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Comue, le grand foutoir parisien - Patrick Arnoux, Le nouvel economiste, 18 février 2016

mardi 15 mars 2016, par Tournesol, Pr.

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La dynamique des assemblages d’universités et de grandes écoles de la métropole encalminée par sept péchés capitaux.

Si l’on juge de la qualité d’un arbre à ses fruits, les piètres résultats apparents des Comue (Communautés d’universités et d’établissements) laissent songeur. Sans généralisation hâtive qui condamnerait quelques belles réussites en devenir comme celle de Paris Saclay, l’examen de quelques autres assemblages aussi hétéroclites que baroques a de quoi susciter la perplexité lorsque l’on se souvient des ambitions de la manœuvre : booster la notoriété et l’attractivité à l’internationale de structures trop modestes.

La salade niçoise est parfois réussie lorsque les ingrédients se complètent et fabriquent ensemble de la valeur, elle est parfois amère quand y figurent des éléments qui n’ont vraiment rien à faire ensemble.

La taille, la marque et l’agilité de la structure au service d’une stratégie transparente et affirmée sont les ingrédients indispensables pour y parvenir. Bâtir des universités pluridisciplinaires, confédérales à forte visibilité. À l’image de ce modèle anglo-saxon où une marque ombrelle abrite, tel Cambridge, des facultés dédiées à des disciplines d’excellence. À condition qu’un “grand architecte” ayant une bonne vision de ces ensembles assure la pertinence des réunions de disciplines, des complémentarités de compétences. Las, des assemblages de bric et de broc, des gouvernances ultra-plurielles donc floues, un antagonisme d’antan opposant universités et grandes écoles plombent singulièrement le vaste dessein initial. Analyse.

Au départ, vaste était l’ambition – aussi louable que courageuse – : donner une très forte visibilité dans le monde entier aux plus prestigieuses des universités et grandes écoles et doper ainsi leur attractivité. Le rayonnement de ces phares de la connaissance – 75 universités, plus de 600 grandes écoles – étant singulièrement bridé par la modestie de leur taille, comme l’électrochoc du classement de Shanghai en avait été le si cruel révélateur en 2003. Un vaste programme de fusions fut donc décidé pour la conquête de dimensions adéquates.

L’affaire, si complexe, n’avait pas si mal commencé. En 2006 furent ainsi mis en place la structure de ces “mariages pour quelques-uns”, les fameux pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) avec à la manœuvre Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Elle affirmait alors, en octobre 2009 dans ‘Le Monde’ vouloir “faire de Paris une des plus belles métropoles universitaires du monde”.

La capitale, au sens large de métropole, a de sérieux atouts. L’Ile-de-France est l’une des premières concentrations mondiales en matière d’enseignement supérieur : ses 17 universités et un grand nombre d’écoles d’ingénieurs, de commerce, de gestion, d’art, de santé… accueillent plus de 600 000 étudiants, le double qu’au début des années 70 . Certes, mais les accouchements de regroupements se font dans la douleur. Bataille d’ego, volonté de conserver autonomie et identité, gouvernance surabondante et des plus floues.

Bref, quelques années plus tard, après le changement politique auquel ces organismes sont si sensibles, en 2012 précisément, le constat de la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, n’est pas des plus flatteur : “Nous sommes des pastilles vues de Shanghai”. Et celle-ci d’appuyer sur l’accélérateur à regroupement avec sa loi du 22 juillet 2013, substituant aux PRES de nouveaux regroupements d’établissements sous la forme de Comue (Communauté d’universités et établissements), juridiquement une nouvelle catégorie d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP).

Edgar Faure avait supprimé les facultés

Pirouette de l’Histoire, près d’un demi-siècle après la loi Edgar Faure. Cette dernière, votée avec une belle unanimité par la droite et la gauche, avait supprimé les facultés, placées sous la marque ombrelle d’une vaste et massive université, la Sorbonne, démantelant ainsi un pantagruélesque ensemble devenu in-manœuvrable, surtout en mai 1968. Le ministre de l’Enseignement d’alors avait donc réussi un émiettement façon puzzle, avec de multiples campus autonomes – 13 – dédiés chacun à une discipline.

Alignement sur le standard anglo-saxon

Cette nouvelle architecture se réfère d’ailleurs à un modèle devenu mondial, le standard anglo-saxon, avec sous une prestigieuse marque ombrelle d’universités confédérales – Harvard, Cambridge, Oxford –, toute une série de facultés déclinant un choix de disciplines variées, maths, gestion, droit, littérature.

