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Discours d’Emmanuel Macron à l’INRIA sur l’ESR - 14 avril 2017

vendredi 19 mai 2017, par Andy Capp

L’Intersyndicale de l’INRIA a publié ce communiqué à l’occasion de la vision d’E. Macron à l’INRIA, le 14 avril 2017, quelques jours avant le premier tour de la présidentielle.

Madame la ministre, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les Présidents d’Universités, Mesdames et Messieurs les responsables d’organismes de recherche,

Merci en particulier à l’INRIA pour son accueil aujourd’hui et la visite que nous avons pu faire, j’y suis très sensible.

Mesdames et Messieurs les Professeurs, Mesdames et Messieurs,

Je voulais être avec vous aujourd’hui pour parler enseignement supérieur, recherche, innovation, et cela n’a rien d’innocent en cette fin de campagne.

Nous sommes un pays qui doute, nous sommes un pays que certaines et certains voudraient enfermer dans ses fractures, ramener dans le passé, laisser s’obséder par ce qui le divise, alors que nous ne parviendrons à véritablement le faire entrer dans le siècle qui vient, et à aller de l’avant qu’en reconnaissant la part que jouent la connaissance, la recherche, l’innovation, l’enseignement au cœur de la promesse de progrès qui est celle de la République.

Et donc le projet qui vous fait vivre, et qui anime vos passions, vos métiers, qui nous rassemble aujourd’hui, c’est aussi celui qui est au cœur du combat culturel que nous devons mener pour le pays.

Et c’est à ce niveau-là que je veux placer la discussion que nous avons aujourd’hui. Cela n’est pas une discussion sectorielle, ce n’est pas une case qu’on vient cocher aujourd’hui dans une campagne présidentielle. C’est la capacité collective que nous avons à reprojeter le pays vers son avenir, à lui redonner confiance en lui-même. Et en effet, quand on compte nos médailles Fields, quand on compte l’excellence de la recherche française, quand on compte les innovations et la réussite - et le système grenoblois en est une formidable illustration depuis des décennies -, on a de quoi être fier.

Et on a de quoi expliquer, montrer que nous sommes une terre de recherche, d’innovation, de transformation ; que nous sommes une terre d’excellence en matière d’enseignement ; que nous devons non seulement le rester, mais devenir mieux encore. Devenir la terre d’accueil des meilleurs chercheurs, la terre qui gardera ses meilleurs chercheurs et leur donnera les moyens de travailler, celle qui accueillera toutes celles et ceux qui se retrouvent dans nos valeurs et veulent réussir ici. La terre qui permettra la véritable émancipation dans notre société, qui est celle par le savoir, et qui est celle qui permet à tous nos jeunes d’accéder justement à celui-ci.

Cette bataille, on en a très peu parlé durant la campagne présidentielle qui s’achève. Elle est pourtant fondamentale si nous voulons réussir les prochaines années, parce qu’elle est au cœur de la place qu’on donnera à notre jeunesse dans le système d’enseignement supérieur et ensuite dans la vie professionnelle, dans notre capacité à garder une excellence en termes de recherche fondamentale, dans notre capacité à garder une excellence en termes d’innovation, de transfert technologique, et donc dans la création de l’industrie du futur, des services du futur, de la médecine du futur.

Et ce n’est pas un hasard si nous sommes à l’INRIA, chez Antoine PETIT, un établissement qui est au cœur de cet écosystème, qui collabore avec l’ensemble de ses partenaires universitaires, qui collabore aussi avec le CEA - merci à Stéphane SIEBERT d’être là avec nous - et qui a justement cette excellence de la recherche et de la recherche technologique chevillée au cœur de ses préoccupations. L’interaction entre universités et grands organismes, c’est une des clefs de l’excellence de la recherche française. Et je le dis en présence notamment, évidemment, d’Alain FUCHS, président du CNRS, qui a œuvré pour développer ces liens, les préserver et a su aller au bout de quelques réformes, sur lesquelles je reviendrai.

C’est aussi l’interaction entre notre recherche et les entreprises, qui est une clef de voûte de cette réussite. Et l’écosystème grenoblois, à ce titre, en est une formidable illustration, qui a permis, sortant des grands laboratoires historiques, de faire émerger des champions mondiaux de la technologie microélectronique et de bien d’autres secteurs, qui ont constitué, justement, cet essaimage et cette réussite collective. Ce triangle, si je puis dire, de l’invention et de la croissance : universités et grandes écoles et écoles d’ingénieurs, grands organismes de recherche et entreprises, ce que vous portez ici à Grenoble, c’est la clef de cette réussite. C’est sur ce triangle, en quelque sorte, que la bataille du progrès devra être conduite les prochaines années. Et c’est sur cela que je veux appuyer la stratégie que nous porterons. En refondant le pacte de confiance qui doit exister entre nos chercheurs, nos innovateurs et tous nos concitoyens. Et donc, c’est pour cela que je veux ici vous parler d’université et de recherche.

Et commencer par ce rappel, qui est aussi un appel à la communauté scientifique : n’oublions pas qu’en définitive, c’est aux acteurs de la science de montrer qu’elle est facteur de progrès humain. C’est pourquoi, fort de ce constat et de l’importance que le sujet du jour recouvre, en particulier dans le contexte qui est le nôtre, je veux commencer par souligner une priorité, la mobilité sociale dans et par l’enseignement supérieur. Nous venons de l’évoquer avec les acteurs de l’écosystème grenoblois à l’instant, et vous m’avez interpellé sur ce point.

Parlons clair : aujourd’hui, l’ascenseur social dans le supérieur, il fonctionne mal. Vous me le disiez, Madame la Présidente Lise DUMASY, à l’instant, c’est vrai que ce ne sont pas les élèves qui échouent dans le supérieur, c’est le système qui échoue à leur donner aujourd’hui une place, en tout cas en trop grand nombre. Parce que nos taux d’échec sont là pour le signifier, pour nous signifier nos propres insuffisances. Près de la moitié des étudiants de première année de licence ne franchissent pas le cap de la deuxième année, 30% seulement d’étudiants obtiennent leur diplôme de licence - générale ou professionnelle - en trois ans, c’est-à-dire sans redoubler ou sans renoncer.

