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Quelques dangers du projet d’arrêté relatif au diplôme national de doctorat — Communiqué du bureau de la CP-CNU, 27 mai 2015

vendredi 12 juin 2015, par Pr. Shadoko

La CP-CNU exprime "une vive inquiétude" sur de nombreux points du projet d’arrêté relatif au diplôme national de doctorat, actuellement en préparation.

La France formant deux fois moins de docteurs que d’autres pays de l’OCDE (par exemple l’Allemagne), le gouvernement a élaboré un projet d’arrêté pour réformer les conditions de réalisation et d’octroi du diplôme de doctorat. La reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives, la création de postes de chercheurs dans l’industrie, tout comme la création de postes de chercheurs et d’enseignants-chercheurs titulaires, sont des voies intéressantes pour attirer les meilleurs étudiant-e-s qui, pour beaucoup, renoncent aujourd’hui à s’engager dans la voie de la thèse. Toutefois, le développement du doctorat ne peut pas se faire au détriment de la qualité du diplôme national.

La CP-CNU exprime une vive inquiétude sur de nombreux points du projet d’arrêté relatif au diplôme national de doctorat, actuellement en préparation.

1 – Le diplôme de doctorat

Le terme même de doctorat reste à préciser dans le projet actuel. La CP-CNU estime que les thèses de doctorat doivent reposer sur un haut niveau d’exigence scientifique et une aptitude à mener un projet de recherche contribuant au renouvellement des connaissances. Aussi, elle est opposée à toute procédure permettant de délivrer les diplômes de doctorat selon des critères non maîtrisés par les Ecoles doctorales, en particulier les doctorats appelés aujourd’hui "executive" ou "professionnels". Ce texte ne fait absolument pas la distinction, pourtant fondamentale.

De surcroît, le doctorat, tel que proposé dans le projet, peut être octroyé par le biais de la valorisation des acquis d’expériences ou VAE (article 1). Une telle disposition exclut de fait, pour le candidat au doctorat, l’exigence de produire un document de thèse original. La CP-CNU estime que le diplôme de doctorat, y compris pour ceux qui seraient validés par VAE, doit nécessairement être attribué après la réalisation d’un mémoire ou d’un dossier de recherche contenant des résultats originaux, examinés lors d’une soutenance devant un jury composés de spécialistes de la discipline, après autorisation par deux rapporteurs habilités à diriger des recherches, sous le contrôle d’une Ecole doctorale.

2 – L’accès aux directions de thèse, aux conseils des Écoles doctorales et aux jurys de soutenance offert à des enseignants désignés selon des procédures opaques, échappant à la logique scientifique, a toutes les chances d’être généralisé puisque l’arrêté fait directement référence au décret 92-70 qui l’autorise (1).

Le conseil de l’École doctorale, potentiellement composé de membres non élus (hormis les représentants des étudiants, article 9) comprendrait des personnalités issues du secteur industriel et socio-économique à hauteur de 2 membres pour un conseil de 12 personnes ou à hauteur de 4 pour un conseil de 20 personnes. Cette ouverture à des « personnalités », pour lesquelles aucune obligation de diplômes ni de niveau scientifique attesté n’est requis, suscite une certaine incompréhension. La CP-CNU n’est en rien défavorable à l’idée d’ouvrir les Ecoles doctorales, mais à la condition d’exiger un niveau scientifique compatible avec l’évaluation des thèses de doctorat.

La CP-CNU ne peut accepter que l’encadrement de la thèse de doctorat (article 16.2) et le rôle de rapporteur dans les jurys de soutenance (article 17) puissent être confiés à des personnes ne disposant pas d’une habilitation à diriger des recherche (HDR) ou d’un niveau reconnu équivalent si ces rôles sont assumés par des personnes en poste à l’étranger.

De même, alors même que le texte prévoit l’intégration des laboratoires et organismes de statut privé dans les Écoles doctorales et dans le suivi des thèses de doctorats, le projet d’arrêté gagnerait à rappeler que les établissements d’enseignement supérieur sont des organismes publics.

3 – Les enseignants-chercheurs sont considérés comme des « non professionnels » (article 17 évoquant les travaux impliquant des professionnels) et les formations doctorales deviendraient « professionnalisantes » (article 3 proposant aux doctorants des modules de formation à caractère professionnalisant). La CP-CNU rappelle que le doctorat est un diplôme professionnalisant au niveau de la recherche, formant des professionnels à la recherche et par la recherche de très haut niveau. Contrairement à ce qui est suggéré dans l’article 3, les enseignants-chercheurs sont des professionnels de l’enseignement et de la recherche de haut niveau ; les formations doctorales, même si elles doivent améliorer la formation à la pédagogie pour les futurs enseignants- chercheurs, participent à la formation de futurs professionnels.

4 – La mise en concurrence systématique des individus et des équipes de recherche dans l’université, telle qu’elle a été instituée par la loi LRU, a été dénoncée à de multiples reprises par de nombreux acteurs de la vie universitaire – notamment des chercheurs éminents, détenteurs du prix Nobel. La loi ESR et les politiques "d’excellence" sont étendues aux Écoles doctorales et aux disciplines. Les Écoles doctorales seraient en effet contraintes de rendre public des taux d’insertion professionnelle. Si le bureau de la CPCNU reconnait le bien fondé d’une politique de transparence sur les formations doctorales et approuve la publication des résultats obtenus par les doctorants et les écoles doctorales en terme de formation, il reste critique sur l’objectif de publication d’indicateurs d’insertion professionnelle sans les définir au préalable. Le bureau de la CP-CNU reste sceptique à l’idée de publier des résultats d’insertion professionnelle tant que le nombre de postes d’enseignants- chercheurs et de chercheurs est en forte diminution d’une part, et que le doctorat n’est toujours pas reconnu dans les conventions collectives d’autre part. Un grand nombre de docteurs ne pourront donc pas obtenir de postes à l’université ou dans des établissements de recherche et devront s’orienter temporairement ou définitivement vers d’autres activités professionnelles, parfois fort éloignées de la recherche ou de l’enseignement.

5 – Si on ne peut qu’être favorable au financement des doctorants durant la durée de la thèse, les thèses de doctorat financées semblent apparaître comme la seule situation tolérée. Alors que cette pratique s’est développée dans certaines écoles doctorales depuis quelques années, ce conditionnement économique à la préparation d’un diplôme universitaire et à l’accomplissement d’une recherche scientifique ne peut devenir la principale variable discriminante de l’entrée en doctorat. Il convient au contraire de préserver la liberté de s’inscrire en thèse pour les étudiants dont le niveau scientifique a été reconnu suffisant. La CP-CNU est néanmoins bien consciente de la situation de précarité économique de nombreux doctorants. Elle réclame instamment, depuis longtemps, une augmentation significative du nombre des contrats doctoraux et du nombre de bourses d’autres types (CIFRE, région, etc.). Elle demande aussi la prise en compte de la préparation d’une thèse de doctorat dans les procédures de formation continue, et dans le calcul des annuités pour la retraite,, mais également la prise en charge par les établissements, des frais engendrés par les docteurs pour la poursuite de leur doctorat comme la participation à des colloques, l’achat de matériels, etc.

6 - La limitation de la durée de thèse à 3 ans, sans aucune dérogation possible a tous les risques d’abaisser significativement le niveau des thèses. Dans un grand nombre de domaines scientifiques, en particulier dans les sciences humaines et sociales (SHS), mais également dans certaines sciences "dures", il est impossible de réaliser en 3 ans un travail approfondi, sur un terrain difficile, nécessitant la familiarisation avec un environnement social et culturel complexe, ou imposant l’apprentissage d’une langue, sauf à réduire de manière drastique les ambitions scientifiques des thèses et donc affecter la qualité du doctorat. Il est en effet difficile, voire impossible dans la majorité des disciplines, de publier dans des revues de grande qualité, pendant une thèse à durée réduite. Une thèse de doctorat est un travail de recherche de haut niveau qui peut parfois nécessiter une durée de 4 à 5 ans. La CP-CNU souligne enfin que l’arrêté ne fait aucunement référence aux congés de maladie, maternité, parental, dans le cadre du doctorat.

7 – L’arrêté soutient la formation à la pédagogie des doctorants en fonction de leur projet professionnel. C’est une bonne nouvelle. A cet égard, la CP-CNU demande que tous les doctorants contractuels qui le souhaitent, puissent bénéficier d’une mission complémentaire d’enseignement et d’une formation à la pédagogie (article 15).

Néanmoins, l’article 15 prévoit que des doctorants pourraient ne pas bénéficier d’une charge d’enseignement. La CP-CNU demande que tous les doctorants contractuels, dès lors qu’ils le souhaitent, puissent bénéficier d’une mission complémentaire d’enseignement, et d’une formation à la pédagogie, et que les autres doctorants aient la possibilité d’effectuer des vacations et d’acquérir une expérience pédagogique.

8 – La CP-CNU est en désaccord avec le principe selon lequel, dans les jurys de soutenance, le (la) directeur(trice) de thèse ne prend plus part aux discussions ni au vote, alors qu’il (elle) est le (la) mieux placé(e) pour connaître du travail du doctorant et du sujet. Il (elle) devrait a minima prendre part aux discussions en amont de la procédure de vote. La CPCNU souhaite d’ailleurs, plus généralement, que l’ensemble des encadrants (directeur, co-directeur) puissent participer au jury de soutenance.

(1) Article 6 : Le directeur de l’école doctorale est choisi parmi les professeurs et assimilés au sens des dispositions relatives à la désignation des membres du Conseil national des universités ou parmi les enseignants de rang équivalent qui ne dépendent pas du ministère chargé de l’enseignement supérieur ou parmi les personnels des établissements d’enseignement supérieur, des organismes publics de recherche et des fondations de recherche, habilités à diriger des recherches.

Article 18 : La moitié du jury au moins doit être composée de professeurs ou assimilés au sens des dispositions relatives à la désignation des membres du Conseil national des universités ou d’enseignants de rang équivalent qui ne dépendent pas du ministère chargé de l’enseignement supérieur.