Mais si la course à la taille est certes une louable intention, elle ne suffit pas à donner aux nouveaux ensembles, sens et cohérence. Tout est en effet art d’exécution pour satisfaire quelques indispensables conditions : un pilotage puissant et centralisé qui respecte l’autonomie des participants, une indispensable complémentarité entre eux fabriquant de la valeur pour l’ensemble, une gouvernance agile et réactive, et surtout une animation de l’ensemble favorisant de fécondes synergies.

Bref, un assemblage réfléchi ayant vision et stratégie. Au lieu de cela, une série d’erreurs qui étonne les participants et responsables eux-mêmes. “On a créé les structures, puis on a dit aux universités : regroupez-vous. Cela ne peut marcher comme cela. Surtout que l’on a choisi une clé d’entrée territoriale pour structurer ces ensembles alors que l’on aurait dû, en priorité, choisir le critère de complémentarité” s’étonne encore Laurent Carraro, directeur général d’Arts et Métiers ParisTech et patron de la Comue heSam Université jusqu’à octobre dernier. La charrue avant les bœufs. Les regroupements se font donc faits au gré des affinités et des cooptations amicales sans beaucoup de considération pour une logique de coopération fructueuse. Bref, il a manqué un grand architecte ayant une vision ambitieuse des meilleurs attelages possibles. La sacro-sainte autonomie de ces structures ne l’aurait sans doute pas supporté.

De nouvelles marques à visibilité nulle

Aujourd’hui, quel étudiant, quel professeur, à Singapour, Rio, Shanghai ou Casablanca, connaît “heSam”, l’Université de recherche Paris Sciences et Lettres – PSL, “Sorbonne Paris Cité”, “Sorbonne Universités” ou “Université Paris Lumières” ? Et surtout, qui sait quelles sont les spécificités, les points forts de chacune de ces Comue franciliennes ? Les interroger sur leur stratégie serait une sacrée question piège. L’anecdote est savoureuse. Il y a quelques semaines, quelques brillants universitaires américains de la fondation Fullbright viennent à Paris pour un voyage d’études. On leur présente les patrons des Comue parisiennes qui, à tout de rôle, exposent les qualités de leur structure : “Sorbonne Universités”, “Sorbonne Paris Cité”, hautes études Sorbonne arts et métiers. Perplexité des Américains : “Sorbonne what ?”

Si tout cela n’était qu’une affaire de raisons sociales – bien que la dimension marketing soit essentielle –, on pourrait s’en amuser ; mais c’est sans compter avec quelques robustes péchés originels qui plombent singulièrement les perspectives de ces ensembles. C’est évidemment en région parisienne que les mises en cause furent au début les plus violentes. Les contestataires du côté de l’alma mater redoutant que les universitaires n’aient plus de droit de regard sur la formation et la recherche, craignant l’apparition d’une “strate supplémentaire au millefeuille déjà existant” et de “mastodontes” à plus de 100 000 étudiants. C’est bien le moindre des 7 péchés capitaux.

1/ Des assemblages hétéroclites et baroques au lieu d’ensembles complémentaires permettant de tisser des synergies. Bref, des regroupements ayant du sens, une logique, au service d’un projet commun partagé, au lieu de laisser s’agréger de façon aléatoire en fonction d’affinités locales des éléments disparates. En fait, il aurait fallu un grand architecte pour donner cohérence et finalité à ces ensembles parfois unis de bric et de broc. Afin de bâtir des ensembles ambitieux et vaincre les obstacles des personnalités si fortes, des identités jalousement préservés. Pas étonnant que certains assemblages ressemblent furieusement à un inventaire à la Prévert (voir l’éloquence de l’encadré). La poésie y gagne ce que perd l’efficacité académique.