Il faut mettre, il faut faire mettre un terme à cette sélection par l’échec parce que, de fait, les chiffres que je viens de rappeler montrent une chose : notre système universitaire, contrairement aux idées reçues, est très sélectif, mais il est très sélectif de manière très hypocrite, comme nous savons toujours très bien le faire en France, c’est-à-dire qu’on sélectionne les gens par défaut et par l’échec. On les sélectionne parce qu’on n’explique pas quelles sont les filières qui sont faites pour qui. On n’oriente pas, on ne guide pas suffisamment et on n’assume pas suffisamment une stratégie différenciée.

Plus largement, l’accès à l’enseignement supérieur est le facteur déterminant de la mobilité sociale. Quand on regarde les chiffres, ils sont à cet égard édifiants. D’un département à l’autre, les chances d’un enfant des classes populaires de devenir cadre varient du simple au double. Dans votre région, les chiffres sont plutôt bons, il y a de la mobilité. Parce que c’est une région où les jeunes, même issus des classes populaires, accèdent plutôt plus que dans la moyenne nationale à l’université.

Moi, je viens d’une région qu’on appelle maintenant les Hauts-de-France, je viens tout particulièrement de la Picardie, où ces résultats sont catastrophiques, parce que c’est une région où, quand on vient d’un milieu populaire, on va très peu à l’université, parce que, en quelque sorte, on a décrété que cela n’était pas fait pour les jeunes des milieux populaires. Et donc la capacité que nous avons collectivement à intégrer, à donner une place à chacun dans l’université et dans les formations du supérieur est à cet égard décisive pour gagner cette bataille de la mobilité sociale.

Pour cela, il faut que nos étudiants travaillent d’abord dans de meilleures conditions. Parce que le défi, il est simple, les chiffres sont déjà difficiles. Mais, Geneviève FIORASO me le rappelait tout à l’heure, c’est pour les années à venir, plus de 35 000 étudiants en plus que ce qu’on connaît chaque année, donc le défi va encore s’accroître dans les années qui viennent, et donc pour répondre à celui-ci et construire cette mobilité sociale dans et par le supérieur, on doit d’abord améliorer les conditions de nos étudiants, faciliter l’accès au logement.

C’est pour cela que dans le plan d’investissement que nous portons, dans le projet qui est le nôtre, nous construirons 60 000 logements pour les étudiants et 20 000 logements pour les jeunes actifs. Ces logements, ils seront accessibles sans dépôt de garantie, sans demande de caution et pour un bail non renouvelable. Nous mobiliserons aussi les bailleurs sociaux pour créer au sein du parc social des logements jeunes avec pour objectif 30 000 places supplémentaires.

Pour simplifier la vie des étudiants, nous confierons à la Caisse nationale d’assurance maladie la gestion du régime d’assurance maladie des étudiants. Là aussi, c’est une mesure de simplification, mais qui est essentielle pour leur quotidien. Parce que cela peut être un facteur d’inégalité entre nos étudiants face à la culture ou l’apprentissage, nous poursuivrons ce qui a été lancé, nous demanderons aux universités d’élargir les horaires d’ouverture de leurs bibliothèques, en soirée et le week-end, avec un accompagnement de l’État et un accompagnement budgétaire à due proportion. Tout cela est bien matériel, me direz-vous. Mais enfin, c’est le début de la bataille. Ensuite, il faut une offre universitaire qui corresponde aux besoins des jeunes. J’ai évoqué le gâchis, à l’instant, des premiers cycles où des étudiants désireux de développement professionnel échouent dans des filières générales qui ne correspondent pas à leurs aspirations. C’est pour y mettre fin que je souhaite créer 100 000 places supplémentaires dans de nouvelles filières courtes professionnalisantes. Cela participe d’une plus grande autonomie en termes de formation que je veux pour les universités. Cela veut aussi dire qu’on doit créer plus de variété dans les formations universitaires de premier cycle.

Il y a des jeunes qui aujourd’hui arrivent à entrer dans le système universitaire par les IUT. Je souhaite maintenir le modèle des IUT, continuer à le développer, au sein des universités - je veux rassurer tout le monde sur ce point - mais en même temps, je veux qu’on aille plus loin dans la capacité à créer des filières professionnalisantes. Pourquoi ? Parce que c’est la clé d’une plus grande autonomie de formation, parce que c’est la clé pour donner à des jeunes qui ne sont pas faits pour des filières purement académiques une place dans le supérieur, et c’est d’ailleurs comme cela qu’ils y réussiront, et c’est la clé pour développer vraiment dans notre pays l’apprentissage.

Pourquoi l’apprentissage est à l’arrêt ? Parce qu’on l’a cantonné à des filières très manuelles et très peu qualifiées ou qualifiantes. Il faut que l’apprentissage prenne aussi place dans l’université, dans des formations nouvelles que nous allons développer. Et donc, plus largement, il faudra développer les licences professionnelles sur trois ans, et en alternance, dès la première année, dans les universités. Il faudra développer les passerelles pour ceux qui, après un premier cycle professionnalisant, se découvriront la capacité de poursuivre des études longues.

Au fond, il faut décloisonner ce qu’on gère en silos, décloisonner ce qui est devenu dans notre pays une forme d’assignation à un parcours. Selon le milieu d’où on vient, selon le début d’études qu’on a eu - parfois ça commence à la fin du collège -, on est en quelque sorte dans une voie qui est déjà tracée. Notre système doit là-dessus s’ouvrir, être beaucoup plus innovant et correspondre à une plus grande mobilité des parcours.

Pour cela, même si la politique publique doit fixer les priorités, il faut davantage d’autonomie pédagogique dans nos universités. Ça veut dire une vraie autonomie pour créer des formations, pour développer des solutions sur le terrain, on en parlait à l’instant avec vous, Monsieur le Président Patrick LEVY, parce que c’est là que l’innovation se crée, c’est là que les besoins sont connus, c’est là que les demandes jaillissent, c’est là que l’écosystème est identifié. Et ça n’est pas depuis Paris, pour tout et de manière homogène, qu’on peut définir intelligemment une telle stratégie.

Pour réussir cela, l’information doit aussi donner les mêmes chances à tous. On doit mettre plus de transparence dans le système, et c’est la clé pour une bonne orientation. Aujourd’hui, si vous venez d’un milieu populaire, je vous défie de savoir vous repérer dans le monde de l’enseignement supérieur. C’est impossible. Vous pouvez aller sur le site Internet, moi j’ai fait l’expérience. Déjà, pour retrouver ce que vous voulez faire, par rapport à la dénomination des formations, il faut une certaine expertise.

La réalité, c’est que, comme il y a très peu de transparence, sur la réalité des filières, leurs résultats, leurs résultats académiques, leurs résultats en termes de débouchés, eh bien, ceux qui ont un réseau, ceux qui sont bien conseillés par la famille, ceux qui sont entourés, ils vont aller vers les bonnes formations. Mais ceux dont la famille n’est pas en capacité de donner des conseils sont beaucoup plus démunis. Et donc, pour ça, il faut remettre de l’orientation dans le système secondaire, donc beaucoup plus tôt, en remettant tous les trimestres, la présence - certains le font mais c’est très inégal - du post bac, des universités, des écoles d’ingénieurs, des branches professionnelles, dès la fin du collège, pour apprendre, éduquer, informer sur l’orientation.

Et il faut mettre beaucoup plus de transparence sur les débouchés en termes académiques et professionnels des différentes filières, dès le début du système universitaire. C’est pour ça que je souhaite que chaque établissement publie, en toute transparence, les taux de réussite et les débouchés de chaque formation. Pour celles et ceux qui connaissent bien les choses, ils me diront « normalement, ça existe déjà dans la loi ». Enfin, on ne l’a pas fait. On ne l’a pas fait, pourquoi ? Parce qu’on n’a pas voulu aller au bout d’une vraie politique partenariale avec les universités, avec les COMUES, pour en même temps, avantager, favoriser, y compris budgétairement, celles et ceux qui jouent le jeu.

Et donc, c’est cette politique-là que je veux mener, une vraie politique partenariale avec des incitations budgétaires pour celles et ceux qui s’engageront dans une telle politique. Pour cela, il faut mettre en place un système de prérequis qui donne à tous les étudiants les mêmes chances de réussite. Et donc, je souhaite pour cela que chaque université précise les prérequis de chaque formation.

Et il faudra par exemple avoir des notes minimales, par exemple en physique, pour s’inscrire à une licence de sciences à l’université, et ceux qui n’en disposeront pas pourront valider des modules complémentaires en préalable à leur inscription et il sera toujours possible de rattraper son retard. Mais il faut qu’on sorte d’une hypocrisie complète qui est de dire : avec n’importe quel baccalauréat, avec n’importe quelle formation, avec n’importe quelles notes préalables, on peut avoir accès à toutes les formations du supérieur. Ce n’est pas vrai parce que ce sont les mêmes jeunes que vous retrouvez abandonnés en L1 au bout de six mois ou d’un an. Et on perd des jeunes à leur dire “tout est possible, d’un seul coup”. Ce n’est pas vrai et donc là-dessus, il faut qu’on soit clair, comme on est clair sur les résultats, on est clair sur les prérequis.

Par contre, comme on multiplie les formations, comme on ouvre les formations, on recrée des passerelles et on permet de rattraper un retard qui un moment avait été accumulé si on veut se construire, justement, notre formation. Notre système est hypocrite au début, et très fermé tout au long du parcours. Il faut faire l’inverse. Il faut dire la vérité des prix à chaque moment, et ensuite il faut laisser des passerelles à toutes celles et ceux qui veulent se battre contre la fatalité et sont prêts à revenir à ce qui, à un moment, a été raté.

(applaudissements)

Merci pour cet enthousiasme !

Et dans cette logique modulaire, secondaire et supérieur ne devront plus être deux mondes étanches. Et c’est pourquoi la logique des prérequis, elle appelle une réforme du baccalauréat que j’assume totalement, avec quatre matières qui passeront en contrôle terminal et les autres en contrôle continu et avec les modalités que je viens d’évoquer.

Et enfin, pour réussir cela, il faut donner une place plus grande à la formation continue. Pourquoi ? Parce que, de la même façon que je parlais des passerelles au sortir du secondaire et au début de la vie universitaire, ces passerelles doivent continuer à exister tout au long de la vie. Et le cœur du projet que je porte, c’est un projet d’égalité des chances à tout moment. Parce qu’il y a eu des femmes et des hommes dans notre pays qui n’ont pas eu la formation initiale, qui se révèlent dans leur travail et veulent pouvoir continuer à progresser et changer. Parce qu’il y a des changements technologiques, des ruptures, qui viennent fragiliser nos vies professionnelles et font qu’à un moment donné, on se retrouve dans une impasse avec une formation qui ne correspond plus aux besoins.

Or notre système de formation professionnelle et continue, il est lui aussi totalement en silos. Si vous avez un CDI dans une branche qui marche bien, vous allez avoir une très bonne formation continue. Simplement, cela sera un peu moins bien si vous êtes dans une PME, beaucoup moins bien si vous êtes intérimaire, résolument moins bien si vous êtes chômeur. Ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui ont le moins d’accès à notre formation continue. Et au moment de grands changements, nous sommes dans une économie super-schumpéterienne : les changements sont rapides, brutaux avec des ajustements massifs.

Si on veut vraiment protéger nos concitoyens dans ce contexte, il ne faut pas protéger les emplois, il faut protéger les individus et il faut les armer en les reformant pour qu’ils puissent aller vers des secteurs d’avenir. C’est tout le défi de notre formation continue. Et donc, il faut qu’on se représente collectivement que, dans les années à venir, la formation continue va jouer un rôle aussi important que la formation initiale. Nous sommes sortis d’un monde où, à vingt-cinq ans, on a tout appris pour la vie. C’est terminé ! Parce que nous ne sommes plus dans un monde où pour toute la vie on vit dans la même entreprise, où forcément on travaille dans le même secteur. C’est terminé !

Et là-dessus, les universités et les organismes ont un rôle essentiel à jouer, parce que moi, je veux sortir la formation professionnelle d’un monde enfermé, statutaire, corporatiste, pour l’ouvrir. Et donc il sera évalué en fonction de ses résultats. Et tous les acteurs qui forment, devront pouvoir former des hommes et des femmes à tous les âges de la vie. Cette révolution, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche doit aussi le porter et en être un des acteurs.

Au-delà de ce sujet qui est pour moi le premier pilier de notre stratégie, il y a ensuite une responsabilité sociale qui est collectivement la nôtre. C’est que notre système d’enseignement supérieur et de recherche soit moteur de progrès pour la société. Et je le dis comme un élément essentiel. Quand je dis qu’on parle trop peu d’enseignement supérieur et de recherche, c’est qu’en même temps on sous-estime la place que l’enseignement supérieur, la recherche et tout l’écosystème que j’évoquais, jouent dans les changements que notre pays a à vivre.

Nous sommes au cœur d’une révolution : la révolution écologique et environnementale, la révolution numérique, la révolution de l’intelligence artificielle qui va avec elle, la révolution des sciences humaines qui sont profondément percutées par les changements de représentation collective que nous avons et les fractures que nous sommes en train de vivre, la révolution de la santé. Tous ces sujets ne pourront avancer si les acteurs politiques ne prennent pas en compte le fait que la communauté de l’enseignement supérieur et de recherche doit les éclairer.

On était tout à l’heure avec un véhicule autonome. On a une approche anecdotique de ce sujet, mais c’est un sujet éminemment politique, c’est un sujet éthique qui va consister à savoir où on place la responsabilité et qui à un moment le véhicule autonome décide d’écraser ou pas ? Qui sacrifie-t-il ? C’est un cas extrême, comme on le dit en sciences cognitives, mais il faudra se poser la question.

C’est une question qui ne peut pas être réglée par l’industrie. Et moi, je ne veux pas que cette question soit réglée demain par un acteur industriel ou un acteur du monde de l’assurance. Or, si nous voulons que cette question soit réglée par les représentants du peuple, c’est-à-dire qu’elle soit réglée politiquement, nous devons être sûrs que nous éclairons la totalité de la complexité de ces problèmes, du point de vue, justement, de la recherche, que nous nous mettons en capacité d’en connaître, je dirais, l’état le plus avancé et qu’en même temps, on décide d’éclairer cela avec une réflexion éthique qui est au cœur de notre stratégie. Et donc, cette responsabilité sociale que j’évoque, d’être les moteurs de progrès pour la société, c’est le rôle que toutes les disciplines vont jouer dans les prochaines années et que je veux qu’elles jouent. C’est pour moi, la responsabilité sociale des sciences.

Je veux aujourd’hui, en particulier dans un monde où la post-vérité - ce qu’on appelle des alternative facts qui jouent un rôle croissant, viennent polluer le débat démocratique -, qu’on remette, pour ne pas tomber dans un nouvel obscurantisme, la place de l’évidence scientifique, pour parler en bon franglais, la responsabilité des scientifiques et de la communauté scientifique, la place de la responsabilité éthique et qu’on remette les choses en bon ordre. Je veux qu’on ne tombe ni dans un hyper-relativisme, ni dans une espèce de conflit des interprétations qui serait capturée par des intérêts particuliers.

Face à la défiance montante, la science doit assumer sa responsabilité sociale. Et la communauté de la recherche doit s’ouvrir, échanger davantage, faire connaître ses recherches, écouter les critiques de nos concitoyens. Et à ce propos, je veux saluer, sans aucun jeu de mots ou référence inadaptée, la Marche pour les sciences, lancée à l’initiative de scientifiques américains, qui aura lieu le 22 avril prochain partout dans le monde et notamment en France. Moi, j’ai fait un appel à ces scientifiques pour dire qu’ils étaient les bienvenus en France parce que nous devons être la patrie qui porte cette vocation pour la science, cette vocation d’éclairer le débat public, d’éclairer le débat politique, d’irriguer nos débats de société. C’est pour cela que je vous dis, je regrette que la décision politique se soit bien trop souvent enclavée dans des débats de commentaires, mais aussi que la recherche et la science se soient parfois réfugiées dans l’académisme ou dans leurs propres secteurs.

Je veux qu’à nouveau, on puisse irriguer mutuellement ces mondes, parce que c’est le cœur d’une démocratie critique contemporaine où toutes les paroles ne se valent pas, où il y a une autorité qui se construit. Il y a une autorité politique, légitime en démocratie, et il y a une autorité de connaissance qui est liée aux diplômes, qui est liée à la connaissance, à la science. J’ai eu la chance d’accompagner quelques années Paul RICOEUR. Il m’avait raconté une formidable anecdote que je vous livre à ce sujet. Vous le savez peut-être, mais il était à la tête de Nanterre en 1968 au moment des événements. La vie étant inventive, son principal opposant était, à l’époque, était Dany COHN-BENDIT qui est devenu l’un de mes soutiens. Dany COHN-BENDIT et ses camarades lui disent : “Monsieur Ricoeur, qu’est-ce qui justifie que vous ayiez de l’autorité sur nous ?” Et Ricoeur a eu cette phrase qui lui ressemblait divinement. Il a dit “j’ai lu plus de livres”. C’est ça, l’autorité scientifique, académique. Elle se construit dans et par le savoir.

Mais au moment où nous nous parlons, c’est fondamental, ça veut dire une chose : c’est que toutes les paroles ne se valent pas. Et ça, nous devons aussi savoir le reconnaître, l’accepter. Ce n’est pas anti-démocratique, c’est juste anti-démagogique. Et moi, je veux qu’on redonne une place, dans nos débats publics, à la science et qu’elle joue à nouveau pleinement cette place dans les débats publics et politiques qui sont les nôtres. C’est pourquoi, si je suis élu président de la République, je veux que cet engagement soit porté au plus haut niveau. Et je mettrai donc en place un Conseil stratégique de la recherche, de la connaissance et de l’innovation qui sera directement rattaché au président de la République et dans lequel les principaux dirigeants d’organismes de recherche, d’universités, mais également des grands scientifiques de toutes les disciplines seront réunis une fois tous les six mois. Pas pour un discours ex cathedra comme je suis en train de vous le faire dans cette fin de campagne pour la présidence de la République. Je connais trop cette chorégraphie, elle n’apporte pas grand-chose, surtout aux premiers intéressés, mais pour une journée de vrais débats, de vraies confrontations et en capacité d’éclairer les problématiques contemporaines.

