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CAP 2022 préconise de réformer le statut des enseignants - Faïza Zerouala, Médiapart, 30 juillet 2018

lundi 30 juillet 2018, par Laurence

Tellement disruptives ces propositions : responsabiliser les établissements,
créer un nouveau corps d’enseignants […] soumis à des obligations supplémentaires (bivalence, annualisation d’une partie du temps d’enseignement, obligation de remplacement dans l’intérêt du service ; avancer le concours, dès la fin de la licence ; permettre une remontée des élèves français dans les évaluations internationales en réalisant au passage 300 millions d’euros d’économies (ah ah !) ;
à l’université : offrir plus de « souplesse » dans la gestion des ressources humaines des chercheurs et des enseignants-chercheurs, privatiser des facultés, augmenter les frais d’inscription…
new public management ? tout y est.


Le rapport consacre deux chapitres à l’éducation. Les préconisations du comité sont claires : introduire plus de souplesse et de flexibilité dans le domaine éducatif, de l’école à l’université.

Pour lire cet article sur le site de Médiapart

La technique est connue. Pour imposer une réforme potentiellement explosive, il suffit de laisser fuiter quelques propositions, voir comment les concernés les accueillent puis aviser. Le rapport « Comité d’action publique 2022 » (CAP 2022) n’échappe pas à la règle. En matière d’éducation, l’un des chantiers cajolés par le gouvernement, l’orientation est clairement libérale. Si ces propositions venaient à se concrétiser, l’accueil des principaux syndicats serait bien frais tant cela modifierait la philosophie qui irrigue l’école et l’université françaises.

La publication de ce rapport a été jalonnée de reports. Il devait paraître au printemps puis au début de l’été. Il a ensuite été question de l’enterrer au fond d’un tiroir. Le gouvernement a alors fait savoir que le contenu de celui-ci ne serait pas repris in extenso mais « au fil de l’eau » (Lire l’article de Romaric Godin sur le circuit de cette publication).

La note a finalement été rendue publique samedi 21 juillet par le syndicat Solidaires Finances Publiques. Sans surprise, elle plaide en faveur de la réduction de la dépense publique.

Dans le domaine éducatif, le besoin de rénovation est nécessaire selon les auteurs de ce rapport, parmi lesquels on retrouve Laurent Bigorgne, directeur général de l’Institut Montaigne, ce think tank dont est très proche le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer.

Sur le fond et dans le détail, ce rapport ambitionne d’introduire plus de « souplesse  », les propositions formulées visant à « réduire les inégalités et placer la France dans les dix meilleurs systèmes éducatifs mondiaux ». La France est l’un des pays les plus inégalitaires en matière scolaire. Les résultats décevants des écoliers français dans les classements de l’OCDE, comme le plus connu Pisa, démontrent que le milieu social de l’enfant influe sur sa réussite. Il faut donc, selon les auteurs de cette note consacrée à l’école, « restaurer la confiance des parents dans le système éducatif français et [de] répondre de manière plus adaptée aux besoins des territoires  ». L’idée étant de mobiliser les équipes éducatives, donner plus de liberté aux chefs d’établissement et de modifier le statut des enseignants. Ils sont une fois de plus considérés comme les maillons faibles du système, à réformer.

Les préconisations ici formulées ne surprendront pas ceux qui ont lu les deux derniers ouvrages de Jean-Michel Blanquer, L’école de demain et Construisons ensemble l’école de la confiance (tous deux aux éditions Odile Jacob). La philosophie de ce rapport transparaît dans ces livres et vice versa. Elles épousent celles vantées par Emmanuel Macron. Donner plus de pouvoirs aux chefs d’établissement était l’une des mesures de son programme en matière éducative.

Les propositions du comité CAP 2022 sont «  disruptives  » selon le mot qu’affectionne tant le président de la République et son gouvernement.

Sous couvert de « responsabiliser  » les établissements, le rapport préconise de mettre en place une évaluation de ceux-ci. Pour ce faire, plusieurs critères seraient utilisés. Les résultats des élèves, mais aussi leurs conditions d’études et matérielles, l’implication des personnels. Ces données seraient ensuite rendues publiques dans un élan de transparence. Bien entendu, une telle démarche renforcerait de fait les hiérarchies entre écoles, collèges et lycées déjà très présentes et favoriserait la concurrence.

