Accueil > Université (problèmes et débats) > La loi LRU > Loi LRU : la parole est aux enseignants-chercheurs

Loi LRU : la parole est aux enseignants-chercheurs

Vendredi 7 décembre

vendredi 7 décembre 2007, par Mathieu

Ce texte a été publié sur le site de Rue89.

Dans le « débat » actuel autour de la loi LRU, les personnels, en particulier les enseignants-chercheurs, restent quasiment inaudibles, coincés entre d’une part la contestation étudiante et d’autre part la Conférence des Présidents d’Universités (CPU) présentée comme l’instance ultime de l’université et dont il est utile de rappeler une fois de plus qu’elle ne représente qu’elle-même et qu’il serait étonnant de la voir condamner une loi augmentant considérablement les pouvoirs des présidents d’université qui la composent. Occupant jusqu’au bout le terrain médiatique, cette même CPU alterne à l’égard des étudiants contestataires menaces et promesses qui toutes dépassent largement leurs attributions et leurs pouvoirs.

Parmi nous, certains approuvent et d’autres condamnent le blocage des universités par les étudiants, mais cela ne nous a pas empêchés de débattre entre nous d’une loi qui nous concerne au premier chef, afin de nous forger une opinion qui n’est pas nécessairement celle des étudiants et qui découle de notre situation propre, de notre expérience et de la connaissance – profonde, faut-il le rappeler ? – du milieu dans lequel nous évoluons. Cette opinion, il nous semble nécessaire qu’on l’écoute. Enseignants-chercheurs en lettres et sciences humaines, nous avons été recrutés sur la base certes de nos connaissances dans nos champs disciplinaires respectifs, mais également de notre capacité à l’analyse non-idéologique, au décryptage de discours et à la mise en perspective de problèmes complexes. Notre statut même atteste en principe notre capacité à tenir un discours raisonné, débarrassé le plus possible des fantasmes et des projections, fondé sur une lecture à la fois du texte lui-même (la loi LRU) et du contexte dans lequel cette loi doit être considérée (le rapport Belloc de 2003, la création de l’AERES et de l’ANR, la lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Valérie Pécresse, le cahier des charges de la loi LRU établi par l’inspection des finances, le plan sur la réussite en Licence qui guide les maquettes de diplômes, c’est-à-dire la structuration et le contenu de notre offre de formation, que nous élaborons en ce moment même).

Partons d’une première déclaration, celle de Nicolas Sarkozy dans sa lettre de mission à V. Pécresse : « il est impératif que la France réforme son système d’enseignement supérieur et de recherche pour le porter au meilleur niveau mondial. » Examinons donc ce qui, dans la loi LRU, peut permettre d’atteindre ces objectifs qui sont en principe également les nôtres.
Passons rapidement sur les pouvoirs accrus des présidents d’université dans ce qui est présenté par ses défenseurs comme une simple réforme technique : nous voyons pour notre part dans la part congrue réservée désormais à la représentation des personnels et ainsi à la délibération et au débat démocratiques un signe de mauvais augure pour notre propre rôle dans la société. Jugés incapables de participer de manière effective et efficace au gouvernement de notre université (et ce alors même que nous devons nous charger de la gestion des départements et UFR qui la composent), mis sous tutelle en ce qui concerne le recrutement de nos pairs, comment pourrions-nous avoir confiance et croire que notre avis comptera encore quelque peu dans la détermination des missions de l’université et de sa fonction dans la société ?

