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Lettre ouverte au Président de la République par la CP-CNU, 3 novembre 2020

vendredi 6 novembre 2020, par Elie

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Lettre de la CP-CNU, 3 novembre 2020

Monsieur le Président de la République,

La Commission permanente du Conseil National des Universités (CPCNU), ne parvenant pas à être entendue de sa Ministre de tutelle, s’adresse aujourd’hui publiquement à vous en dernier ressort. Malgré ses prises de parole répétées et sans équivoque, la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont le CNU est l’une des expressions [1], n’est malheureusement pas audible. Ni par Madame la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (ESRI), ni par Monsieur le Premier ministre.

Les conditions de constitution et d’activité des trois groupes de travail qui ont préparé le Projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) ont suscité une première vague d’inquiétudes, confirmée par la publication de leurs rapports fin septembre 2019. Entre la fin de l’année 2019 et le mois de mars 2020, les contestations se sont multipliées. Puis la première vague de la pandémie de Covid-19 a ouvert une parenthèse en raison du confinement.

À peine le pays déconfiné, le 7 juin, les représentants du monde universitaire ont eu la surprise de recevoir le projet de loi, examiné en urgence le 19 juin, par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). Outre le CNU, l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche ont alors adressé de nombreuses analyses argumentées, justifiant des critiques plus ou moins vives à l’égard de ce texte [2].. Saisi par le gouvernement, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a lui aussi affirmé, par deux fois (le 24 juin et le 22 septembre), de fortes réserves, pointant les risques que ce projet ne contribue à aggraver une situation sinistrée [3].

Malgré l’ensemble de ces mises en garde, nos demandes répétées de concertation et l’accumulation et la convergence de critiques de tous bords, Madame la Ministre de l’ESRI a présenté son projet de loi en l’état lors du Conseil des ministres du 24 juillet. Après son examen par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale le 16 septembre, il a fait l’objet d’une procédure accélérée pour être discuté à la hâte et voté sans modification majeure le 23 septembre, en première lecture, par l’Assemblée nationale. Rebaptisé « projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur » (LPR) la nouvelle version a ensuite été examinée par le Sénat entre le 28 et le 30 octobre.

Malgré une correction bienvenue de la trajectoire budgétaire, cet examen par le Sénat en séance plénière a été marqué par un ultime affront. C’est ainsi que, tard dans la nuit du 28 au 29 octobre, une poignée de sénateurs – pour la plupart insuffisamment éclairés sur des questions sensibles dont il est fort probable qu’ils ne mesurent pas toute l’importance – ont adopté, avec le soutien du gouvernement, des amendements touchant à des questions essentielles, et a priori sans lien avec une loi dont l’objet était prétendument uniquement lié à la volonté de renforcer les moyens financiers octroyés à la recherche. En touchant à la question de l’autonomie de la production des savoirs vis-à-vis du pouvoir politique (quel qu’il soit) et aux libertés académiques, ainsi qu’au cadre national du recrutement des enseignants-chercheurs, ces amendements confirment le mépris dans lequel la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche est tenue depuis des mois en France.

À l’heure où, face à la crise sanitaire, chacun mesure l’importance de s’appuyer sur une recherche de qualité, permettant aux pouvoirs publics comme aux citoyens de prendre des décisions éclairées, Madame la Ministre de l’ESRI a donc provoqué une crise de confiance et un désordre sans précédent dans le monde de la recherche en voulant mener, coûte que coûte, une réforme décriée de toute part. C’est sa responsabilité, mais elle a ainsi porté atteinte au crédit de l’ensemble du gouvernement.

Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université.

C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, nous vous posons la question de la pertinence du maintien en fonctions de Madame la Ministre dans la mesure où toute communication semble rompue entre elle et la communauté des enseignants-chercheurs.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre respectueuse considération.

Pour la CP-CNU :
Sylvie Bauer, Présidente de la CP-CNU
Christine Chojnacki, Vice-Présidente de la CP-CNU
José Darrozes, Vice-Président de la CP-CNU
Thierry Divoux, Vice-Président de la CP-CNU
Sylvain Ferez, Vice-Président de la CP-CNU
Alexandre Fernandez, Vice-Président de la CP-CNU
René Guinebretière, Vice-Président de la CP-CNU
Thierry Oster, Vice-Président de la CP-CNU
Fabrice Planchon, Vice-Président de la CP-CNU
Damien Sauze, Vice-Président de la CP-CNU


[1Composé pour deux tiers de membres élu·e·s, et pour un tiers de membres nommé·e·s.

[2Pour n’en citer que quelques-uns, un regroupement des directeurs de laboratoires de recherche, une fédération de sociétés savantes académiques, différentes sections du Centre national de la recherche (CNRS) et les conseils scientifiques des Instituts du CNRS, l’Académie des sciences et la Conférences des Présidents d’Université (CPU)

[3En essayant, selon les propres termes du CESE, de « soigner un système avec les outils qui l’ont rendu malade ».