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Parcoursup, un stress certain et un bilan incertain - Faïza Zerouala, Médiapart, 25 septembre 2018

mardi 25 septembre 2018, par Laurence

À lire sur le site de Médiapart

La phase complémentaire de Parcoursup s’est achevée le 21 septembre. Près de 1 000 candidats sont encore en attente d’une affectation. En attendant un bilan exhaustif, tous les acteurs s’accordent sur son caractère plus anxiogène pour les élèves que son prédécesseur APB.

Il faudra encore patienter (un peu) pour obtenir un bilan exhaustif de Parcoursup. La procédure d’orientation dans l’enseignement supérieur s’est achevée le 21 septembre. Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, doit livrer ce jour, lors d’une conférence de presse, les premiers enseignements du nouveau dispositif d’affectation et ses futures évolutions.

Sans surprise, ceux-ci seront positifs. La ministre a déjà dévoilé dans le JDD les contours des aménagements à opérer pour optimiser la procédure l’année prochaine même si, selon elle, le logiciel a rempli ses principaux objectifs. Le reste relève presque du détail même si aujourd’hui près de 1 000 candidats – en majorité issus des filières technologiques et professionnelles – sont encore en attente d’une affectation. Le ministère assure qu’ils sont accompagnés.

D’ores et déjà, quelques éléments sur cette année zéro de ParcourSup se dessinent. Si l’on s’en tient à l’objectif initial – à savoir supprimer le tirage au sort, bien que minoritaire –, il est tenu. Mais d’autres problèmes ont émergé et mis en évidence les défauts d’une réforme précipitée et mise en œuvre à marche forcée. Il fallait d’urgence mettre fin à un système inique, APB. Or, en supprimant la hiérarchie des vœux, la ministre rend impossible la comparaison entre Parcoursup et son prédécesseur puisqu’on ne saura jamais si les élèves ont obtenu leur vœu préféré ou ont accepté des choix par défaut.

Ce qui change la donne. L’année dernière, début septembre, 3 729 lycéens n’avaient aucune affectation. Cette année, à la même époque, 3 187 n’avaient pas de solution. Peu ou prou, la même proportion.

Parcoursup devait transformer radicalement les pratiques d’orientation. Parmi les nouveautés, un projet de formation motivé. Il s’agit d’un dossier à remplir pour chaque jeune afin de l’autoriser à postuler dans telle ou telle filière. Certains se sont arraché les cheveux car ils n’avaient pas grand-chose à inscrire dans leur curriculum vitae ou ne savaient tout simplement pas quels éléments mettre en avant dans leur lettre de motivation. Deux professeurs principaux ont été octroyés aux classes de terminale. Mais ceux-ci se révélaient parfois aussi perdus que leurs élèves, tant la procédure a pu apparaître complexe.

Les professeurs d’université ont été réquisitionnés pour formuler une liste « d’attendus » locaux, soit les compétences requises pour les élèves. L’administration leur a aussi demandé de siéger dans les commissions de sélection. Dans les deux cas, des professeurs opposés à l’introduction d’une sélection déguisée ont refusé de se plier à ces tâches. Quelques blocages d’universités, des manifestations ont eu lieu au printemps 2018 pour protester contre ce nouveau système jugé injuste et inégalitaire. Notamment parce que les bacheliers des filières professionnelles se voient presque toujours barrer l’accès à l’université. Tout cela, malgré la confiance affichée par le gouvernement, accrédite l’idée que le système patine et est mal ficelé.

Jérôme Teillard, chargé du dossier Parcoursup au ministère, ne partage évidemment pas ce point de vue. Il considère globalement Parcoursup comme une réussite. Il détaille : « Nos engagements en créant Parcoursup étaient précis. Il fallait mettre fin au tirage au sort, ce que nous avons fait. Nous avons aussi mis en place une plateforme qui permet de créer une passerelle entre l’enseignement scolaire et le supérieur. Nous avons aussi amélioré l’orientation grâce notamment à la mise en place en classe de terminale de deux professeurs principaux et à une personnalisation des parcours. Notre ambition, c’est de mettre fin à la sélection par l’échec en licence. En ce sens, notre mission est en phase d’être réussie. »

Seulement, le ministère oublie de parler de ces 40 000 candidats – sur 812 000 – qui sont considérés comme «  inactifs » car ils n’ont plus donné de signes de vie. Il s’agit de ceux qui ont constitué un dossier sur Parcoursup et ont quitté la procédure car ils ont intégré une formation en dehors ou un cursus privé ou qui ont simplement abandonné l’idée de poursuivre des études. 180 000 bacheliers ont quitté la plateforme de leur propre chef.