2/ Une carence de stratégie commune partagée Conséquence logique de ce péché initial, le cap, la boussole même, sont le plus souvent peu évidents. Sans invoquer la fable de la carpe et du lapin, n’importe quel observateur s’interroge avec bon sens sur les éventuelles synergies entre tel et tel constituant. Question que se posent également discrètement certains participants. Surtout si l’on sait que les affinités ont déjà permis de tisser nombre de partenariats, et que l’une des meilleures universités parisienne, spécialisée en droit, Paris II, se tient volontairement à l’écart de tous ces clubs, comme l’a expliqué dans ‘Le Monde’ son président Guillaume Leyte : “pour moi, la Comue est une superstructure supplémentaire dont les effets seront délétères à tous points de vue. Trop lourde, elle sera peu représentative des enseignants-chercheurs et des personnels, et risque fort de ne représenter ni les établissements qui la composeront, ni les disciplines. Par ailleurs, le risque de surreprésentation des gros établissements est patent. Tout cela conduira à beaucoup de frustration pour tout le monde”.

Dans le même temps, les universités de Paris IV et Paris VI ont entamé des discussions pour une fusion. Tandis que nombre de ces structures se disputent jusqu’à la confusion, l’emblématique label à forte notoriété internationale, “Sorbonne”.

3/ Une couche administrative supplémentaire au rôle incertain Il y a quelques mois dans les colonnes du ‘Nouvel Économiste’, Bernard Belloc, qui fut président de l’Université de Toulouse I Capitole et conseiller de Nicolas Sarkozy pour l’enseignement supérieur, expliquait : “les regroupements actuels d’universités ne susciteront aucune capacité de coopération, aucune initiative d’innovation. Je le dis sans ambages, les regroupements des COMUE sont l’exemple même de couches administratives qui n’ajouteront rien, ne susciteront aucune capacité de coopération, aucune initiative d’innovation là où de toute façon, la volonté n’existait pas”.

4/ Des enjeux de pouvoir non résolus L’aiguillon de l’entente est dans la corbeille de mariée. Désormais, l’État ne versera plus ses subsides à chacun des établissements mais à leur pouvoir confédéral, en fonction d’un contrat de site signé avec ce dernier. Il définit la stratégie dans quelques domaines comme celui de la formation professionnelle et le développement à l’international. Ce qui certes le légitime, mais promet de rudes batailles entre les différents membres qui n’accepteront pas les péréquations.

5/ Une gouvernance rendant les ensembles difficilement pilotables Un conseil d’administration composé d’au moins la moitié de représentants de la communauté universitaire et un conseil académique où la même communauté est à nouveau représentée – une erreur dans la culture de gouvernance –, sans oublier des effectifs pléthoriques pour ces instances réunissant plusieurs dizaines de participants, ne rendent pas ces organes de décision très manœuvrables ni réactifs – 61 administrateurs répartis en 6 catégories par exemple pour Sorbonne Paris Cité. Ô démocratie universitaire, que de lourdeurs fabrique-t-on en ton nom !

6/ Des autonomies bien bousculées HEC, Centrale, Polytechnique, l’Insead s’affichent au niveau plus haut niveau mondial dans les classements les plus prestigieux, et leur bannière est reconnue sous toutes les latitudes. Alors la jouer en mineur pour se dissoudre dans une nouvelle raison sociale improbable est un virage stratégique périlleux. Ainsi, contrairement à ses engagements, HEC a toujours refusé d’accoler Paritech à sa marque. Va-t-elle, comme cela est prévu, y adjoindre Paris Saclay, dont certains responsables expliquent haut et fort que c’est demain la marque qui s’imposera en majeur ? Problème d’identité et de marketing. Le gouvernement a été obligé de nommer un médiateur lorsque les portes de l’heSam ont si bruyamment claqué. Cinq membres prestigieux ont quitté le projet.

7/ Les grandes écoles maltraitées La forte pression hégémonique des universités, imposant un petit rôle aux grandes écoles, vient des profondeurs historiques des rivalités idéologiques. Les premières ont de tout temps été de nobles fabriques de la connaissance, quand les secondes s’adaptaient au fur et à mesure aux dures exigences des marchés. Hiatus ontologiques. Conséquences : dans le meilleur des cas, les grandes écoles sont des associés, donc des membres de second ordre des Comue. En son temps (juin 2014), le président de la Conférence des grandes écoles Philippe Jamet s’était ému dans une lettre à la ministre, estimant que “l’élaboration des statuts de Comue consiste parfois, pour l’essentiel, à échafauder des organisations complexes”, au détriment de “l’efficacité et de la visibilité”, et poursuivant “la dynamique actuelle s’apparente à une régression”. Il est vrai qu’à l’époque, plus de la moitié des grandes écoles estimaient ne pas avoir été consultées dans le processus de regroupement. Depuis, les choses se sont un peu arrangées ; enfin jusqu’à la prochaine crise. Elle se profile assez bien avec le nouveau statut des grandes écoles consulaires qui va les assimiler à des entreprises privées. Or, une telle structure de droit privé adoptée par HEC en début d’année les condamne par les statuts des Comue à être simple associé, et non plus associé privilégié. Les portes du club se referment devant les membres les plus prestigieux.

