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« Les modalités de financement de la recherche comptent parmi les causes de la crise sanitaire » - Tribune de Sarah Gensburger, Le Monde, 21 juin 2020

dimanche 21 juin 2020, par Mariannick

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Il y a bientôt cinq ans, les attentats du 13 novembre 2015 conduisaient le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à lancer un appel « Attentats-Recherche » proposant pour la première fois aux scientifiques une modalité accélérée de financement pour répondre à l’urgence de l’événement. A l’époque, certains avaient regretté une conception court-termiste de la recherche, ainsi définie par la demande sociale et politique plutôt que mue par une dynamique interne.

Aujourd’hui, de tels états d’âme sembleraient incongrus. Le nombre de recherches lancées sur le Covid-19 ne cesse de croître. Et, à l’image de l’appel « Flash » de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), les incitations financières se multiplient. Pour certains, cette effervescence manifesterait la force du lien « science et société » ou encore l’émergence d’une « intelligence collective ».
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Les modalités de financement de la recherche mises en place depuis plus de vingt ans sont clairement dysfonctionnelles et comptent parmi les causes de la crise sanitaire et scientifique actuelle. Ce sont, pourtant, ces mêmes modalités que les responsables de la politique scientifique, en France comme ailleurs, mettent aujourd’hui en œuvre avec une ampleur inédite et au risque d’en accentuer les effets pervers.

Il est bien sûr normal, et heureux, que des chercheurs et chercheuses aient ressenti, et ressentent toujours, le besoin d’apporter leur concours à la lutte contre la pandémie ou à l’étude de l’événement.
[…]

Il semble évident pour tout le monde que l’employeur d’un cuisinier doit fournir à ce dernier une tenue réglementaire, des ustensiles, des condiments, des produits frais et un lieu pour travailler, ainsi que l’accompagnement d’un sous-chef et de commis de cuisine dont il assurera la formation. Or, le scientifique se voit fournir un lieu de travail, des condiments et certains ustensiles.

Pour le reste, il ou elle doit passer une large partie de son temps à chercher… les moyens financiers indispensables à la réalisation de sa mission quand ce n’est pas jusqu’à l’argent nécessaire au paiement de son propre salaire, comme c’est le cas pour tant de nos collègues précaires. Afin d’éviter le retour d’une crise comme celle que nous connaissons, et comme pour le monde hospitalier, l’enjeu n’est pas seulement d’augmenter les budgets mais également de transformer en profondeur leur mode d’attribution. Tirons les leçons de la crise : changeons le monde… de la recherche.

Sarah Gensburger (Sociologue, chargée de recherches en science politique au CNRS et à l’institut de sciences sociales du politique, université Paris-Nanterre.)