Poursuivons par les nouvelles mesures concernant le recrutement des enseignants-chercheurs. Jusqu’à maintenant, celui-ci était le fait de commissions de spécialistes élues et débattant démocratiquement. On ne voit pas bien comment les « comités de sélection » prévus par la loi, aux membres proposés par le président au CA , « pour moitié au moins extérieurs à l’établissement » et choisis « en majorité » (et pas dans leur totalité) « parmi les spécialistes de la discipline en cause » pourraient assurer davantage un recrutement de qualité, alors que n’y sont assurés ni la parité entre maîtres de conférences et professeurs, ni le maintien d’une campagne nationale de recrutement. Ces comités peuvent être composés ad hoc et changer de configuration à chaque poste à pourvoir ; leur pouvoir est de plus limité par le droit de veto que détient le Président sur les nominations. S’ajoute à cela une interrogation : y aura-t-il tout simplement encore des postes à pourvoir pour lesquels la consultation de ces comités s’imposerait ?

Le « budget global » que prévoit la loi permet de transformer des postes d’enseignants ou enseignants-chercheurs en postes d’administratifs. Or, comment gérer l’autonomie financière sans recruter davantage d’administratifs ? Puisque les ressources sont limitées, cela se fera au détriment de l’enseignement et de la recherche, comme ça a par exemple déjà été le cas dans certaines universités anglaises. Ceci ne peut que pousser, si l’on veut continuer à fonctionner dans le domaine de la formation, à recruter du personnel enseignant à bas prix. Miracle, c’est possible : le président, et lui seul, sans consultation du CA et des comités de sélection, peut recruter du personnel contractuel - nous arrivons à un dispositif central de la loi LRU. Il semble évident que le recours aux contractuels ira croissant, pour la bonne et simple raison qu’ils coûtent moins cher et qu’il s’agit d’un personnel flexible (à son corps défendant). Ajoutons à cela le fait que l’université gère désormais elle-même les salaires (ouvrant la voie à la prochaine étape : qu’elle les fixe elle-même) : comment ne pas penser que l’on met ainsi en place la disparition d’un cadre national pour les enseignants-chercheurs ?

Quel avenir attend alors les nouveaux entrants dans le métier, les doctorants actuels ? Ce n’est pas verser dans le catastrophisme que de penser qu’ils iront désormais de contrat en contrat et d’université en université, soit dans le cadre de projets de recherche, soit comme enseignants à temps plein. Ce faisant, on va précisément à l’encontre de l’exigence de qualité formulée comme la finalité de la LRU. Quelle cohésion pédagogique peut-on maintenir avec un personnel précaire, souvent renouvelé ? Cette disposition met en question la qualité même de nos enseignements, de même que celle de notre recherche. Il s’agit en effet d’une orientation vers une recherche “sur projets” courts, telle que la finance l’ANR. Or, cette formule n’est pas particulièrement adaptée aux sciences humaines dans lesquelles l’élaboration d’un projet de recherche fait elle-même partie de la recherche, et nous avons pu observer en participant à ce type de projets internationaux courts que les résultats n’étaient pas toujours à la hauteur des attentes, justement à cause de la présence massive de chercheurs contractuels rarement réellement spécialistes du domaine en question. En sciences dures, de nombreuses recherches de niveau mondial dépassent le cadre de projets courts voire sont menées “à l’aveugle”, alors que le financement sur projets comporte le risque de transformer les chercheurs en mercenaires au détriment de leur efficacité, car une recherche de haut niveau ne se fait pas en changeant constamment d’objet de recherche. La loi prévoit de plus qu’une évaluation purement quantitative de la recherche (importée des sciences dures) permettra au président de définir les services des enseignants-chercheurs, dans l’esprit du rapport Belloc : les « mauvais » chercheurs, ceux qui se permettent de prendre le temps de la réflexion au lieu de publier tout et n’importe quoi juste pour faire du chiffre, se verront imposer de faire plus d’enseignement, ce qui justement les déconnectera définitivement de la recherche. L’enseignement comme punition, est-ce ainsi que l’on construit une université ambitieuse ?