Ce qui devait être un long fleuve tranquille s’est parfois transformé en parcours du combattant. L’attente des candidats, largement racontée dans les médias, a pu être très longue, certains n’ont obtenu une place qu’au dernier moment, quelques jours avant la rentrée.

Laetitia Desgraupes, 18 ans, fait partie de ces naufragés estivaux de Parcoursup. La jeune femme vient d’intégrer un cursus en sciences de la vie et de la terre à l’université d’Évry après un baccalauréat scientifique et un été mouvementé. Si elle est soulagée d’avoir finalement une place quelque part, elle regrette qu’il ne s’agisse pas de son premier choix. La bachelière se voyait plutôt étudier la biochimie et les sciences de la vie et de la terre à l’université d’Orsay, dotée en plus d’un jardin botanique et mieux « cotée » que celle d’Évry. Elle souhaite se spécialiser dans ce dernier domaine et en entomologie.

Cette affectation qu’elle a obtenue, in extremis, deux jours avant la rentrée, la satisfait à moitié. Cela aurait pu être pire, se dit-elle pour se rassurer : « J’ai dû me décider en 24 heures. Mais ça aurait pu être pire. Lorsque j’ai contacté le numéro d’assistance de la plateforme, on m’a proposé d’intégrer un cursus d’informatique, pas du tout ce que j’avais envie de faire. Je sais que là, j’aurais échoué à coup sûr. »

Avec un peu de recul, Laetitia juge très stressante son expérience globale de Parcoursup : « J’ai eu le sentiment de ne pas être entendue. Je n’étais qu’un numéro de dossier parmi tant d’autres. Entre fin mai et fin août j’ai constamment eu peur de ne pas avoir d’affectation ou d’être envoyée dans un endroit où je ne voulais pas aller. C’est terrible d’avoir ce sentiment de n’avoir aucune emprise sur son avenir et de dépendre d’un algorithme. » Elle réfute totalement le fait que Parcoursup permettrait de réintroduire « plus d’humain  » comme l’a toujours répété Frédérique Vidal pour justifier cette réforme d’ampleur.

La jeune femme n’est pas partie en vacances par peur de ne pouvoir se connecter en temps et en heure le cas échéant. Comme d’autres candidats, elle s’est parfois connectée à 2 heures du matin, l’horaire auquel les serveurs de la plateforme se mettaient à jour et donnaient des résultats, pour espérer gagner quelques places. Un stress que, redoublante, elle n’avait pas connu l’année précédente. Mais avec APB, dit-elle, elle avait obtenu son affectation rêvée et dans un temps beaucoup moins long.

La hiérarchisation des vœux maintenue

Hervé Christofol, secrétaire général du principal syndicat du secondaire, le Snesup-FSU, et enseignant-chercheur, soupire lorsqu’il s’agit de dresser un début de bilan de Parcoursup : « Malheureusement les craintes que nous avions ont été confirmées et ont même été dépassées. On ne pensait pas que dès le premier jour, 50 % des candidats n’auraient pas de proposition. C’est d’une violence institutionnelle rare. On dit à la première génération qui essuie les plâtres de Parcoursup qu’on n’a rien à leur proposer. »

Leïla Frouillou, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris Nanterre et auteure de l’ouvrage Ségrégations universitaires en Île-de-France. Inégalités d’accès et trajectoires étudiantes (La Documentation française), membre de Sud Éducation, a elle aussi suivi de près tout le déroulé de Parcoursup. Elle formule quelques « hypothèses » en attendant que le ministère délivre des données plus précises pour dresser un bilan exhaustif.

Selon elle, le nouveau dispositif n’a fait que déporter les difficultés sans rénover le processus d’orientation dans un sens acceptable. « Le seul problème résolu par Parcoursup est le tirage au sort, par définition. Mais on a inversé le processus de sélection, ce qui n’est pas satisfaisant. La vraie question importante concerne le stress généré par cette procédure chez les élèves, les personnels enseignants au lycée ou dans l’enseignement supérieur. 800 000 personnes ont été les cobayes d’une réforme pensée dans l’urgence. C’est central car tout le monde n’est pas égal face au stress dans le choix d’études. Cela a un effet sur le fait de prendre tel ou tel vœu ou de quitter la plateforme par exemple », relève celle qui a étudié les processus de ségrégation scolaire.