Ces mariages au forceps font que les établissements membres semblent vouloir garder la plupart de leurs prérogatives, surtout lorsque les lobbys d’anciens veillent avec influence sur le futur de leur école. Et surtout lorsque la domination des poids lourds universitaires laisse peu de place aux grandes écoles, parfois un strapontin.

Le grand barnum des regroupements a dans de nombreux cas été drivé par des motivations territoriales, immobilières ou d’affinités électives entre universitaires. Au détriment d’ensembles constitués avec cohérence autour d’un projet partagés. Inutile de généraliser. Même si l’on sait bien qu’un écosystème qui fonctionne est constitué d’établissements en interaction, de tailles et de fonctions différentes qui créent un ensemble performant. Sans doute va-t-on assister encore à un certain nombre de reclassements et de recomposition de ces clubs dont les débuts sont si laborieux. Il est vrai que la manœuvre est complexe puisqu’il s’agit, ni plus, ni moins, d’un changement de modèle : faire basculer l’enseignement supérieur français d’un modèle pédagogique spécialisé en silo au standard mondial anglo-saxon des “universités” généralistes pluridisciplinaires de 15 000 étudiants déployant sous une très forte marque ombrelle des collèges dédiés à des disciplines (Harvard, Cambridge).


[rouge]Les 8 Comue franciliennes[/rouge]

Sorbonne Paris Cité
Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 - Université Paris Descartes - Université Paris Diderot - Université Paris 13 - EHESP - Inalco - IPGP - Sciences Po - CNRS - Ined - Inria - IRD

Sorbonne Universités
Université Pierre et Marie Curie - Université Paris-Sorbonne - Université de technologie de Compiègne - INSEAD - Muséum national d’Histoire naturelle - Centre international d’études pédagogiques - Pôle supérieur d’enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt - Centre national de la recherche scientifique (CNRS), lnstitut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria) - Institut de recherche pour le développement (IRD).

Université de recherche Paris Sciences et Lettres – PSL
Observatoire de Paris - Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris - Conservatoire national supérieur d’art dramatique - École nationale supérieure des arts décoratifs - École nationale supérieure des beaux-arts - La Fémis - Université Paris-Dauphine, Institut Louis Bachelier - Mines ParisTech - École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris - École nationale supérieure de chimie de Paris - Institut Curie.

heSam Université (hautes études Sorbonne arts et métiers)
Conservatoire national des arts et métiers, École du Louvre, École nationale d’administration, École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, Arts et Métiers ParisTech, École nationale supérieure de création industrielle, ESCP Europe, Institut national d’études démographiques - Institut national d’histoire de l’art - Institut national du patrimoine - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Université Paris Est
Centre national de la recherche scientifique - École des Ponts ParisTech - École nationale vétérinaire d’Alfort – l’ESIEE Paris - Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux - Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne - Université Paris-Est Marne-la-Vallée.

Université Paris Lumières
Université Paris-X - Université Paris-VIII - Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et 13 membres associés.

Université Paris-Saclay
Université Paris-Sud - Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines - Sciences Po Saint-Germain-en-Laye - AgroParisTech - CentraleSupélec - HEC- École polytechnique - École normale supérieure (ENS) de Cachan - École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA ParisTech)- ENSAE ParisTech - Institut Mines-Télécom : Télécom ParisTech et Télécom SudParis - Institut d’optique Graduate School - Polytech Paris-Sud- CNRS - CEA - Institut des hautes études scientifiques (IHES) - INRA- INRIA - ONERA- INSERM.

Université Paris Seine
Université de Cergy-Pontoise - Sciences Po Saint-Germain-en-Laye - ESSEC - Institut Polytechnique Grand Paris - École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy - École nationale supérieure d’architecture de Versailles - École nationale supérieure de paysage de Versailles - École de biologie industrielle - École d’électricité, de production et des méthodes industrielles - École pratique de service social - Institut libre d’éducation physique supérieur École d’ingénieur d’agro-développement international - Institut des techniques informatiques - Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire