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L’étonnante ascension des bachelors - Jean-Claude Lewandowski, Le Monde-Campus, 22 janvier 2015 ?

samedi 24 janvier 2015, par Mr Croche

Au moment où les nouvelles licences, strictement cadrées par le ministère, vont se mettre en place dans les universités, un diplôme aux contenus propres à chaque établissement (le plus souvent privé) fait une ascension particulièrement remarquée. Bizarre qu’on ne lui reproche pas son manque de lisibilité ! A moins que son estampille professionnalisante suffise.

A lire sur le site
Avec en complément un dossier spécial bachelor en supplément de 8 pages à lire dans Le Monde daté du jeudi 22 janvier 2015. Egalement sur la chaîne campus.lemonde.fr

C’est LE programme qui monte dans l’enseignement supérieur français. Celui dont les effectifs progressent régulièrement sur les campus. Celui qu’un nombre croissant d’écoles privées s’attache à développer. Dans les années 2000, elles n’étaient qu’une dizaine à proposer le bachelor, diplôme d’origine anglo-saxonne. Elles sont aujour­d’hui pléthore. Non recensés au niveau national, les bachelors sont au moins plusieurs centaines.

A quoi attribuer cet essor, dans un pays où l’on n’a longtemps juré que par le master ? Pour partie, à la crise. Conscients des difficultés d’insertion, beaucoup d’étudiants et de familles sont désormais à la recherche d’une formation relativement courte, très orientée vers l’emploi, et avec une forte coloration internationale.

Exactement ce qu’offre le bachelor – à la différence, par exemple, de la licence, encore déconnectée du monde professionnel. « Dans nombre de pays anglo-saxons, le bachelor est le diplôme le plus répandu, observe François Thérin, directeur de l’Ecole de management Léonard de Vinci (EMLV) de Paris. Certaines multinationales recrutent en parallèle des diplômés de grandes écoles en France et des titulaires d’un bachelor à l’étranger, quitte à leur faire passer ensuite une certification professionnelle, notamment pour travailler dans l’audit. »

Des frais de scolarité nettement moins élevés

Les étudiants économisent ainsi deux années d’études par rapport à un diplôme de niveau bac + 5 – et gagnent donc deux années de salaire. Sans compter que les frais de scolarité en bachelor (entre 4 000 et plus de 10 000 euros par an) restent nettement moins élevés. Enfin, rien ne leur interdit de s’inscrire en master, en mastères en sciences (MSc) ou en MBA quelques années plus tard, en recourant par exemple à la formation continue, à des cours en ligne, voire à la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Résultat, «  même des éléments très brillants, qui auraient eu leur chance en prépa, optent pour le bachelor », souligne Denis Boissin, du programme bachelor de Skema Business School. « Tout le monde n’a pas envie de faire un cursus en cinq ans, observe pour sa part Cyrille Mandou, directeur du programme bachelor de Montpellier Business School. Et la plupart de nos diplômés de bachelor n’ont pas de mal à trouver un emploi à la sortie. »

Pour leur part, les entreprises recrutent par cette voie les cadres intermédiaires dont elles ont besoin, à côté des « managers » ou des cadres supérieurs. Une solution d’autant plus intéressante pour elles qu’un bon diplômé de bachelor se paie nettement moins cher que le titulaire d’un master, pour des compétences somme toute assez proches.

De nouvelles ressources financières

Pour les écoles privées, enfin, le bachelor ne manque pas d’attraits. Il étoffe d’abord leur portefeuille de programmes avec un cursus de type anglo-saxon et gonfle leurs effectifs avec un nouveau public, celui des étudiants post-bac, à un moment où nombreux sont ceux qui cherchent à « contourner » des classes préparatoires réputées difficiles et exigeantes. Les écoles trouvent ainsi de nouvelles ressources financières, alors que la plupart d’entre elles connaissent une situation budgétaire délicate.

Souvent moins sélectifs que le cursus « grande école », les bachelors disposent en outre d’un vivier de candidats plus large – et même gigantesque –, si l’on tient compte des pays en voie de développement, très friands de ce programme. «  Il est plus facile de recruter des étudiants étrangers au niveau bachelor que pour la “grande école”  », estime François Thérin.

Argument supplémentaire en faveur de ce programme : il est encore très librement utilisable en France – à la différence du master, sur lequel les autorités veillent avec un soin sourcilleux. «  C’est un cursus très flexible, que nous pouvons peaufiner d’année en année  », note Denis Boissin.

IEP et écoles d’ingénieurs se lancent aussi

Parce que tout le monde semble y trouver son compte, l’offre se diversifie grandement. Il existe désormais des bachelors en tourisme, en design, en informatique, en communication, en architecture… Et dans les spécialités les plus diverses  : aéronautique (à Toulouse Business School, en partenariat avec l’Ecole nationale de l’aviation civile), e-commerce, négociation sur le marché de l’art, coordination en environnement…

Plusieurs instituts d’études politiques (IEP) ont ouvert le leur, à Grenoble, à Rennes… Sciences Po Paris aussi, sous le nom de Collège universitaire. Certaines écoles alignent plusieurs bachelors. Le groupe Inseec en offre ainsi un en trois ans et un autre, plus axé sur l’international, en quatre ans. Sup de Co La Rochelle en propose trois, dont un en management du tourisme et un autre en quatre ans. Kedge Business School dispense son bachelor en trois ans sur sept sites (dont la Martinique et Dakar, au Sénégal), accueillant ainsi quelque 1 200 élèves.

Les écoles d’ingénieurs se lancent aussi. Arts et Métiers-ParisTech (anciennement Ecole nationale supérieure d’arts et métiers) a ouvert cette année un bachelor de technologie, avec mises en situation et pratique intensive, sur ses deux centres de Bordeaux et Châlons-en-Champagne. Objectif : offrir une filière complète permettant aux bacheliers technologiques de trouver un emploi à l’issue des trois années de formation, mais aussi de se hisser jusqu’au diplôme d’ingénieur et même au doctorat.

Un bouleversement de la hiérarchie des diplômes ?

La première promotion compte deux cohortes de 24 élèves. «  Nous avons eu d’emblée 200 candidats, et nous avons dû sélectionner fortement, indique Laurent Carraro, le directeur général. Les autres écoles d’ingénieurs et les entreprises nous observent avec attention.  » L’établissement n’exclut pas de passer à la vitesse supérieure en partenariat avec d’autres acteurs (un IUT, par exemple) si, dans deux ans, l’insertion se déroule bien – ce que laisse présager l’accueil des entreprises.

Faut-il voir dans ce boom du bachelor l’amorce d’un bouleversement de la hiérarchie des diplômes ? Le signe avant-coureur d’une remise en cause de l’hégémonie du master ? Ce n’est pas impossible. D’autant que les grandes écoles françaises de management, avec leurs coûts serrés et leur réputation bien établie en Europe, seraient très compétitives au niveau bac + 3, face à des universités anglo-saxonnes qui vendent leur bachelor entre 18 000 et 25 000 euros l’an (plus de deux à quatre fois plus cher qu’en France).

L’essor du bachelor prouve en tout cas que les choses ne sont pas forcément figées dans l’enseignement supérieur. Et qu’elles peuvent évoluer très vite.