Résumons : nous ne croyons pas que les dispositifs que nous avons énumérés puissent améliorer les performances de l’université française. S’ajoute à cela l’aspect immobilier : la loi permet le transfert et la propriété des biens mobiliers et immobiliers de l’Etat aux universités. Chaque université aura désormais “le pouvoir d’aliéner tout ou partie de son patrimoine, ce qui permettra aux universités qui le désirent de céder les terrains et bâtiments dont elles n’auraient plus l’usage “ (cahier des charges établi par l’inspection des finances). Une formulation qui pourrait susciter l’hilarité si l’affaire n’était si sérieuse : y a-t-il une université en France qui dispose de bâtiments dont elle n’aurait plus l’usage ?! A l’heure où l’on nous demande d’amener 50% d’une classe d’âge à la Licence ?! A quoi rime alors cette clause, à part à faire supporter aux universités elles-mêmes, pourtant notoirement sous-financées, la charge de l’entretien de leurs bâtiments, souvent en très mauvais état et/ou insalubres ? (Rappelons que l’Etat a déjà sacrifié les fonds réservés au désamiantage de Jussieu pour financer des résidences étudiantes, adressant aux étudiants un message édifiant : entre salles de cours et logements à prix abordable, il faudra choisir.) Il s’agit bien sûr de permettre aux universités de financer en partie leur offre de formation en vendant leurs bijoux de famille, quitte à entasser leurs étudiants dans des locaux vétustes et exigus voire dans d’anciens parkings comme c’est le cas actuellement pour nous, et quitte à demander à leurs enseignants-chercheurs de bien vouloir travailler, se réunir et recevoir les étudiants à leur domicile ou au café, puisqu’il est impossible de mettre des bureaux à leur disposition. Excellence de l’enseignement et de la recherche, niveau mondial, parlons-nous bien de la même chose ?

Mais il est vrai que cette lecture de la loi part du principe d’une ambition commune pour toutes les universités et tous les étudiants français, lecture naïve s’il en est. Car là encore, la lettre de mission de N. Sarkozy révèle tout ce qui n’est pas explicité dans le texte de loi : « Vous identifierez quelques campus universitaires susceptibles de devenir des campus de réputation mondiale, en particulier le plateau de Saclay qui sera considéré comme un grand chantier présidentiel. » L’excellence, oui, mais pas pour tous.

Tout ceci semble bien confirmer les craintes des étudiants mais aussi les nôtres : des moyens concentrés sur quelques pôles d’excellence, et pour le reste des universités, un désengagement de l’Etat préparé par la loi LRU, qui camoufle sous le terme de « liberté » l’obligation d’aller trouver des moyens ailleurs. Quid alors des disciplines n’intéressant pas directement le privé et qui pourtant préparent à la vie active, développant les capacités de réflexion, de théorisation, d’abstraction et de synthèse indispensables dans le monde du travail ? A long terme, la hausse des droits d’inscription ainsi que la sélection redoutées par les étudiants qui contestent la loi sont un scénario tout à fait probable : puisque nous sommes évalués et financés en fonction de notre taux de réussite (contrairement aux classes préparatoires, alors que celles-ci ont deux fois plus de moyens par étudiant), il sera tentant, afin d’obtenir des moyens, soit de dévaloriser le diplôme en l’attribuant à tout un chacun, soit de ne sélectionner que des étudiants au potentiel de réussite avéré, sanctionnant ainsi des élèves qui n’ont pas encore révélé leur potentiel. Dans tous les cas de figure, à la lumière du système que met en place la LRU, l’objectif de 50% d’une classe d’âge au niveau Licence que l’on invoque actuellement pour faire passer la pilule n’est que de la poudre aux yeux, et camoufle la persistance d’un système à deux vitesses parfaitement anachronique : classes préparatoires et grandes écoles richement dotées d’un côté, universités gérant leur pénurie de moyens de l’autre.

Valérie Robert – Anne Larrory – Céline Trautmann-Waller - Patrick Farges – Alice Volkwein Peter Krilles – Anke Grutschus – Kerstin Hausbei – Jürgen Ritte – Céline Largier - Dominique Vogel – Monique Travers (Université Paris 3 - UFR d’allemand)