Au ministère, Jérôme Teillard admet qu’il a fallu agir rapidement pour mettre sur pied ce système en un temps record d’où la nécessité d’opérer quelques « ajustements ». Mais à la marge car selon lui tout s’est bien déroulé : « À la fin juillet, 97 % des candidats avaient leur place, donc le système a bien fonctionné. À ce moment-là il a atteint son optimum. Les candidats qui ont opté pour des formations hors Parcoursup n’ont libéré leur place qu’au cours du mois d’août. D’où l’attente. Nous devons donc resserrer le calendrier pour éviter ces désagréments. Les formations nous ont aussi demandé plus de temps. »

Parcoursup semble aussi avoir désorganisé les filières. Fanny Bugeja-Bloch, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris Nanterre, s’interroge. « Localement, à Nanterre en sociologie, il y a 191 étudiants pour 165 places. On réclame des ouvertures de TD. On suppose qu’il y a eu du surbooking et on ne sait pas sur quels critères les futurs étudiants ont été admis. » Elle constate dans son département que le contrat sur l’amélioration de l’orientation n’est pas forcément rempli. « On a pu voir en réalité qu’il y avait encore des vœux contrariés. Certains atterrissent en sociologie en Île-de-France alors qu’ils voulaient intégrer des BTS ou aller en psychologie… »

Mais là encore impossible de savoir précisément qui voulait quoi et qui a obtenu quoi en définitive. Frédérique Vidal l’a dit, il n’est pas question de revenir sur l’absence de hiérarchisations des vœux. Pour les opposants à Parcoursup, c’est une manière pour l’exécutif de ne pas dévoiler les taux de satisfaction des jeunes et de pouvoir affecter les jeunes en fonction des places restantes. L’absence de hiérarchisation des vœux déplaît à Hervé Christofol. Notamment parce que le ministère considère qu’il existe suffisamment de places pour satisfaire tout le monde. « C’est la même chose que pour le chômage. Les places dans la restauration existent, il suffit de traverser la rue pour les décrocher visiblement. Mais tout le monde n’a pas envie de faire cela. Le système d’offre et de demande ne peut pas s’ajuster aussi automatiquement. »

Jérôme Teillard livre une tout autre justification à cette absence de classement, moins cynique et plus sociale : « L’absence de hiérarchisation des vœux permet de lutter contre l’autocensure. Si vous faites classer les vœux des candidats, il y a de fortes chances qu’ils mettent en tête des vœux de proximité plutôt que de viser des formations plus ambitieuses. Avec Parcoursup, ils obtiennent toutes les réponses des formations et peuvent donc décider. Certains ont changé d’avis car ils ont le choix. C’est un renversement par rapport à APB où le dernier mot revenait à l’algorithme. »

Leïla Frouillou constate pour sa part « qu’il y a eu beaucoup de sorties de la plateforme. Des formations font le plein, d’autres pas du tout. Il y a eu une véritable mise en concurrence des filières. On peut supposer aussi que l’autocensure a joué son rôle et a dissuadé des lycéens d’intégrer certaines filières très demandées. » Hervé Christofol explique de son côté que les processus de sélection ont parfois confiné à l’absurde avec de futurs étudiants départagés sur leur moyenne jusqu’à la cinquième décimale dans les filières très demandées. Les algorithmes locaux, ou du moins les critères utilisés dans les commissions au sein des universités, n’ont jamais été communiqués. Pour le responsable syndical, Parcoursup est une « entreprise de soumission » destinée aux « premiers de cordée » qui raflent la mise, tout de suite. Les autres se contentent des miettes et des formations les moins désirées. Pour lui, il est clair que ce procédé au fil de l’eau nourrit les injustices sociales et psychologiques.

Les deux maîtresses de conférences de Nanterre considèrent que le système est largement perfectible et le mot est faible. « Il est question de changer le calendrier mais il faudra pour cela le faire en concertation avec les universités. Il y a des choses étonnantes toutefois. Le rectorat de Créteil a par exemple mis en place des classes passerelles pour des sections de BTS. Le souci, c’est qu’il n’y a aucune information sur le nombre de candidat.e.s qui sont concerné.e.s, ou combien d’heures ça représente… », poursuit Leïla Frouillou.

Le ministère a largement communiqué sur la hausse du nombre de boursiers dans les différentes filières. « Plus 29 % de boursiers ont intégré une classe prépa parisienne par exemple. C’est fondamental », vante Jérôme Teillard. Seulement, les taux ont été variables d’une filière à l’autre. Des formations, notamment en droit, n’ont pas joué le jeu.

Leïla Frouillou reste vigilante. « Concernant le taux de boursiers, il faudrait savoir si la plateforme a affecté les candidat.e.s correspondant aux objectifs fixés par les recteurs en mai, et bien sûr il faudrait comprendre aussi comment ces taux ont été fixés dans la mesure où ils sont parfois très différents selon les universités pour une même filière. »

Même sur le sujet plutôt consensuel de la mixité sociale, Parcoursup divise. Frédérique Vidal devra réussir à déminer toutes ces objections.