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Entrées en licence et « niveaux » des étudiants, une longue histoire... - Claude Lelièvre, Blog : Histoire et politique scolaire, le Club de Médiapat, 9 février 2018

vendredi 9 février 2018, par Victoria Serge

Les nouvelles modalités qui se mettent en place (et qui seront plus ou moins ’’rigoureuses’’ selon les ’’attendus’’ effectifs des universitaires concernés) se nourrissent du sentiment de ’’niveaux insuffisants’’ et de l’opportunité d’y porter remède par une orientation ’’ailleurs’’ ou par une ’’remédiation’’ préalable.

On met en particulier en avant les’’ taux d’échecs’’ en licence (qui sont en fait moindre que ce qui est souvent avancé, car il y a beaucoup de ’’réorientations’’), le nombre d’années passées pour obtenir une licence (qui excède souvent les trois années ’’normales’’) et des déficiences graves dans l’expression écrite (cf l’article du « Monde » du 7 février : «  alors que les universités dévoilent leurs ’’attendus’’, des enseignants alertent sur les lacunes des étudiants  » : « Quand je dois quasiment faire un cours d’alphabétisation, je sens bien que je n’ai pas les outils »).

Il se peut que cela se soit aggravé avec le temps ; mais il faut savoir aussi ( pour éviter de tomber si possible dans des crispations plus ou moins régressives et/ou excessives) que tout cela a déjà été ’’vécu’’ et proclamé dans le passé (et même un passé fort lointain).

Gaffarel, doyen de la faculté des lettres de Clermont (1881).« Nous voudrions simplement rappeler aux candidats que la faculté désirerait ne plus avoir à corriger des fautes de français aussi nombreuses que stupéfiantes. Elle désire aussi que les aspirants ne fassent pas prononcer par Bossuet ses oraisons funèbres à la cour de Henri IV, ni prêcher la première croisade par Claude Bernard »

Albert Duruy, « L’Instruction publique et la démocratie » (1886).«  L’orthographe des étudiants en lettres est devenue si défectueuse que la Sorbonne s’est vue réduite à demander la création d’une nouvelle maîtrise de conférences, dont le titulaire aurait pour principale occupation de corriger les devoirs de français des étudiants de la faculté de lettres »

Noël Deska, « Un gâchis qui défie les réformes : l’enseignement secondaire » (1956) : « La décadence est réelle, elle n’est pas une chimère : il est banal de trouver vingt fautes d’orthographe dans une même dissertation littéraire des classes terminales. Le désarroi de l’école ne date réellement que de la IV° République »

Par ailleurs, cela fait très longtemps qu’il arrive que des licences soient obtenues en beaucoup d’années. Par exemple, il y a plus d’un demi-siècle, « Le Monde » s’en faisait déjà l’écho « Les résultats aux examens des trois dernières années montrent qu’à Paris 23% seulement des étudiants en lettres arrivent à obtenir leur licence trois ans après le baccalauréat [dont le taux de réussite ne dépassait pas alors 60% des présentés ]. 35% d’entre eux obtiennent leur licence en quatre ans, 22% en cinq ans et 10% en six ans » ( « Le Monde » du 6 octobre 1959 )

Et pourtant, quelques années après la Libération, une année de « propédeutique » avait été créée, en sciences (1947) et en lettres (1948). Elle était suivie de deux années de licence. L’année de propédeutique avait été instituée pour permettre aux étudiants de s’adapter aux méthodes du supérieur et de choisir leur discipline. Mais leur encadrement effectif en ce sens laissait à désirer...

Quelques années plus tard, en novembre 1967, le ministre de l’Education nationale Alain Peyrefitte se montre très préoccupé par les résultats en licence des universités françaises comparés, par exemple, à ceux de Grande Bretagne : avec deux fois plus d’étudiants, il y aurait deux fois moins de diplômés : «  Tout se passe comme si l’université organisait un naufrage pour repérer les nageurs qui échapperont à la noyade  ».

Le Conseil des ministres du 24 avril 1968 traite des mesures envisagées pour « contrôler et normaliser la croissance des effectifs des étudiants : pas de sélection malthusienne, mais orientation, grâce à la diversification des voies  ». « L’inscription automatique interviendra, dans la voie choisie, pour la moitié environ ou les deux tiers des bacheliers, soit : ceux qui ont obtenu une mention ; plus ceux qui ont obtenu 12 sur 20 dans les disciplines fondamentales de la voie choisie. Pour les autres, le droit à l’inscription ne sera pas automatique. Le bachelier pourra se porter simultanément candidat à plusieurs établissements. Les candidatures seront examinées, sur présentation du dossier scolaire, par des jurys d’établissement, lesquels pourront accepter ou refuser l’admission. Le gouvernement prendra des dispositions pour que l’ensemble des enseignements supérieurs diversifiés permette d’absorber la totalité des bacheliers désireux de poursuivre leurs études ».

Son examen est inscrit au programme de l’Assemblée nationale pour les 14, 15 et 16 mai. Mais les événements de Mai 68 (et ce projet n’a pas été pour rien dans la mobilisation étudiante et lycéenne) empêcheront l’ouverture des débats et leur conclusion. La loi d’orientation promulguée le 12 novembre 1968 afin de refonder les universités après la tempête de ’’Mai 68’’ ne reprend pas le projet, le Général de Gaulle ayant accepté une nette modification dans la façon de penser l’orientation sélective à l’Université. Et il soutient son ministre Edgar Faure face à certains membres de sa majorité gaulliste qui, en juillet 1968, voulaient reposer le principe d’une sélection administrative rigoureuse.’’ Mai 68’’, un bon anniversaire ?