Ce sujet est celui qui, au-delà du caractère symbolique, permettra, je le crois très profondément, de transformer notre action publique et notre capacité de porter, collectivement, ce sujet de la connaissance et de la recherche au plus haut niveau. Et c’est le rôle, d’ailleurs, qu’aujourd’hui les uns et les autres vous menez, dans la santé, quand je regarde aujourd’hui le rôle qui est celui de l’INSERM et qui, à travers les projets que cet organisme porte, réussit à avancer en lien avec les CHU ou les Centres de lutte contre le cancer et réussit à transformer, là aussi, très profondément, la matière. C’est le même rôle que joue aujourd’hui la CEA dans la transformation de notre industrie et de la recherche technologique quel que soit le secteur. C’est le même rôle que jouent nos universités et nos organismes de recherche, en particulier le CNRS, en matière, par exemple, de recherche environnementale. Le même rôle que jouent nos universités et plusieurs organismes dans la transformation de nos sciences humaines et sociales, en particulier lorsqu’il s’agit aujourd’hui de lutter contre les phénomènes de radicalisation. Je veux que, collectivement, nous nous mettions en situation au plus haut niveau, de ré-éclairer le débat public, la transformation sociale par la connaissance, la recherche et l’innovation.

Le troisième pilier de cette stratégie que je veux ici vous exposer et porter auprès de vous, c’est évidemment celui qui concerne les institutions et les moyens. Mais il vient pour moi en service de ces missions fondamentales sociales que j’évoquais : la capacité à faire réussir notre jeunesse et la capacité à transformer la société et à éclairer ses choix. Le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche doit continuer à se transformer. Les institutions, c’est évidemment, la clé de la performance dans la durée. Historiquement, nous le savons, la France a construit des grandes institutions universitaires, à l’image un peu de ce qu’ont fait certains autres pays, mais avec une spécificité française : c’est qu’on s’est toujours méfié de l’Université. Ça a commencé avec François Ier et le Collège de France et ça ne s’est plus jamais démenti. Quand on voulait faire quelque chose de bien, on le faisait à côté de l’Université. Donc, ce traumatisme s’est perpétué à travers le temps, mais on a fait les organismes de recherche, les grandes écoles, les classes prépa aux grandes écoles. Il se trouve que ce système marche et c’est notre spécificité française. Ne cherchons pas à casser ce qui marche, ce qui revient à s’écraser sur des dogmes ou des modèles qui sont autres, ne retombons pas pour autant dans nos travers.

Le modèle de grandes universités doit aujourd’hui aller au bout de sa logique et réussir à gagner dans la concurrence internationale. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, le sujet n’est pas la concurrence qui existe entre Dijon et Grenoble. C’est de donner la capacité à Grenoble ou à toutes les grandes universités de France de réussir à l’échelle internationale et la vraie concurrence est avec d’autres. Mais de le faire sans casser ce qui existe et en travaillant intelligemment comme vous êtes en train de le faire aujourd’hui, avec les écoles d’ingénieurs, avec les organismes de recherche qui contribuent à un écosystème. Alors pour ce faire, je suis convaincu qu’on a besoin d’avancer vers plus d’autonomie. Et pour moi, plus d’autonomie, ça ne veut pas dire moins de moyens. Je veux être là-dessus très clair. Plus d’autonomie, c’est d’abord plus d’autonomie de recrutement. C’est-à-dire, plus de responsabilités pour nos universités. Pourquoi ? Parce que quand vous êtes une grande université, vous vous battez avec un système qui est hérité d’un autre âge.

Le CNU, je vous dis très franchement - alors je vais y revenir dans les détails parce que, vous savez, mon équipe m’a préparé un texte dont la subtilité mériterait que je le lise comme un entomologiste pour ne froisser personne, mais donc, comme je n’arrive pas à être convaincant en ânonnant des textes lus, je suis obligé d’être sincère et vous dire ce que je pense et donc, ce que je vais faire si je suis élu. Bon, le CNU, ça n’a jamais protégé contre les chapelles, le petit favoritisme et les combines. On va se parler franchement, ce n’est pas vrai. Le CNU, ça bloque la capacité de certaines grandes universités à recruter qui elles veulent, dans des conditions compétitives, quand il y a d’autres grandes universités qui, à l’autre bout du monde ou parfois à l’autre bout des Alpes, peuvent y arriver. Donc, il y a des grandes universités qui se battent dans la concurrence internationale, elles doivent pouvoir recruter hors du CNU. Parce que c’est ça, la réalité de leur quotidien, elles doivent pouvoir le faire, j’y suis favorable. Ensuite, l’avantage d’une procédure nationale et c’est ce qu’il fait, le CNU, c’est que ça protège la promotion de chercheurs, d’enseignants-chercheurs, qui sont parfois pris dans une université et qui peuvent être martyrisés par une tutelle qui est injuste. C’est ça. Dans ce cas-là, il faut que la procédure du CNU, en tout cas, que ce rôle d’évaluation, continue à durer.

Plus largement, nous savons que nous avons tous un gros problème avec l’évaluation. Nous avons un système d’évaluation qui est à la fois trop lourd et qui est sans effet réel. Je le dis très franchement, l’évaluation doit être indépendante, elle ne doit pas être un couperet unique parce qu’il faut garantir la capacité à mener des projets longs pour des enseignants-chercheurs mais nous avons besoin de mettre plus d’évaluation dans notre système - l’évaluation des chercheurs, enseignants-chercheurs et professeurs - et de mettre de l’évaluation des structures. Simplement, avec l’évaluation, on doit avoir un système de recrutement et de promotion cohérent et un système de dotation cohérent. Parce que l’évaluation sans moyen ou l’évaluation sans promotion, ça n’a jamais rien donné. Donc c’est ça que nous allons construire ensemble, pour le dire en des termes très simples, et peut-être un peu moins précautionneux que ceux qu’on avait prévu de dire. Donc voilà !

Je suis pour que les universités qui sont dans la compétition internationale et qui le souhaitent puissent recruter hors CNU et je suis pour qu’on ait des garde-fous. Qu’est-ce que l’on fera ? On regardera s’il n’y a pas des universités qui sont déviantes. On évaluera a posteriori ce qui est fait. Moi, je suis beaucoup plus pour une évaluation a posteriori qu’a priori - parce que c’est ça, la clé de la confiance - ou un blocage a priori, et ensuite les universités qui le souhaitent pourront recourir donc au recrutement de droit commun et à la procédure CNU.

