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Enseignement supérieur et covid-19 : leçon du silence - blog de Paul Cassia, Médiapart, 11 janvier 2021

lundi 11 janvier 2021, par Laurence

Lors de sa conférence de presse du 7 janvier 2021 sur la situation sanitaire, le Premier ministre n’a pas évoqué le sort des étudiants. Ce silence est en lui-même signifiant du désintérêt - si ce n’est du mépris - que l’exécutif porte aux usagers comme aux personnels du service public de l’enseignement supérieur.

Rien. Pas un mot. Le technocrate de la Cour des comptes propulsé Premier ministre par la grâce d’un ancien Inspecteur général des Finances en remplacement d’un membre du Conseil d’Etat a, dans sa conférence de presse du 7 janvier 2021, passé en revue ceux des nombreux sujets relatifs à la diffusion du coronavirus en France qui lui paraissaient devoir retenir l’attention de son auditoire. L’enseignement supérieur n’en a pas fait partie. Il est vrai que celui-ci n’existe plus que virtuellement depuis que le gouvernement a décidé qu’afin de limiter nos interactions, la multiplication tous azimuts des lignes Maginot humaines et sociétales devait être la principale parade à cette propagation dans l’attente de la vaccination d’une partie significative des français, et que partant les étudiants ne devaient en principe plus être autorisés à accéder, sans qu’il soit besoin de procéder à une différenciation territoriale, à l’ensemble des campus de la République pour y suivre des enseignements en présentiel. Cette interdiction a été posée par le Premier ministre à l’article 34 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire..

Ce silence est éloquent quant à la considération que les pouvoirs publics ont pour la situation de 2 millions d’usagers du service public de l’enseignement supérieur, et accessoirement pour ce service public lui-même et ses personnels. Lors de sa précédente conférence de presse du 10 décembre 2020, le Premier ministre avait pourtant évoqué les suicides estudiantins causés par la fermeture au public des établissements du supérieur (« Nous sommes conscients qu’il y a des étudiants dans une situation psychologique très difficile. Il y a des suicides »). N’y en a-t-il eu aucun en trente jours ? Pourquoi n’a-t-on pas quotidiennement, à l’instar et en miroir de ce que Santé Publique France publie à propos du coronavirus, des données chiffrées concernant l’incidence pour les étudiants, sur les terrains psychologique, sanitaire, économique et social, de la fermeture de fait des établissements du supérieur, tandis que la ministre de l’Enseignement supérieur est en capacité de faire savoir que « il y a une souffrance psychologique chez les étudiants d’après les remontées des services de santé universitaire avec une hausse du nombre de consultations en psychologie jusqu’à 30 % » (France Culture, le 2 janvier 2021) ?

Alors que le monde de l’enseignement supérieur n’est, à l’instar des lieux culturels, pas un vecteur substantiel de diffusion du virus dès l’instant où un protocole sanitaire strict est respecté sur les campus, le Premier ministre a donc interdit aux étudiants et élèves des établissements du supérieur d’assister à un enseignement in situ, sous réserve de très rares exceptions énumérées à l’article 34 du décret du 29 octobre 2020, avec toutes les conséquences personnelles et collectives (perte du lien social, vacuité des formations professionnelle et à la citoyenneté) induites par ces centaines de milliers de réclusions à domicile forcées et solitaires devant un écran d’ordinateur ou de téléphone, aggravées par un lugubre couvre-feu à partir de 20 voire 18 h. Dans le même temps toutefois, les élèves du primaire et du secondaire continuent de s’entasser dans les collèges et lycées et, s’agissant des enseignements dans le supérieur, chaque élève des classes préparatoires et des BTS peut accéder normalement à ses salles de cours.

Depuis le 29 octobre 2020 donc, tout est méticuleusement entrepris pour que les étudiants demeurent les derniers de cordée de l’allégement du confinement, amorcé à compter de la fin du mois de novembre 2020. Les établissements du supérieur demeurent désespérément et hermétiquement fermés à leur public d’usagers, c’est-à-dire à ce qui, avec la recherche, est l’une de leurs raisons d’être, en dépit d’un discours politique favorable à une ouverture mesurée qui s’est donné à voir les 4 et 19 décembre 2020 ainsi que le 10 janvier 2021.

1. Fidèle à sa stratégie communicationnelle consistant à délivrer des annonces porteuses d’espoir tout en ne changeant rien à la réalité des choses, le président de la République avait assuré le 4 décembre 2020 que le gouvernement devait « tout faire pour pouvoir rouvrir travaux dirigés et demi-amphis dès début janvier dans les universités françaises si les chiffres sont bons ». Ce même jour, à l’audience publique devant le Conseil d’Etat que j’avais saisi en référé-liberté avec près de 80 autres universitaires de Paris 1 Panthéon-Sorbonne afin qu’il soit enjoint au Premier ministre d’autoriser une partie des étudiantEs à suivre des enseignements dispensés en présentiel, le représentant du ministère de la Santé assurait qu’il était impensable de parvenir à l’objectif que le président de la République affichait pourtant publiquement (cette demande en référé a été rejetée par le Conseil d’Etat le 10 décembre 2020, au motif notamment que l’enseignement en ligne pouvait servir de palliatif à l’absence d’enseignement en présentiel : v. « Fermeture des théâtres et cinémas : comédie au Conseil d’Etat », 26 décembre 2020).

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