui de l’IEP d’Aix mais « sur la base de conventions ou d’accords tacites, incluant des dispositions financières qui s’apparentent au versement de royalties au bénéfice de l’IEP d’Aix en Provence », sans que le CA ne les ait votés, ni que le président de l’Université d’Aix-Marseille ou le Recteur d’Académie n’aient été informés. On en arrive à des créations opaques de programmes comme « Sciences Po Île Maurice », « Sciences Po Réunion », « Sciences Po Aménie » ou encore à un accord international avec l’Université Professionnelle d’Afrique de Kinshasa en République Démocratique du Congo…

Le master « Management de l’information stratégique » incriminé.

Concrètement, comme le rappellent les sites d’information Médiapart et Marsactu, lorsque Christian Duval arrive à la direction en 2006, l’IEP connaissait des problèmes financiers de plus en plus importants. Les journaux citent le directeur qui a du faire face à un « désengagement de l’Etat très net à l’égard des universités depuis les lois Pécresse en demandant aux établissements de se débrouiller. « Quand je suis arrivé à la direction il y a huit ans, le budget de fonctionnement était financé à 80 % par l’Etat, désormais c’est à 40%  » ». Pour pallier ce désengagement financier – idée que contestent les directeurs de province et des élus étudiants de l’IEP, arguant qu’Aix est l’IEP recevant le plus d’aides de l’Etat – il propose à Stéphane Boudrandi (membre d’un cabinet d’affaires aixois et ex-directeur adjoint de l’IEP d’Aix), de mener une politique de récoltes de fonds tous azimuts. En 2008, celui-ci dirige justement le master « Management de l’information stratégique » et va l’orienter vers des parcours intitulés « audit social », « management et gouvernance des entreprises », « attractivité et nouveau marketing territorial », ou encore « intelligence économique ». En d’autres termes, comme le soulignent les deux médias, ce sont « des domaines de compétences plus proches des formations d’Ecoles de commerce que de Sciences po, dont le cœur de métier restent les carrières publiques » le but étant de signer des partenariats avec le privé. Médiapart et Marsactu développent quelques exemples :

« C’est ainsi que ce diplôme d’Etat est aujourd’hui proposé par Wesford Université à Genève et Clermont-Ferrand pour la modique somme de 23 700 euros par an. Ou encore par l’IGS (Institut de Gestion Sociale) à Lyon, Paris et Toulouse pour 11 200 euros. Depuis la rentrée 2014, le CESI (Centre d’Etudes Supérieures Industrielles), un autre organisme privé, le décline également en formation continue dans neuf villes françaises moyennant 5 000 euros de frais d’inscription. Sur ces sommes, l’IEP touche environ 1 000 euros par étudiant (contre 470 euros pour les étudiants arrivés par la voie classique du concours). »

Pour résumer, moyennant une part sur ces frais d’inscriptions de plusieurs milliers d’euros pratiqués par ces organismes privés, ceux-ci délivrent un « Master d’études politiques » de l’IEP d’Aix. On en arrive à cette situation absurde :

« En 2014, Sciences-Po Aix a ainsi diplômé « 200 étudiants extérieurs pour 280 étudiants en interne  », selon le directeur qui reconnaît avoir atteint un seuil à ne pas dépasser. […], les cours sont totalement pris en charge par les organismes de formation privés, Sciences-Po se contentant de concevoir la maquette de l’enseignement et d’assurer le suivi et la validation des mémoires. […]. Des étudiants peuvent ainsi décrocher un master d’études politiques sans avoir jamais croisé un enseignant en sciences politiques de l’IEP.

La réponse des directeurs des IEP se veut forte. Dans un courriel envoyé le 13 octobre 2014, les directeurs affirment tout d’abord avoir pris connaissance des courriels de Christian Duval du 7 et 10 octobre. S’ils actent les engagements du directeur, ils affirment qu’ils sont très insuffisants et sans garantis : « ceux-ci doivent être plus fermes et plus précis… Il nous apparaît donc à ce stade que les informations dont nous disposons, en particulier sur les démarches dont tu dis qu’elles avaient déjà été ou allaient être effectivement engagées pour « sortir » de ces divers accords, ne sont en l’état pas suffisantes ». Le directeur de l’IEP d’Aix a en effet confié à l’AMU (Aix-Marseille Université) la responsabilité d’évaluer les formations. Mais les directeurs de province ainsi que les élus étudiants de l’IEP d’Aix, rappellent que leur expertise n’est en rien extérieure et indépendante. Dans une lettre ouverte au Conseil d’Administration du 22 octobre, les représentants étudiants affirment que «  l’Université d’Aix-Marseille [est] juge et partie dans cette affaire puisque responsable des diplômes nationaux de master  ».

La liste des récriminations ne s’arrête pas là. Les directeurs et les élus étudiants de l’IEP d’Aix constatent très rapidement et à leurs dépends que Christian Duval explique peu et cache beaucoup. Les révélations vont petit à petit s’accumuler, tout comme les témoignages de pression et d’intimidation en interne. Disons le clairement, l’hexaconcours connait une affaire bien plus grave que celle des super-bonus de Descoings. En comparaison, cette affaire au sein de Sciences Po Paris ressemble fortement, à côté de ce qui se passe à l’IEP d’Aix, à un bataclan provincial.

Rémy

Pour approfondir :
Lettre des 6 directeurs des IEP de province, le 30 septembre 2014 :

L’article du 3 octobre 2014 dans Marsactu :

Maquette du master « Management de l’information stratégique » :

Lettre des 6 directeurs des IEP de province, le 30 septembre 2014 :

L’article du 3 octobre 2014 dans Marsactu :

Maquette du master « Management de l’information stratégique » :