Ensuite, je souhaite qu’il y ait plus d’autonomie pédagogique et de formation, c’est ce que j’évoquais tout à l’heure rapidement. On doit aller au bout de cette logique, permettre à des universités d’ouvrir les formations qu’elles souhaitent, d’être plus innovantes sur le terrain, là aussi avant un contrôle a posteriori mais laisser des universités s’organiser, ouvrir des formations et le faire différemment.

A ce titre, sous l’influence d’un ancien étudiant localement bien connu et très impliqué dans les sujets médicaux, je voudrais en effet redire que sur la question du numerus clausus en médecine, je partage totalement donc je vais le dire clairement. On a laissé s’installer un système absurde, celui du numerus clausus, qui exclut précocement 85% d’étudiants excellents et motivés et conduit à l’expatriation dans des pays voisins puis ensuite à l’embauche de médecins formés à l’étranger pour combler nos propres pénuries. Donc nous sommes relativement shadokiens, en la matière. Je propose assez directement que l’on mette fin à ce système qui ne marche pas et que l’on puisse examiner avec les différentes parties prenantes comment concilier l’objectif de formation, de qualité, de régulation de l’offre. Il se trouve que l’histoire récente nous a appris que ce n’est pas parce que l’on réduisait le nombre de médecins que l’on arrivait à réduire le nombre de pathologies ou de patients. Ça n’a pas marché, ne poursuivons pas cette voie. Donc, je propose de supprimer le numerus clausus et d’aller vers quelque chose de plus pragmatique.

Pour aller au bout de cette logique, donc donner de l’autonomie de recrutement, de formation, de l’autonomie pédagogique, il faut aussi améliorer la gouvernance de nos universités. Et là-dessus, je vous le dis, je suis tout à fait favorable à ce que l’on construise de nouveaux modèles de gouvernance. Ces nouveaux modèles, ils pourront être mis en place à l’initiative des acteurs eux-mêmes et assureront une plus grande souplesse – je vous lis ce qu’on m’a mis – dans la composition des instances dirigeantes et dans les modalités d’organisation interne. Alors initialement, je n’ai pas compris cette phrase. En gros, ça veut dire que... Moi, la relation que je veux instaurer avec vous, c’est plutôt une relation de clarté, pour qu’on puisse agir efficacement. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que je suis favorable à ce que localement, quand c’est porté, il puisse y avoir l’organisation ad hoc qui soit retenue, type grands établissements. L’organisation qui permet d’être mobile, qui permet d’avoir une activité la plus réaliste possible, de s’adapter à l’écosystème et d’être pragmatique. Donc, je ne suis pas pour un modèle unique en termes d’organisation de nos universités, je suis pour qu’elles puissent associer à leur gouvernance les partenaires. Qu’elles puissent associer toutes celles et ceux qui sont pertinents pour avoir une action efficace. Donc, je suis pour plus d’autonomie, je suis pour une gouvernance plus simple qui soit portée par les acteurs de terrain et qui ne soit pas imposée par un modèle unique d’en haut.

Le recrutement des dirigeants des organismes de recherche et des grandes universités devra là-dessus suivre des normes internationales et là, je suis favorable à ce qu’on continue à regarder les projets avec des vrais comités de sélection mais je le dis devant deux dirigeants d’organismes de recherche, trois dont j’ai pu apprécier en tant que ministre la qualité du travail et dont je sais la qualité de la vision. Donc je n’ai pas le sentiment que le cœur du problème que nous ayons soit dans la nomination de dirigeants d’organismes de recherche dans ce pays.

Dans le contexte de la mondialisation de la science, il nous faut donc, armés de tout cela, et de toutes ces innovations, un paysage universitaire qui soit mieux structuré parce qu’il y a une mondialisation de la science qui est là, qui va vite, qui redéfinit les rôles et qui a des conséquences. Un mouvement d’ouverture, d’internationalisation de notre enseignement supérieur et de notre recherche. Et donc, celui-là, on doit continuer à l’accompagner et à le faire, parce que la réalité de vos activités au quotidien, c’est que cela se joue à l’international.

Et donc, il y a eu plusieurs évolutions fortes engagées depuis dix ans, en particulier avec les initiatives d’excellence qui ont permis, là aussi, un mouvement du système universitaire et de recherche. Il l’a parfois complexifié et donc moi, je souhaite qu’on poursuive cette accélération de l’internationalisation, de la différenciation et qui permette de mettre nos organismes de recherche, nos universités, nos écosystèmes de recherche et d’enseignement supérieur, à jeu égal avec leurs concurrents dans la compétition internationale.

Mais qu’on le fasse, un, de manière beaucoup plus simple - on supprimera les superstructures qu’on a rajoutées ces dernières années - et deux, qu’on le fasse en associant pleinement le ministère, parce que je vous le dis très franchement, je ne suis pas pour que ce soit une forme de politique hors-sol, je suis favorable aux appels à projets, je suis favorable à ce qu’on ait une politique volontariste, mais je pense qu’on peut en simplifier les modalités et permettre d’avoir une stratégie unifiée qui est portée par la personne en charge de la stratégie d’enseignement supérieur et de la recherche. Pour être très clair, je veux aussi que, dans le cadre de ces appels à projets, dans le cadre justement de ces différents projets qui ont conduit à cette transformation, ce soient bien les coûts complets des projets qui soient pris en compte et qui soient pris en charge et qu’on ne se retrouve pas avec des structures qui perdent de l’argent quand elles gagnent des appels à projets ou que leur excellence est justement récompensée.

Ce qui est en train d’émerger, au fond, et qui va se conforter dans les cinq, dix prochaines années, c’est un réseau de dix à quinze universités de recherche de classe mondiale, internationalisées et fortement articulées avec les organismes de recherche. Ensuite, un réseau d’universités qui valorisent leur excellence spécifique dans les domaines de formation et de recherche où elles choisissent justement de s’investir. Et donc, il y a une diversité d’excellence en France, tout n’est pas pareil, tout ne peut pas être confondu. Et c’est d’ailleurs ce qui fait notre force. Et il faut pour cela encourager la constitution d’universités nouvelles à partir du rapprochement, justement, entre universités et grandes écoles avec la collaboration des organismes de recherche.