Le rapport recommande également de laisser toute latitude aux chefs d’établissement pour recruter leurs équipes pédagogiques, enseignants et postes à profil, qui requièrent des compétences précises. Le tout pour permettre aux chefs d’établissement de « pleinement jouer leur rôle de manager et d’accompagnement de leur équipe pédagogique  ». Le jargon et les mœurs de l’entreprise appliqués à l’école en somme.

La proposition la plus forte concerne les enseignants. Il est d’abord suggéré d’augmenter le temps d’enseignement des professeurs du secondaire à raison de deux heures hebdomadaires. Cela doit leur permettre d’« augmenter leur rémunération » et aussi de « créer un nouveau corps d’enseignants qui pourrait se substituer progressivement à celui de professeur certifié  », écrivent les auteurs de ce rapport. « Ce corps serait soumis à des obligations supplémentaires (bivalence, annualisation d’une partie du temps d’enseignement, obligation de remplacement dans l’intérêt du service) qui offriraient plus de souplesse aux chefs d’établissement. »

En clair, ils pourront être amenés à enseigner deux disciplines, voir leur temps de travail annualisé et être obligés d’effectuer des remplacements au pied levé.

L’annualisation du service des enseignants est un vieux serpent de mer. Aujourd’hui, un certifié passe dix-huit heures hebdomadaires devant ses élèves, quinze heures pour un agrégé. L’annualisation consisterait à définir les services d’un enseignant en nombre d’heures à effectuer sur l’année.

Dans un rapport baptisé Gérer les enseignants autrement : une réforme qui reste à faire, rendu public fin 2017, la Cour des comptes avait plaidé en faveur de cette mesure, car elle considérait que cela permettrait de mieux gérer les besoins, de s’adapter aux élèves et surtout de réduire les heures perdues en fin d’année scolaire à cause des examens.

L’idée serait alors de mieux répartir ces heures de cours, quitte à en inscrire plus à la rentrée par exemple. Cela permet aussi de mieux s’occuper de la question des remplacements. Un enseignant absent pourra transférer ses heures à un collègue qui lui rendra la pareille si besoin. Mais en contrepartie cela impliquerait que les enseignants travaillent plus pour un salaire équivalent.

La “bivalence” permet aussi de réaliser des économies de postes mais nie la spécificité de chaque discipline et attaque la spécialisation des enseignants. Là encore, la Cour des comptes avait émis la même recommandation.

Les principaux syndicats enseignants s’opposent à ces mesures. Notamment en raison des difficultés de gestion d’emploi du temps que cela générerait et des répercussions sur l’organisation de la vie privée des enseignants.

L’ombre du “new public management”

Le rapport recommande aussi de renforcer la formation initiale et continue. Pour la première, il préconise d’avancer le concours, dès la fin de la licence, afin de familiariser plus tôt les futurs enseignants à leur métier. Il s’agit aussi de développer les «  pré-recrutements  » avant les concours afin de «  bénéficier rapidement d’une première insertion dans le monde professionnel  ». Ce point a déjà été évoqué par l’actuel ministre de l’éducation nationale début juin, comme l’un des remèdes possibles pour juguler la crise de recrutement. Dans certaines disciplines comme en langues vivantes par exemple, il y a plus de postes à pourvoir que de candidats.

Le comité considère que ces préconisations pourraient permettre une remontée des élèves français dans les évaluations internationales et de réaliser au passage 300 millions d’euros d’économies identifiées, sans préciser où les débusquer.

Pas de réduction de budget à prévoir pour les universités en revanche alors même que la hausse démographique, avec le pic de naissances de l’an 2000, conduit de plus en plus de jeunes dans l’enseignement supérieur. À la rentrée, 56 600 étudiants supplémentaires rejoindront les facs.

Là aussi, il est question de «  responsabiliser » les établissements et de combattre l’échec en première année de licence. Notamment par des évaluations plus régulières basées sur des critères qui englobent la réussite des étudiants, l’insertion professionnelle, la visibilité internationale de la recherche ou la qualité de l’enseignement dispensé. Les universités seraient aussi pilotées « par le contrat  ». Ces évaluations pourraient in fine conditionner leur financement.

Pour ce faire, le comité imagine que le financement des organismes doit « davantage dépendre des résultats pour constituer une incitation à accroître la qualité de l’enseignement et de la recherche ». Il s’agirait de répartir « un montant fixé entre établissements comparables voire entre organismes selon l’atteinte de leurs objectifs  ». En parallèle, «  les ressources des appels à projets nationaux en complément des subventions actuelles ou en substitution  » pourront être augmentées.

Toujours dans une volonté d’être plus attractives, les universités sont invitées à miser sur les formations tout au long de la vie pour « diversifier leurs ressources  » en appliquant notamment une tarification différenciée. L’autre proposition – un casus belli pour les organisations syndicales et étudiantes – consiste fatalement à augmenter les frais d’inscription.

Le rapport suggère de renforcer l’autonomie des établissements, déjà entérinée par la loi Pécresse en 2007, en transférant la responsabilité et la gestion des ressources au sein des établissements et non dans les directions d’administration centrale. « Le ministère devrait donc conserver uniquement des fonctions stratégiques et de pilotage de sites, et une expertise transversale sur la formation et la recherche, la mise en œuvre étant faite par des opérateurs.  »

Une autonomie qui s’accompagnerait de fait de plus de «  souplesse  » dans la gestion des ressources humaines des chercheurs et des enseignants-chercheurs « pour qu’ils puissent bénéficier de carrières dynamiques et envisager des mobilités y compris vers le secteur privé, en valorisant leur implication dans l’enseignement, dans la recherche, dans la diffusion des connaissances et la valorisation des recherches ».

Les auteurs de cette note semblent oublier que la loi sur les libertés et responsabilités des universités d’août 2007 (la LRU) a rencontré une hostilité majeure parmi les universitaires. À l’hiver 2008-2009, l’année universitaire a été agitée par des mois de contestation contre une réforme qui a renforcé les pouvoirs des présidents d’université qui gèrent seuls leur budget et les recrutements des personnels. Les universités ont le droit de créer des fondations afin de débusquer des sources de financement supplémentaires. La loi a aussi favorisé la privatisation des facultés et un certain désengagement de l’État.

Le vocabulaire utilisé dans cette note démontre à quel point le gouvernement entend plaquer les mœurs de l’entreprise à l’école et l’université. Les rédacteurs de ces chapitres consacrés à l’éducation ont l’ambition d’introduire souplesse et flexibilité dans ces secteurs. Quitte à fragiliser les conditions de travail des professeurs.

Tous ont encore en mémoire la saignée des années Sarkozy entre 2007 et 2012 avec sa révision générale des politiques publiques, la RGPP. L’objectif de celle-ci était de réduire le nombre d’enseignants. 80 000 postes avaient été supprimés en définitive avec comme conséquence une désorganisation de l’éducation nationale, notamment dans l’éducation prioritaire.

Par ailleurs, la vision managériale qui irrigue cette note témoigne d’une volonté de mettre en place une politique dite de new public management. Cette doctrine de gestion publique a été développée dans les années 1980 sous l’ère Thatcher. La colonne vertébrale idéologique de ce mode de gouvernance est de chercher à rendre les services publics plus efficaces et, pourquoi pas, rentables. L’éducation doit s’adapter à l’économie et former des travailleurs qui pourront s’ajuster à ses besoins.

La mise en concurrence, la flexibilité, l’autonomie des établissements, la recherche de la performance ou encore l’évaluation sont érigées en principes cardinaux. Trois pays ont tenté l’expérience avec des résultats fort décevants : la Suède, l’Angleterre et les Pays-Bas. C’est ce qu’ont découvert deux chercheurs, Florence Lefresne et Robert Rakocevic, pour le ministère de l’éducation nationale. Ils l’exposent dans un article baptisé « Le métier d’enseignant en Angleterre, aux Pays Bas et en Suède, Les voies sinueuses d’une professionnalisation  », publié en 2016 (à lire ici).

Dans ces pays, les écoles ont été privatisées et ont acquis une forte autonomie. Ces principes ont agi comme un repoussoir pour de nombreux enseignants, à qui l’on a demandé plus de polyvalence, créant ainsi une pénurie. Les élèves n’ont pas développé des performances exceptionnelles. Dans les trois pays, l’évaluation des enseignants est confiée au chef d’établissement mais ceux-ci n’y trouvent aucun bénéfice. «  Les tentatives de lier la rémunération des enseignants à leur performance individuelle a aussi généré des problèmes. Si en Suède la mesure a été acceptée, en Angleterre il y a eu des grèves puissantes contre la paye au mérite et aux Pays-Bas les mesures ont dû être fortement atténuées sous pression syndicale », peut-on lire dans cet article.

Cette gestion a contribué « à brouiller les frontières entre public et privé » sans réduire les inégalités, concluent les auteurs de cette note. Précisément ce que veulent éviter les syndicats et autres acteurs de la communauté éducative qui combattent ce mode de gouvernance.