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Jean-Michel Blanquer, le ministre qui fait passer les inquiétudes pour des « bobards » - Faïza Zerouala, Médiapart, 3 avril 2019

mercredi 3 avril 2019, par Laurence

Le ministre de l’éducation nationale traverse une passe difficile. La contestation contre ses réformes s’amplifie et les principaux syndicats appellent à la mobilisation jeudi. Parents et enseignants font part de leurs inquiétudes face à des mesures déployées à toute vitesse. Las, Blanquer garde le cap et qualifie toutes ces interrogations de « bobards ».

Jean-Michel Blanquer s’est donné une nouvelle mission : imposer le terme argotique « bobard  » dans le débat public. À plusieurs reprises, le ministre de l’éducation nationale a affirmé dans la presse que la contestation qui monte contre sa politique éducative n’était que le fruit de « bobards », soit des propos mensongers et fantaisistes, distillés par ses adversaires pour le déstabiliser. En ligne de mire, la loi dite sur l’école de la confiance et la réforme du lycée.

Dimanche sur France Info, il a par exemple expliqué que « ce qui est important en démocratie, c’est que le débat se base sur des informations justes. Sur ces sujets-là, on a assisté à un festival de bobards toute la semaine dernière ». Les députés LREM ont embrayé sur les réseaux sociaux, en distillant les mêmes éléments de langage (ici, ou encore). À l’Assemblée nationale, le 2 avril, le ministre de l’éducation nationale a encore expliqué que les critiques formulées par la députée La France insoumise Sabine Rubin étaient des « bobards » et relevaient de la caricature.

Le site officiel du ministère de l’éducation nationale a publié une série d’infographiespour démentir à son tour ces fameux « bobards  ». Enfin, le ministre a pris la plume, le 29 mars, à la veille de la journée de mobilisation, pour expliquer dans une lettre le sens de ses réformes aux professeurs et leur rappeler toute la confiance et le respect qu’il leur témoigne. Opération déminage à tous les étages.

Il faut dire que Jean-Michel Blanquer a un talent certain pour la communication. Il parvient même à expliquer sur France Inter le 28 mars, avec un aplomb remarquable, que la perte de 2 600 postes à la rentrée prochaine, alors que les effectifs d’élèves augmentent, est une bonne nouvelle puisque les enseignants pourront réaliser des heures supplémentaires.

«  En 2019, nous supprimons certes des postes… mais nous créons des heures supplémentaires », a-t-il déclaré.

La « pensée complexe » s’insinue décidément partout. Pour le ministre, enseignants et syndicats n’ont donc pas bien compris les conséquences de la loi dite pour une école de la confiance, et des autres réformes… voilà pourquoi la pression ne baisse pas.

Depuis deux ans, le ministre a balayé tout débat. Jean-Michel Blanquer a décidé de faire fi des demandes d’ajustements émanant des corps intermédiaires pour ses réformes d’ampleur. Plusieurs conseils supérieurs de l’éducation se sont soldés par un vote négatif de la part des organisations syndicales. Mais leur avis n’est que consultatif…

Les syndicats et une partie des enseignants se sentent méprisés. Les premiers sont reçus par le cabinet du ministre, mais leurs remarques ne sont pas prises en compte.
Le dialogue social est au point mort.

La machine si bien huilée, celle où le ministre pouvait imposer sa politique sans contestation, s’enraye peu à peu. Jusqu’à maintenant, Jean-Michel Blanquer n’avait pas eu de souci à se faire. Il avait réussi à détricoter tout ce que le quinquennat précédent avait mis en place. Le dispositif « Plus de maîtres que de classes », la réforme des rythmes scolaires, par exemple. Il a aussi retouché la si décriée réforme du collège, en réinjectant une partie des langues anciennes dans les cursus des élèves.

Las de ce manque d’écoute, les opposants se sont retrouvés dans la rue. Le 19 mars, 40 % des enseignants de primaire ont fait grève. Ce taux est le plus important depuis la prise de fonctions de Jean-Michel Blanquer. Le même jour, des défilés ont été organisés à travers le pays pour défendre la fonction publique. La forte présence des enseignants était notable (lire notre reportagesur le sujet).

À peine dix jours plus tard, le samedi 30 mars, la manifestation à l’appel des cinq principaux syndicats – la FSU, l’Unsa Éducation, la CGT Éducation, le SGEN-CFDT et le Snalc qui font front commun – a fait le plein. Les parents et enseignants inquiets ont défilé avec succès dans les rues du pays. Quelque 36 000 personnes ont arpenté le pavé, selon le ministère de l’intérieur.

Depuis plusieurs semaines, des mobilisations très locales émergent çà et là. Des nuits des lycées, des assemblées générales, des actions symboliques comme des enterrements de l’éducation nationale ou des démissions collectives de professeurs principaux en guise de protestation s’organisent un peu partout. D’autres enseignants décident de ne pas remonter les notes des évaluations en primaire et au collège, ou d’attribuer un 20 sur 20 à tous leurs élèves sans exception.

Pour animer cette opposition, des collectifs de parents et d’enseignants se créent, en parallèle des syndicats. Les « stylos rouges », ce groupe informel né sur Facebook fin décembre dernier, agrègent 70 000 professeurs de tous niveaux à travers la France. Ses membres sont de plus en plus visibles dans les cortèges et organisent également leurs propres actions.

Sur le papier, le cahier des charges du nouveau baccalauréat est simple et séduisant. Le ministre se donne pour mission de réduire les inégalités sociales, de simplifier le baccalauréat et d’octroyer plus de liberté aux élèves dans leur scolarité. Seulement, la belle idée se fracasse sur le mur de la réalité.

Enterrer les séries L, ES et S pour créer un lycée « plus ouvert » et « modulable », pourquoi pas ? Mais les enseignants ont vite déchanté quand il a fallu aiguiller les élèves. D’autres s’interrogent. Comment combiner tous les choix de manière cohérente ? Sans compter que confier aux élèves la responsabilité de se positionner seuls va forcément créer des inégalités. Quid des jeunes qui n’ont pas de parents connaissant suffisamment le système scolaire pour les guider dans le dédale des spécialités ?

En effet, la réforme commande aux élèves de seconde de choisir dès maintenant les trois spécialités qu’ils étudieront dès la rentrée 2019 en classe de première.

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