C’est ce mouvement qui a été lancé par quelques universités pionnières. C’est ce mouvement dans lequel Grenoble s’inscrit et qui doit se poursuivre, mais on doit là aussi avoir une politique qui est adaptée à la réalité du terrain, qui est adaptée aux dynamiques, et aux dynamiques d’excellence qui sont plurielles et multiples. Et c’est dans ce contexte qu’il faudra, le moment venu, faire le bilan, d’ailleurs, des communautés d’universités et d’établissements, Monsieur le Président LEVY, pour voir lesquels de ces regroupements ont enclenché une dynamique, c’est sans doute encore trop tôt pour le faire mais il faut avoir un processus très pragmatique. Il y en a qui sont en train de marcher et qu’il faut donc pérenniser, il faut peut-être même aller au bout, leur donner plus de moyens et réussir à transformer l’essai. Il y en a peut-être qui ne marchent pas et là, il faudra en tirer les conséquences. Mais je veux que l’on soit très pragmatique, en la matière.

Les grands organismes sont déjà très ouverts, pour leur part, à l’accueil des chercheurs étrangers, on l’a vu tout à l’heure avec les chiffres médusants de l’INRIA. Il faut aussi que nos universités s’inscrivent davantage dans ce mouvement et s’ouvrent de plus en plus aux chercheurs étrangers parce que je souhaite que, dans cette stratégie que je viens d’évoquer, nous soyons une terre d’excellence en matière d’accueil. Et pour moi, il n’y a pas de concurrence de l’excellence. Quand j’ai fait un appel aux meilleurs chercheurs internationaux en matière, justement, de transition énergétique et en particulier des chercheurs américains, j’ai des chercheurs français qui ont dit « déjà, occupez-vous des chercheurs français ». Non ! Je veux m’occuper des chercheurs français, mais je veux que l’on ait les meilleurs. Si on a les meilleurs français, que l’on sait les garder en leur donnant vraiment les moyens de travailler, en ayant un vrai écosystème d’enseignants-chercheurs - ce triangle que j’évoquais -, on attirera les meilleurs.

Si on attire les meilleurs étrangers - on voyait, tout à l’heure, dans vos laboratoires, un monsieur qui vient de Boston-, on est sûr de garder les meilleurs français. Donc, c’est une compétition créatrice d’effets positifs. Et donc là-dessus, on doit être très ambitieux et moi, j’en ai assez que pour notre enseignement supérieur et notre recherche, on ait des petites ambitions. Alors, ce n’est pas qu’une question de moyens, c’est une question de reconnaissance, d’organisation, de simplification, de pragmatisme. On doit avoir de grandes ambitions pour avoir de grands résultats.

On doit avoir de grandes ambitions pour attirer les grands talents et je veux que les jeunes qui entrent dans le secteur, ils n’aient pas, chevillée au corps, dès le début, une forme d’esprit de défaite ou de gestion au quotidien, ils doivent avoir envie de faire de très grandes choses. C’est fondamental parce que ce que vous faites au quotidien, c’est avant tout une transformation culturelle, c’est avant tout un travail qui consiste à voir haut et grand, et c’est donc cela que nous allons porter. Et pour ce faire, j’allègerai les procédures et réduirai les délais d’obtention des visas « talents ».

Enfin, il nous faut des institutions et des organismes qui soient plus efficaces pour encourager l’innovation et donc pour ça, il faut renforcer encore l’articulation entre les universités, les organismes dont la mission est de participer à la politique scientifique de la Nation et l’Agence nationale de la recherche dont la mission est de promouvoir l’excellence. En la matière, quelle est la difficulté actuelle ? On le sait bien, et je vais aller droit au but, c’est qu’on a paupérisé l’ANR, il faut être très clair, on a créé le CGI à côté et on a plutôt serré les budgets des organismes et des universités. C’est très difficile d’avoir une politique cohérente quand on serre partout. Donc moi, je veux simplifier le paysage tout en continuant la dynamique d’innovation et de transformation. Doit-on avoir durablement le CGI et l’ANR, au risque d’une concurrence des appels à projets et d’un ministère qui gère la paupérisation de ses propres structures ?

Donc, je veux simplifier ce paysage. On aura une stratégie claire, définie dès le début, avec des appels à projets portés par un acteur unique, avec un vrai pilotage politique, des jurys indépendants qui jugent l’excellence académique mais, derrière, une vraie stratégie, une simplicité des financements et des structures. Et je crois dans l’ANR, dans ce que cette agence porte, elle ne doit pas se substituer au budget de fonctionnement et au budget récurrent des universités ou des organismes mais elle doit permettre de porter des projets sur les priorités de recherche, elle doit permettre de développer des financements partenariaux, et c’est dans cette logique que je veux remettre le système en marche, de manière claire. C’est aussi d’ailleurs dans cette logique que je prendrai des arbitrages clairs sur les grands écosystèmes d’innovation et de recherche, le vôtre mais aussi Saclay qui a besoin de beaucoup de simplification pour pouvoir être plus efficace, parce qu’il y a tous les instruments pour y réussir.

Enfin, il nous faut un système pour l’enseignement, la recherche et l’innovation, je vous ai parlé d’institutions et vous pensez sans doute “moyens”. La question va évidemment au-delà. Sur les moyens, je souhaite être très clair : je souhaite mettre, dès le début du quinquennat, une stratégie quinquennale claire en place, je vais mettre fin à la régulation annuelle budgétaire qui conduit au rabot, c’est cela qui fait ensuite que des universités subissent des mesures totalement incompréhensibles type le gel du GVT qu’on expliquait tout à l’heure, c’est un peu technique mais enfin ça n’en reste pas moins consternant. Et ça ne récompense pas la vraie transformation, donc la réforme que je veux conduire, c’est de simplifier les structures, faire des économies par les rapprochements partout où c’est possible, faire des économies en tirant les conséquences de l’autonomie des établissements et donc en réduisant la place du ministère et des services centraux.

On ne peut pas garder la même structure au niveau des services centraux quand on donne plus d’autonomie sur le terrain, d’abord parce que ce n’est pas cohérent et ensuite parce que les gens qui sont formés pour faire du contrôle a priori, vous ne pouvez pas leur demander de faire du contrôle a posteriori. Et donc ils feront tout au quotidien pour faire que l’autonomie ne marche pas. Et il n’y a rien de personnel dans cette affaire, c’est anthropologique, si je puis dire. Et donc, il faut faire des gains de structure, simplifier notre organisation collective et, en même temps, avoir une vraie visibilité budgétaire sur cinq ans.

Il y aura des efforts à faire mais il faut donner de la visibilité avec de vrais contrats partenariaux, avec une vraie stratégie partagée qui permet de les faire, mais qui ne porte pas le rabot. Par contre, je souhaite que sur le fonctionnement, on stabilise les choses et que justement les projets, les projets technologiques puissent venir en plus de ces budgets de fonctionnement pour ou récompenser l’excellence type IDEX, ou récompenser des projets types sur telle ou telle priorité mais viennent en plus, et pas en substitution comme c’est trop souvent le cas.

Enfin, pour conclure, un dernier mot sur l’Europe, avant de filer comme un voleur parce que je crois qu’un train nous attend et je vais devoir partir. Mais je ne veux pas finir sans un mot pour conclure sur l’Europe, parce que je crois dans l’Europe. Sur ce sujet, j’ai très peu de concurrence dans cette campagne présidentielle, parce que je crois dans l’Europe vraiment, c’est-à-dire y compris dans les contraintes que nous nous sommes mises nous-mêmes avec l’Europe mais qui font que quand on est marié, il y a des droits et des devoirs réciproques, donc, aimer l’Europe sans aucune contrainte, c’est au fond ne pas l’aimer vraiment, c’est s’aimer soi-même ou aimer l’idée que l’on se fait de l’Europe.

Donc j’aime l’Europe, je veux la défendre et je veux qu’on la renforce en matière, justement, de recherche. D’abord parce qu’on a une exceptionnelle densité d’institutions, la circulation des étudiants et des chercheurs est là, on doit encore la renforcer et l’améliorer. On a des synergies très fortes à exploiter et un budget qui fait une large part à la recherche, dans la stratégie européenne. Alors il y a des succès tels que l’ERC, on l’a vu tout à l’heure d’ailleurs pour les lauréats qui sont les vôtres. Nous venons de fêter ses dix ans, il faut le valoriser, il faut – au moment où l’on instruit le procès de l’Europe – montrer ses réussites, le dire et continuer à être très présents dans ces structures. Et moi, je suis convaincu que nous devons renforcer la solidarité de cette communauté scientifique et de recherche européenne.

Le Brexit nous a montré d’ailleurs la force de cette communauté et moi, je veux que l’on soit une terre d’accueil pour les chercheurs britanniques. Vous avez entendu les appels du pied. Au moment du Brexit, les premiers à réagir, ça a été les chercheurs, les enseignants chercheurs, le monde de l’excellence parce qu’ils savent ce que l’Europe représente pour eux. Et donc, accueillons-les mais en même temps, continuons à développer l’ERC. Il y a aussi les lourdeurs administratives, on le sait. Je ne parlerai pas, par décence, des PCRD [Programme-cadre de recherche et de développement , note d SLU] et du temps qu’ils peuvent vous prendre pour remplir les dossiers, donc là, on doit se battre pour simplifier, il y a un vrai travail de dé-bureaucratisation de l’Europe mais cette bureaucratisation s’est faite parce que l’on a accepté l’affaiblissement du leadership politique, parce que l’on a accepté que l’Europe n’était plus tenue par des projets et un vrai volontarisme. Et je le remettrai au cœur pour ce qui est de la recherche et ce qui est du numérique. Parce que pour moi aussi, l’un des sujets aussi fondamentaux, c’est, en matière de numérique, d’avoir une vraie stratégie publique et privée au niveau européen, parce que c’est l’échelle critique à la fois pour la connaissance, pour la recherche et pour le développement technologique et économique.

Et par-delà l’Europe, la France doit reprendre toute sa place dans la circulation mondiale des chercheurs et des étudiants, et je le dis, le rétrécissement, le renfermement que certains ou certaines portent n’apportera rien. Au contraire, nous avons besoin d’une recherche triomphante qui exporte aussi ses talents, sait rayonner, sait porter sa créativité, sait gagner dans la compétition internationale et c’est pour cela que je veux que l’on généralise progressivement le programme Erasmus avec un objectif de 200 000 jeunes Français par an. C’est-à-dire 25% d’une classe d’âge effectuant au moins un semestre à l’étranger et je veux que l’on développe davantage le cadre des échanges avec les pays méditerranéens et africains en particulier.

Je veux, vous l’avez compris, que nous soyons, sur tous ces sujets, que nous soyons une grande Nation scientifique et cet objectif, on l’a eu à un moment. Je sais que beaucoup sur le terrain et beaucoup dans leurs fonctions l’ont porté, beaucoup, dans les villes et sur les territoires, l’ont porté et le portent. La transformation de notre pays, elle se fera aussi par là.

Et pour conclure en un mot, j’attends énormément du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’attends qu’on arrive collectivement à donner une place à nos jeunes, j’attends collectivement que nous arrivions à transformer les débats de société pour remettre de la raison, à l’heure des peurs et de l’obscurantisme, j’attends que nous arrivions à porter cette excellence scientifique au cœur de la transformation de notre société, qu’il s’agisse du savoir, comme de l’industrie et des services. Je veux et je ferai tout pour que nous redevenions la Nation de l’excellence scientifique, du savoir et de la connaissance parce qu’il en va, justement, de ce que nous sommes mais surtout il en va de ce que nous pouvons devenir.

Et donc vous l’avez compris, la semaine qui vient, la dernière avant ce premier tour de la présidentielle, je la porterai sous ces auspices. Celle à la fois d’un optimisme volontaire et celle aussi de croire farouchement dans la raison et dans la connaissance. Parce qu’aujourd’hui, nous sommes plongés dans un choix simple : décider l’obscurantisme et le repli, décider le retour en arrière - la paille de fer et le désamour de l’avenir - ou dire que l’avenir, c’est un rêve impossible dont on sait déjà qu’il a produit des monstres par le passé. Mais non, il y a un avenir raisonnable, il y a un avenir lucide. Il passe par une vraie politique en matière de connaissance, en matière scientifique et d’éducation, et c’est celle que je veux conduire avec vous.

Merci pour votre attention. Merci beaucoup. Merci à vous !